À dix heures, cependant, comme l’hôtel s’emplissait des allées et venues des élégants et des élégantes qui se rendaient au Casino voisin, le portier frappait à la porte de la chambre de Sarah.
— Entrez ! commanda la jeune femme.
— Mademoiselle, déclarait le domestique en se découvrant et en prenant un ton des plus respectueux, il y a une personne qui désire entretenir madame.
— Une personne ? répondit Sarah.
Elle eut à ce moment un grand battement de cœur, elle pâlit, car elle pensait deviner qui pouvait être cette personne.
— C’est Dick ! se disait Sarah. À coup sûr, il s’est ravisé, il vient m’avertir qu’il part avec moi.
Mais avant même que la jeune femme eût achevé de penser cela, le portier précisait :
— Mademoiselle, c’est une dame. Elle affirme que madame ne la connaît pas, mais elle a insisté pour que madame la reçoive, disant qu’elle venait faire une commission urgente.
— Faites entrer cette jeune femme.
Sarah avait été quelque peu déçue en apprenant que ce n’était point Dick qui venait la voir, mais elle se consola en songeant qu’il s’agissait certainement d’une messagère du jeune artiste et que la commission qui lui serait faite devait venir de Dick.
Quelques secondes plus tard, le heurt familier de l’ascenseur avertissait Sarah que sa visiteuse arrivait au palier de son étage. On frappait encore à sa porte et, à son invitation, une jeune femme pénétrait auprès d’elle.
Sarah dévisageait l’arrivante avec une émotion qu’elle dissimulait mal.
Elle était en face d’une jolie personne, belle, d’une fraîche beauté, toute jeune encore et dont le visage avait quelque chose de séduisant et d’intrigant à la fois.
La timidité se peignait sur ses traits et cependant ses yeux avaient une étrange énergie, elle semblait décidée et hésitante. Elle était simplement mise, elle était très distinguée.
— Vous demandez à me parler, mademoiselle ? s’informa Sarah.
— Oui, mademoiselle.
— Vous venez me faire une commission ?
— Oui, mademoiselle.
La voix de la visiteuse était sympathique, bien timbrée. Elle ne tremblait pas et cependant Sarah croyait deviner en elle comme une légère hésitation.
— Eh bien, mademoiselle, je vous écoute, répétait Sarah. Qui vous envoie vers moi ?
La visiteuse, cette fois, ne répondit pas tout de suite.
Elle réfléchit quelques secondes ; un pli lui barrait le front d’une ride soucieuse et c’est d’une voix basse, anxieuse, qu’elle se décida enfin à reprendre la parole :
— Mademoiselle, dit la jeune fille en regardant Sarah bien en face, comme si elle eût cherché à lire les sentiments de l’Américaine au fond des prunelles changeantes, mademoiselle, je viens vous faire une commission grave, et je vous prie de m’accorder toute votre attention.
— Mais mademoiselle, faisait-elle, je vous écoute très attentivement. Voulez-vous vous asseoir ?
Elle offrit un siège. Elle-même s’assit, mais la jeune fille demeura debout :
— Mademoiselle, reprit-elle, il va falloir me répondre en toute franchise. Aimez-vous l’acteur Dick ?
À ce nom, ce nom qu’elle attendait, Sarah qui s’était assise, se releva brusquement.
Sa nature impétueuse se donna libre cours :
— Qui donc êtes-vous, mademoiselle, pour vous permettre une pareille question ? demanda Sarah âprement. Ceci ne regarde que moi, je suppose, et, tout au plus, le jeune homme que vous venez de nommer.
Sarah parlait avec emportement. Sa visiteuse lui répondit avec une douceur extrême :
— Mademoiselle, je vous en supplie, écoutez-moi avec calme et croyez bien que je ne suis pas votre ennemie. Je ne suis d’ailleurs qu’une commissionnaire, c’est une mission que je remplis auprès de vous et…
— Abrégeons ! Quelle commission ?
— Mademoiselle, insista la jeune fille, je ne vous la ferai que lorsque vous m’aurez répondu : aimez-vous sincèrement l’acteur Dick ?
