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— Je le sais, poursuivit Dick, je suis sûr que c’est lui.

— Avez-vous donc, pour affirmer toutes ces choses, des arguments bien certains ?

— Peut-être… affirma Dick.

Il y eut un silence pendant lequel les deux interlocuteurs demeuraient immobiles, absorbés tous deux, semblait-il, par de profondes pensées. Ce fut Sarah qui, la première, reprit l’entretien interrompu :

— C’est un terrible malheur, en effet, déclara-t-elle de sa voix calme et pondérée, et malheureusement nous n’y pouvons rien. Si cette malheureuse Rose Coutureau est morte, nous ne la ressusciterons pas.

— Sans doute, reconnut Dick, mais nous la vengerons.

Sarah haussa les épaules :

— Qu’en savez-vous, fit-elle, et que vous importe au fond ? Vous venez de vivre, mon cher ami, un cauchemar affreux, le mieux est encore d’oublier.

Et la jolie Américaine sourit à l’acteur et lui tendit la main.

— Tenez, fit-elle doucement, je vous autorise à la baiser.

Dick s’agenouilla devant la jeune fille, il prit ses doigts fuselés dans les siens, les serra tendrement :

— Merci, murmura-t-il, merci Sarah !

Puis il ajouta d’une voix pénétrée :

— C’est la première fois que vous m’accordez une faveur semblable. Ah, Sarah !

Depuis une quinzaine de jours, l’étrange et riche Américaine dont la présence à Paris et l’existence fastueuse intriguaient tant de gens, était venue s’installer au Lac-Palace à Enghien. Elle avait brusquement quitté le Gigantic Hôtel où elle occupait un appartement spacieux, dont toutes les fenêtres donnaient sur la place de la Concorde et elle était venue, avec les débuts du printemps, s’installer dans la gentille ville d’eau que les touristes et les joueurs commençaient à fréquenter.

Elle avait retenu le plus bel appartement de l’hôtel et s’était fait affecter un personnel de domestiques qui devait être uniquement à son service.

Depuis le matin même, on lui avait adjoint un majordome, dont la seule mission était de la servir à table et de recevoir les visiteurs qui se présentaient.

Depuis une heure, Sarah était en tête-à-tête avec Dick.

Le jeune artiste, tout vibrant encore d’émotion, tout troublé par le drame qui s’était produit la veille, avait achevé son récit d’une haleine. Mais Sarah semblait désireuse de le voir oublier ce qu’il venait de dire. Elle avait à l’entretenir de nombreux sujets, et, avec condescendance, lui laissait sa main dans les siennes.

D’une voix douce elle lui déclara :

— Écoutez, Dick, un secret me pèse sur le cœur et j’éprouve le besoin de vous le confier. Une autre, peut-être, hésiterait à vous parler comme je vais le faire. Moi, je n’ai pas de ces fausses pudeurs, car nous, filles d’Amérique, n’avons pas été élevées selon les préjugés de l’ancien monde, favorables à la dissimulation. Vous me plaisez, vous me plaisez beaucoup. Et si j’ose interroger mon cœur, je suis certaine qu’il me répondra qu’en vérité, Dick, je vous aime.

— Vous m’aimez, s’écria l’acteur, est-ce possible ?

— Oui. Je suis une femme positive et je vois les choses telles qu’elles sont. Depuis que vous vivez autour de moi, depuis que vous êtes revenu avec moi d’Amérique et que nous nous sommes vus de plus en plus souvent à Paris, j’ai compris, non seulement le sentiment que j’éprouve à votre égard, mais j’ai deviné aussi que je ne vous étais pas indifférente, loin de là.

— Hélas, loin de là, répéta l’artiste, comme vous avez raison, Sarah ! Il y a longtemps que je vous aime éperdument. Mais jamais, au grand jamais, je n’aurais osé vous le dire…

— Pourquoi ?

— Je ne suis qu’un humble comédien. Je n’ai ni talent, ni gloire, ni fortune. En un mot, Sarah, je suis pauvre et vous êtes riche.

