Выбрать главу

— Allez, allez, disait un machiniste, ne t’occupe pas de ce que jaspine monsieur, tout ça c’est des histoires ! Ce qu’il y a de sûr, c’est que ta fille allait faire de la taule et que, grâce à Fantômas, elle n’en a pas fait. Tu n’as à savoir que ça.

C’était l’opinion générale.

Dick, lui-même, qui était entré dans le bar par hasard, approuvait les paroles du machiniste :

— Je ne vois pas très bien, déclarait-il, pourquoi Fantômas aurait pris la peine de sauver Rose Coutureau, qu’il ne connaissait pas encore, si c’était son intention de la compromettre ensuite. Et puis, d’ailleurs, rien ne prouve que ce soit Fantômas qui ait réellement tué avenue Niel. Les journaux le soupçonnent, c’est vrai. Mais enfin, les journaux ne sont pas infaillibles.

Fandor, sous ce flot d’arguments, devant l’hostilité générale, n’insista pas. Il écoutait les conversations, nota de petits détails dans l’espoir continuel de surprendre quelque indice intéressant, puis, comprenant que tous les gens qu’il avait devant lui ne savaient rien, ou, qu’en tout cas, ils ne voulaient rien dire, il paya son dû et se leva :

— Père Coutureau, dit le journaliste, je ne doute pas que vous soyez de bonne foi, mais assurément vous ne vous rendez pas compte des dangers qui menacent votre fille, et vous aussi peut-être. Fantômas jouant à l’homme de bien, cela ne s’est jamais vu. Prenez garde, prenez garde !

Et Fandor s’éloigna sur ces paroles qui troublèrent le père Coutureau, et créèrent un vrai malaise chez ceux qui les entendirent.

***

Entré dans la chambre de lady Beltham, cette chambre dont il avait sondé les murailles, dont il avait méticuleusement assuré la protection en bouchant la fenêtre, en barricadant les portes, en guettant continuellement l’unique entrée qu’il avait laissée subsister, Juve avait aperçu couché sur le lit de milieu le corps de lady Beltham.

Le policier, d’abord, de stupéfaction, s’était immobilisé au centre de la pièce, puis une colère folle, un désespoir furieux aussi s’étaient emparés de lui.

Juve s’était élancé, il avait couru jusqu’au lit, il s’était penché sur le corps. Un rauque juron s’était échappé de ses lèvres :

— Ah nom de Dieu ! Morte !

Et tout de suite après, alors qu’un frisson d’émotion le secouait, Juve avait ajouté :

— Tuée, c’est évident. Mais tuée comment ?

Juve, alors, retrouvait le sang-froid dont il avait à maintes reprises donné des preuves si extraordinaires.

Juve avait l’âme faite de cette façon que les difficultés et les mystères, loin de l’abattre, loin de le désespérer, le surexcitaient au contraire, infusaient une nouvelle ardeur à son énergie.

— Ah çà, c’est incompréhensible ! grogna-t-il. Personne n’est rentré ici, cependant, depuis hier soir.

Et Juve ordonna :

— Léon, restez debout devant la porte et empêchez quiconque d’entrer ! Michel, venez m’aider !

La mort de lady Beltham apparaissait à l’esprit du policier comme le mystère le plus incompréhensible, le plus inexplicable qu’il ait eu jamais à élucider.

La pièce où lady Beltham venait d’être assassinée – Juve en avait la persuasion, la certitude absolue, indiscutable – était hermétiquement close. Lady Beltham y était entrée la veille, bien portante, personne n’avait pu s’y introduire, et pourtant, elle venait de mourir.

— Qu’a-t-il donc pu se passer ? se demandait Juve.

Et, demeurant sans bouger, debout, à côté du lit de mort, il fouilla de ses yeux perçants les meubles, les murailles de la chambre, cherchant un indice, un détail, quelque chose qui pût lui faire au moins soupçonner de quel côté devaient porter ses recherches.

— Voyons, Michel, constata Juve, voyez-vous quoi que ce soit ici ?

— Je ne vois rien, chef, je ne vois rien.

