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— Oui, répondait le docteur, je n’ai qu’à faire l’examen spectroscopique de son sang. Mais je vous le répète, c’est bien inutile, car, d’ordinaire, l’odeur suffit à le révéler, même à une personne profondément endormie. Et puis enfin, il n’y a pas de gaz ici, et puis encore…

— Faites cet examen.

Le médecin s’emporta :

— Mais fichtre de nom d’un chien, puisque je vous dis que s’il y avait eu empoisonnement par le gaz vous auriez certainement senti l’odeur du gaz, vous Juve et vos deux agents ! Puisque je vous assure que cette odeur persiste de longues heures dans les pièces qui en ont été imprégnées, puisque, sapristi, il n’y a pas de gaz ici !

— Faites donc cet examen.

L’attitude du policier était si énigmatique que le médecin, quoique ne comprenant pas où Juve voulait en venir, décida de lui donner satisfaction.

Cela prit bien une heure. Il préleva par une saignée à la veine du bras une légère quantité de sang, il l’examina minutieusement, se livrant à toutes sortes de recherches compliquées.

Et soudain le directeur du Laboratoire municipal déclara, réellement abasourdi :

— C’est indiscutable, Juve vous avez raison. Je trouve des traces nettes d’oxyde de carbone dans le sang de la morte.

— Vous voyez bien !

— Oui, je vois, répondit le docteur, je vois que c’est de la sorcellerie, car, enfin, s’il apparaît indiscutable, désormais, que lady Beltham a été asphyxiée par de l’oxyde de carbone, rien n’indique la façon dont le crime a pu être commis. Absence d’odeur d’une part, absence de gaz d’autre part, tout cela fait que…

— Cela m’a bien fait chercher, murmura le policier, mais tout de même nous tenons l’explication de l’assassinat.

— Quelle est-elle donc ? Parlez.

Léon, Michel et le docteur se groupaient autour de Juve.

Et Juve, de son petit ton tranquille, commençait d’expliquer :

— Oh ma foi, c’est bien simple. Figurez-vous que je me suis rappelé avoir lu un jour, dans un traité de médecine légale, le traité de toxicologie du Dr Ch. Vibert [31], une remarque intéressante : « Il arrive, disait ce livre, que l’on peut être asphyxié par le gaz d’éclairage dans de telles conditions qu’aucune odeur ne puisse laisser deviner la cause de la mort. Il suffit que le gaz d’éclairage ait pénétré dans une pièce filtrant à travers une couche de terrain assez épaisse, à travers des matériaux tels que des graviers, de la terre, pour qu’il perde toute odeur. Il n’entre alors, à vrai dire, dans les locaux que de l’oxyde de carbone. Ce gaz étant inodore, les personnes qui se trouvent dans ces locaux peuvent parfaitement passer de vie à trépas sans être averties par l’odeur caractéristique du gaz d’éclairage du danger qu’elles courent. »

— C’est juste, interrompit le praticien.

— Très juste, reprit ironiquement Juve, et la preuve est que lady Beltham en est morte. J’ai pensé à cela tout à l’heure, docteur, et c’est pourquoi je suis descendu dans la cave. D’abord je n’ai rien trouvé, mais j’ai eu l’idée de creuser le sol de cette cave. Il y a là, à un mètre de profondeur, une conduite de gaz qui a été crevée récemment, car les brèches sont encore toutes fraîches. Le gaz a filtré à travers le sol, filtré à travers les murs de la cave. Il était inodore quand il a pénétré dans la chambre où dormait lady Beltham. Nous n’avons rien entendu, nous autres, Léon, Michel et moi, car il n’y avait rien à entendre. Nous n’avons rien senti, et lady Beltham n’a rien senti parce qu’il n’y avait rien à sentir. La mort est venue, furtive, mystérieuse, tout doucement, et cette pauvre femme n’a pas souffert. Hélas, ce qui me fait peur, c’est que si je comprends à peu près comment Fantômas, après avoir évidemment d’avance perforé la conduite de gaz, a pu provoquer ce drame, je ne comprends pas comment il se fait que Fantômas ait tué lady Beltham. J’étais sûr qu’un tel crime lui aurait fait horreur. Mais cela, docteur, ce n’est plus de votre compétence.

