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— Qu’est-ce qu’il va prendre pour être arrivé si en retard.

Elle songeait en même temps :

— Encore dix minutes et c’est la fuite.

Elle souriait à Beaumôme qui, la main posée sur le fil destiné à manœuvrer le rideau, attendait l’instant propice pour signaler au public la fin du spectacle.

Rose était si peu à ce qu’elle faisait qu’elle entendit à peine la clameur soudaine qui s’éleva de la salle au moment où surgissait à côté d’elle l’acteur qui interprétait aux lieu et place de Dick, la dernière scène, celle de l’exécution.

Sanson, en effet, parut.

Si jusqu’alors le nouveau comédien qui jouait le rôle avait bouleversé la foule et surpris le public par ses attitudes et ses façons d’être, il déroutait désormais tout le monde.

Certes, il n’avait rien de classique ni de conforme à la tradition, ce bourreau qui montait sur l’échafaud pour exécuter Marie-Antoinette.

Il n’avait pas le costume du temps. Le bourreau en effet qui surgissait devant la foule était drapé entièrement dans un grand manteau rouge et son visage était dissimulé derrière une sorte de cagoule, rouge également.

Il était ganté de rouge. C’était effarant et l’on se demandait ce que cela voulait dire, mais les artistes cependant qui n’osaient interrompre et exécutaient leurs mouvements avec des gestes automatiques, précipitaient le dénouement.

Fantômas, dans le rôle de Sanson, s’avançait vers la guillotine. Le Maître de l’Effroi, fixement, regardait Rose Coutureau interprétant Marie-Antoinette, et, tandis que les acteurs figurant les aides la faisaient basculer sur la planche fatale, le faux Talma Junior murmurait entre ses dents, tandis qu’un sourire sarcastique effleurait ses lèvres :

— Ma vengeance commence. D’abord celle-là, les autres après.

Fantômas arrivait près de la guillotine. Comme un bourreau véritable, le Maître de l’Effroi faisait tomber le couperet de l’instrument de supplice.

Quelques secondes passèrent. Puis soudain des hurlements effroyables retentirent de toutes parts.

Les artistes qui entouraient la guillotine avaient distraitement regardé la scène à laquelle ils étaient accoutumés, mais au bout d’un quart de seconde les uns après les autres avaient compris ce qu’ils venaient de voir malgré eux. Et voici que, tandis que certains poussaient des cris épouvantables, d’autres s’évanouissaient, s’enfuyaient en courant. Dans la salle on applaudissait à tout rompre.

— Ce que c’est bien imité, disait-on.

Puis cet enthousiasme brusquement se changea en terreur et une panique indescriptible éclatait dans l’assistance.

— Du sang, du vrai sang, hurlèrent les spectateurs des premiers rangs.

Il n’y avait pas à en douter, ce n’était point une supercherie, ni un tour de passe-passe, et un sang noir giclait sur le plancher de la scène, jaillissant partout, éclaboussant aussi bien les figurants que les spectateurs. C’était du sang véritable, du sang humain.

La guillotine avait fonctionné pour de bon, et la tête de Rose Coutureau était réellement tombée, tranchée par le couperet du Bourreau Rouge, coupée par Fantômas.

25 – EN PLEIN MYSTÈRE

— Et alors Dick ?

— Alors, ma chère Sarah, après les divers incidents qui m’ont empêché, comme je viens de vous le dire, de me rendre au théâtre, j’ai fini cependant par y arriver et cela au moment fatal. Oui fatal, et si terrible, si effroyable, que je ne puis en évoquer le souvenir sans tressaillir, sans trembler, sans éprouver un frisson qui me parcourt le corps de la tête aux pieds et me secoue comme un arbuste tordu par la tempête.

Assurément, le jeune homme disait vrai. Car son aspect extérieur, sa pâleur et la contraction de ses traits, trahissaient son émotion sincère. Sarah Gordon qui le considérait avec calme, murmura :

— Remettez-vous Dick, reprenez vos esprits et dites les détails.

Le jeune homme, cependant, qui avait respiré profondément, s’efforçait de chasser de son esprit les sinistres pensées qui l’obsédaient, et il reprit :

— Je veux être net et clair dans mes explications. Au surplus, les choses qui se sont passées sont tellement effroyables et si compliquées que j’ai besoin de toute ma lucidité d’esprit. Comme je vous le disais, Sarah, arrivé depuis quelques instants au théâtre et très heureusement étonné de voir que l’on avait trouvé à me remplacer, je regardais, dissimulé dans la coulisse, le jeu de l’acteur qui me doublait. C’était la scène terrible, à l’issue de laquelle le bourreau fait le simulacre d’exécuter la reine. Je savais le grand effet que l’on pouvait tirer de cette scène et, avec une certaine curiosité professionnelle, j’observais avec attention la façon de procéder de mon remplaçant. C’est alors, Sarah, que j’ai vu l’affreuse chose. Elle n’a duré qu’un instant. Mais c’était encore trop long pour que je ne puisse en remarquer tous les détails. Conformément à la mise en scène réglée à l’entracte, deux de nos camarades qui jouaient les rôles d’aides du bourreau s’étaient emparés de la future victime et l’avaient jetée sur la bascule fatale. C’est à ce moment, alors, qu’a surgi l’acteur que l’on a prétendu s’appeler Talma et qui n’est autre que le plus sinistre bandit que la terre ait jamais porté. J’ai vu, Sarah, cette scène épouvantable : l’acteur vêtu de rouge, drapé contrairement à la tradition dans un grand manteau rouge qui l’enveloppait des pieds à la tête, faire jouer le déclic de la guillotine. Mais on a entendu aussitôt un bruit sec et sourd, un bruit anormal. D’ordinaire, en effet, le coutelas était un coutelas de carton incapable de faire le moindre mal. Cette fois, on lui avait certainement substitué un véritable couperet, et alors, j’ai entendu nettement le bruit du glaive lourd, glissant dans les rainures de la guillotine. J’ai entendu le coup sec du tranchant s’abattant sur la nuque de la malheureuse Rose Coutureau. Sa tête est tombée lourdement dans le panier, le sang a fusé de toutes parts. Ah, cette vision était si effroyable que j’ai senti venir l’instant où j’allais devenir fou ! On comprit au bout de quelques secondes, sur la scène d’abord, et dans la salle ensuite, l’effroyable drame réel qui venait de se passer, et les applaudissements du début se transformèrent en hurlements d’épouvante.

— Mon Dieu, qu’avez-vous fait alors, mon ami ?

— Qu’auriez-vous fait à ma place ? poursuivit Dick. L’événement était si surprenant, si inattendu, que d’abord je suis demeuré abasourdi. Mon cerveau se refusait à comprendre et ma raison niait ce que mes yeux avaient vu. Puis, brusquement je me suis saisi de mon revolver et, avisant la silhouette rouge du criminel qui s’enfuyait, j’ai déchargé sur lui par deux fois mon arme. Hélas, Sarah, il parvint à s’enfuir avec une agilité surprenante. Ce monstre, bondissant dans les couloirs, s’est frayé un passage à coups de pied, à coups de poing, il a disparu.

« Mais, conclut l’acteur dont le front se rembrunissait, ce n’est que partie remise, croyez-le bien ! J’ai vu son regard d’acier. Sa silhouette affreuse est désormais gravée pour toujours dans mon esprit. Je l’ai reconnu et le reconnaîtrai entre tous : ce sinistre criminel n’est autre que Fantômas.

— Fantômas ? comment le savez-vous ? J’ignorais que vous le connaissiez déjà ?