Tout aussi désemparé que Juve, Michel, immobile comme son chef, regarda de tous côtés et ne découvrit rien.

— Lady Beltham est morte, se répétait Juve, morte à la date fixée, morte au commandement.

Et, soudain, comme il disait ces mots, Juve tressaillit.

Ah çà, ne venait-il pas de donner, sans y avoir pensé, la seule explication admissible de la mort de lady Beltham ?

Elle était morte à l’heure fixée, et au commandement… Parbleu ! N’avait-elle pas joué la comédie à Juve en venant lui demander sa protection et le policier n’était-il pas la victime d’une machination tragique ?

— Lady Beltham aimait Fantômas, se répétait-il, Fantômas a dû lui ordonner de se tuer. C’est elle qui a dû se tuer.

Et, il en arrivait, petit à petit, à imaginer un suicide, tant il était bien évident à ses yeux que personne n’avait pu s’introduire dans la pièce.

Juve, alors, se penchait à nouveau sur le cadavre de la malheureuse femme. Il l’examinait avec soin, il cherchait la trace d’une blessure, il cherchait la cause de la mort.

Mais Juve ne trouva rien.

Sur le grand oreiller brodé, dans l’auréole rose que dessinait une lampe électrique élégamment voilée d’un abat-jour de soie, et qui brûlait encore, le visage de lady Beltham apparaissait reposé, calme, tranquille, joli et fin, d’une beauté surnaturelle.

Lady Beltham avait les yeux clos, elle semblait encore dormir, aucune crispation n’avait défiguré ses traits. Ses lèvres même gardaient le fin sourire qui ajoutait un charme délicieux à son visage.

— Un suicide, se dit Juve, non ! Cette femme ne s’est pas suicidée, elle est morte en dormant, elle est morte sans se rendre compte qu’elle mourait.

Parbleu, si brave qu’eût été lady Beltham, et elle ne l’était pas énormément, en somme, puisqu’elle avait eu peur, elle aurait frémi en sentant venir le trépas.

— Or, pensait Juve, son attitude est posée, tout prouve qu’elle ne s’est pas sentie mourir. Même si elle s’était suicidée, il y aurait en elle, dans le désordre de sa pose quelque chose qui avertirait.

Mais l’hypothèse du suicide rejetée, Juve en cherchait une autre :

— Serait-elle morte de peur ? Sachant le danger qui la menaçait, aurait-elle été victime de l’effroi ?

Mais c’était encore là une explication inadmissible.

On ne meurt pas de peur dans une tranquillité aussi parfaite que celle qui semblait avoir été la tranquillité de lady Beltham.

— Elle est morte en dormant, fit encore Juve. On ne meurt pas de peur.

Et puis il y avait ce fait étrange, bouleversant, que cette mort était bien survenue à la date fixée, à la date arrêtée, choisie par Fantômas. Mais était-ce bien Fantômas qui avait tué lady Beltham ?

— Chaque fois que j’y réfléchis, pensait Juve, je trouve dans cette affaire un nouveau mystère. Non, je ne peux pas croire que Fantômas ait tué lady Beltham, cela dépasse mon imagination, cela dépasse mon entendement. Et pourtant ? Pourtant, nom d’un chien, il n’y a que Fantômas pour avoir pu tuer dans des conditions si mystérieuses, il n’y a que Fantômas pour être le criminel qui ait pu entrer sans laisser de trace dans cette chambre.

On y revenait toujours. Il apparaissait impossible que quelqu’un se fût réellement introduit dans la chambre barricadée et cependant, il fallait bien que quelqu’un s’y fût introduit, car sans cela lady Beltham ne serait évidemment pas morte.

— Je deviens fou, murmura Juve.

Le policier appela :

— Michel !

— Chef ?

— Allez voir si la porte barricadée par nous tient toujours !

Michel, prenant garde de ne rien déranger à l’aspect des meubles, à leur disposition, se rendit à la porte que Juve et lui avaient murée deux jours avant, grâce à des peines infinies.

L’agent secoua les planches, vérifia les cordes, et il n’hésita pas à répondre.