— Si ce n’est que cela qui vous retenait, Dick, il fallait parler. Je suis riche, c’est vrai. Tant mieux, puisque je le suis pour deux. Soyez assuré qu’avec moi, vous aurez l’existence la plus heureuse qu’une femme peut faire à l’homme dont elle est éprise. Écoutez, voilà ce que j’ai décidé : les voyages m’ennuient, ce pays de France est peut-être pittoresque, mais il est mesquin, les gens y vivent avec des idées étroites, leurs attitudes sont ridiculement conventionnelles et à l’épanouissement de notre amour, il faut des pays neufs, de vastes horizons. Écoutez, Dick, ce soir, nous prendrons le train tous les deux, demain matin, nous serons au Havre et dans l’après-midi, dans le transatlantique qui, cinq jours après, nous débarquera à New York. Mon père, le milliardaire, sera charmé de vous connaître, lorsque je lui dirai : « Voici l’homme que j’ai choisi pour époux. »

— Grâce, grâce ! supplia Dick, qui se bouchait les oreilles. Ayez pitié, Sarah, vous vous moquez sans doute, ou alors, c’est que je fais un rêve, un rêve insensé, merveilleux, dont je vais m’éveiller brisé de douleur, terrassé par le désespoir, car vous le savez bien, ce serait impossible.

— Impossible ? s’écria Sarah qui ne comprenait pas… Est-ce donc parce que je suis milliardaire et que je peux ainsi braver la fortune, avoir tout ce que je veux, qu’il me serait précisément défendu de choisir pour époux l’homme que mon cœur a librement élu ? Je vous l’ai dit, je veux partir, partir ce soir, tout de suite. Dans six jours, nous serons à New York, dans un mois, nous serons mariés.

L’acteur était devenu très pâle. il se releva, fit quelques pas en chancelant comme un homme ivre, puis vint s’asseoir à côté de la jeune fille.

— Sarah, murmura-t-il, vous ne pouvez pas imaginer l’impression délicieuse qu’ont produite vos paroles sur moi, et il est une chose effroyable, c’est celle que je vais vous avouer : je ne peux pas, je n’ai pas le droit de m’abandonner maintenant à l’amour que j’éprouve pour vous.

— Et plus tard ?

— Plus tard, ce sera le couronnement idéal d’une existence terrible, compliquée, mystérieuse. Plus tard, si vous voulez, Sarah.

— Je n’aime pas être contrariée, et d’ordinaire, les décisions que j’ai prises sont celles de tout mon entourage. Je ne sais pas comment vous faites, vous autres, Français, mais chez nous, il n’est pas d’usage de remettre à une date indéterminée les sentiments de l’amour, comme l’on ferait d’un billet de commerce.

— Sarah, Sarah, gémit l’acteur qui se jeta à ses pieds, ne me jugez pas de cette façon, non, et croyez bien que je suis digne de votre amour. Reconnaissez aussi qu’il est des obligations, des nécessités. C’est pour cela que je suis obligé de vous demander un délai.

Sarah s’était levée, toute frémissante :

— Piètre payeur, déclara-t-elle, que celui qui demande à retarder l’échéance du bonheur. Peut-être avez-vous quelque amour antérieur à chasser de votre cœur, quelque liaison dont il faut vous défaire ?

Dick hocha la tête négativement.

Perfide, Sarah poursuivait :

— Le drame d’hier soir que vous m’avez raconté dénote chez vous, Dick, une sensibilité bien accessible, et peut-être aimiez-vous d’amour cette malheureuse Rose Coutureau ?

Dick ne répondait pas, il semblait atterré. La jeune fille se rapprocha de lui :

— Si cela est, Dick, et s’il n’y a pas autre chose qui vous retienne, comptez sur moi pour vous faire oublier. Car, si je suis malheureuse de l’amour que vous éprouviez pour une autre, mon cœur saigne de la blessure que vous lui faites. Je hais votre attitude et si je vous en veux du mépris dont vous m’accablez, c’est plus fort que moi, Dick, je vous aime, je vous aime, je vous aime !

— Consentez à attendre, j’ai des devoirs à remplir, il est dans mon existence des secrets terribles et d’effroyables obligations auxquelles je ne puis me soustraire. Je vous assure, Sarah, que c’est plus grave que tout et que même devant la menace de la mort, je ne faillirai pas à mon devoir.