Cette insistance était si surprenante que Sarah oublia l’incorrection de la demande.
— Peut-être, répondit-elle.
Mais tout le vague de la réponse était démenti par la façon vibrante et presque combative dont Sarah articulait ces paroles.
L’étrange jeune fille eut un faible sourire.
— Alors, mademoiselle, dit-elle en joignant les mains, je vous supplie de ne pas partir ce soir, de ne pas partir en Amérique, d’attendre…
Elle n’avait pas achevé que Sarah, frémissante, se dressait, les yeux menaçants, les gestes saccadés :
— Sortez, mademoiselle ! ordonnait l’Américaine. Sortez si vous ne voulez pas que j’appelle !
— Mais mademoiselle…
Il était impossible de calmer Sarah. Elle avait de ces colères subites, folles, que rien de pouvait apaiser.
— Sortez ! répétait-elle. Oh parbleu ! Je devine qui vous êtes. Sans doute c’est la maîtresse de Dick qui me parle.
Dick, la veille, avait fait germer la jalousie dans le cœur de Sarah et la suite des événements faisait que c’était l’innocente visiteuse qui devait supporter le contrecoup de ce sentiment nouveau, mais déjà vivace, dans le cœur de Sarah.
L’Américaine, en effet, n’hésitait plus.
Qui pouvait être cette jeune fille, venant la voir au nom de Dick et la suppliant de retarder son départ, si ce n’était la maîtresse de Dick, la rivale pour qui Dick voulait rester en France ?
Tout s’expliquait.
C’était pour avoir le temps de rompre une vieille liaison que Dick avait prié Sarah de reculer son départ, et c’était pour essayer de reprendre Dick que la maîtresse de l’acteur venait, elle aussi, supplier Sarah d’attendre quelque temps.
Et, en même temps que la colère, une joie folle s’emparait de l’âme de Sarah.
Si la maîtresse de Dick, en effet, venait demander à Sarah de ne point partir, c’était évidemment que l’acteur avait décidé, lui, d’accompagner Sarah. Naturellement l’Américaine était impitoyable.
— Vous êtes la maîtresse de Dick, répétait-elle, et je trouve, mademoiselle…
Mais la visiteuse l’interrompit d’un geste :
— Vous vous trompez, mademoiselle, affirmait la jeune fille avec un calme parfait, je ne suis point la maîtresse de Dick et même je ne connais Dick que depuis quelques heures.
Elle parlait d’un ton si convaincu, avec une sincérité si évidente que Sarah se prenait à douter.
— Vraiment ? demandait-elle narquoise, vous connaissez à peine Dick et cependant vous vous mêlez de ses affaires de cœur !
Or, la réponse que s’attirait Sarah stupéfiait l’Américaine :
— Mademoiselle, disait la jeune fille simplement, je ne me mêle point, comme vous le dites, des affaires de cœur d’un inconnu, je viens simplement m’efforcer d’empêcher d’irréparables malheurs. Vous le pouvez si vous ne partez pas.
— Enfin, demandait-elle, qui êtes-vous donc, mademoiselle ? Je ne comprends rien, absolument rien, à votre attitude, et je vous avoue que votre personnalité m’intrigue. Dois-je ignorer votre nom ?
— Il vous apprendra peu de chose, mademoiselle.
— Vous tenez à le cacher ?
— Je n’ai rien à cacher, mademoiselle, mais je ne me nommerai point.
Un éclair brillait dans les yeux de la visiteuse qui, jusqu’alors, avait cependant répondu avec une douceur extrême :
— Mademoiselle, il ne faut pas que vous partiez. Je vous supplie de ne point partir, au besoin je vous l’ordonne.
— Vous me donnez des ordres ?
— Oui ! Car je suis obligée de le faire.
— Mais qui êtes-vous ?
Hélène, la douce Hélène, car c’était la fille de Fantômas qui se trouvait en face de Sarah, remplissait auprès de celle-ci une commission dont elle avait été mystérieusement chargée par l’acteur Dick. Hélène ne répondit pas à la question, mais toisa Sarah.