Juve, quelques instants avant, en remontant dans la chambre de lady Beltham, après avoir découvert la si extraordinaire façon dont le crime avait été commis, avait paru presque triomphant.

Maintenant il demeurait accablé, prostré. Il croyait pressentir qu’après ce nouveau crime, plus horrible encore que tous les crimes qu’il avait osés jusqu’alors, Fantômas, que rien n’arrêterait plus, serait capable de forfaits toujours pires.

20 – L’ALCOOL ASSASSIN

— As-tu monté le cervelas ?

— Probable. Puis aussi quatre litres à douze, tiens, v’là la monnaie.

Sur la table de la petite pièce qui servait de salle à manger, Rose Coutureau venait de jeter quelques gros sous d’un air nonchalant et maussade. Son père, qui sommeillait, à demi étendu sur la table, la tête posée sur le bras, se redressa, regarda sa fille, non sans manifester un certain étonnement.

Après avoir bâillé deux ou trois fois, car il semblait avoir très sommeil, le père Coutureau interrogea :

— Quatre litres ? Pourquoi c’est-il que tu as apporté autant de vin aujourd’hui ?

Rose Coutureau était passée dans la cuisine où elle préparait le déjeuner, déjà fort en retard, car il était au moins une heure et quart de l’après-midi.

Elle revint, haussant les épaules, et expliqua :

— Eh bien, un pour le manger de midi, pas vrai, et un autre pour le soir.

Le père Coutureau, qui savait compter, approuva, mais il ajouta :

— Eh bien, ça ne fait jamais que deux, ça…

D’une voix grondeuse et presque inintelligible, Rose Coutureau, qui vraisemblablement, était de fort mauvaise humeur, répondit :

— Eh bien, j’en ai monté deux autres pour demain, voilà tout !

Et elle retourna dans la cuisine, cependant que le père Coutureau la suivait d’un regard qui avait une expression de méfiance :

— Qu’est-ce qu’elle combine encore ? se demanda-t-il, et pourquoi qu’elle apporte des provisions pour deux jours ?

Il hésita un instant, se demanda s’il n’allait pas essayer de tirer au clair cette situation évidemment anormale et compliquée, qui devait provenir d’une cause qu’il ignorait. Mais il n’osa pas.

Aussi bien, sa fille était fort occupée en ce moment à se débattre avec le fourneau à gaz qui ne marchait pas. Et le père Coutureau qui, décidément, avait sommeil, se coucha à nouveau à demi sur la table et essaya de s’endormir, la tête appuyée sur le coude.

Il s’était attardé la veille, longtemps, après la représentation du théâtre. Tout d’abord, on s’était éternisé dans les couloirs des loges, à discuter les divers incidents qui avaient été suscités, l’avant-veille, par la venue du journaliste Fandor.

Puis, au lieu de s’en aller, quelques artistes, parmi lesquels se trouvait le père Coutureau, s’étaient mis à travailler à préparer des décors, à bâtir des praticables, pour la nouvelle pièce qui allait passer dans quelques jours.

On en avait eu jusqu’à quatre heures du matin, et dame, alors, au lieu d’aller se coucher, on avait préféré attendre une heure de plus, et ne sortir du théâtre qu’au moment où s’ouvriraient les marchands de vins. Dès lors, de cinq heures à dix heures, on avait été boire et se restaurer dans divers bistrots. Enfin le père Coutureau était rentré, légèrement ivre et passablement fatigué.

Il avait eu à s’occuper de son intérieur, car Rose Coutureau n’aimait guère faire le ménage, et de la sorte le vieil habilleur n’avait pu commencer à goûter du repos que vers midi moins le quart, au moment où sa fille était partie aux provisions.

Elle était revenue une heure après, au moment où son père allait s’assoupir pour de bon. Celui-ci essayait de s’assurer du sommeil avant que le déjeuner fût prêt, mais c’était en vain. Rose allait et venait, fit du tapage, remua des meubles, des objets, et le vieil ivrogne grommelait sans cesse, pestant contre la fatigue dont il ne pouvait se départir.