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À onze heures et quart, Sarah Gordon se décida à se mettre au lit :

— Il n’y a rien, murmura-t-elle, et cette jeune femme s’est enfuie sans avoir été rattrapée, ma foi tant mieux.

Tandis qu’elle commençait à se dévêtir, l’Américaine remarqua ses malles déjà bouclées, toutes prêtes à être emportées.

— Hélas, dit-elle, je devais partir ce soir, partir avec Dick, et je suis encore là. Cette femme a tout de même obtenu ce qu’elle voulait, et, malgré moi, je suis restée. Mais je saurai lui montrer que j’ai de la volonté, et demain, oui demain, je serai loin d’ici.

Rien ne l’obligeait à partir, en réalité, et ce qu’elle désirait, c’était suivre Dick partout où il irait, mais il y avait des choses que l’on ne pouvait concéder. Sa résolution était prise. Sarah retournerait en Amérique, et d’ailleurs, en se couchant, la jeune fille pensait qu’après tout, cela valait peut-être mieux.

La jeune fille avait achevé sa toilette du soir, s’était couchée dans le grand lit de milieu qui occupait les deux tiers de la pièce, elle avait éteint les appliques électriques et ne conservait que la lueur falote d’une lampe en veilleuse. Et là, dans cette demi-obscurité, elle demeurait pensive, les yeux grands ouverts, incapable de s’endormir. Tout autour d’elle était silencieux. À peine percevait-on de temps à autre, très au loin, le roulement d’une voiture qui passait, ou alors le coup de sifflet d’une locomotive d’express qui déchirait la nuit. Et Sarah, peu à peu, commençait à s’assoupir.

Déjà, les contours de la pièce qu’elle occupait s’estompaient comme dans un rêve, devenaient flous et vagues, lorsque soudain, ses yeux s’écarquillèrent démesurément. Son regard se fixa sur la muraille en face d’elle, cependant que son cœur parut s’arrêter de battre :

— Qu’est-ce que c’est ? qui est là ? murmura la jeune fille.

Une vision stupéfiante apparaissait :

Il sembla à Sarah que les grands rideaux qui dissimulaient la porte de son cabinet de toilette venaient de s’agiter.

Puis, une ombre, une forme humaine, s’en détachait lentement, s’avançait vers elle, semblant glisser sur le sol.

Était-ce un homme ou une femme ? L’apparition était difficile à définir, car elle ressortait en noir, sur fond sombre.

Et, cependant, faiblement éclairés par la lampe en veilleuse, les formes de cette ombre, peu à peu se précisaient.

Sarah distinguait le contour épais de deux robustes épaules, sur lesquelles était drapé un long manteau descendant jusqu’au sol. Entre ces deux épaules, il y avait l’esquisse d’une tête, mais d’une tête dont les traits étaient eux-mêmes voilés de noir.

Puis, Sarah, de plus en plus impressionnée, n’osant faire un mouvement, remarqua que, du côté droit de l’ombre, se détachait la forme d’un bras qui se tendait vers elle, et soudain, l’acier d’une arme brilla à la main également gantée de noir de l’apparition.

Sarah étouffa un cri, et brusquement, comme mue par un ressort, elle se dressa à demi dans son lit. Puis elle voulut se lever, fuir, chasser de sa vue le fantôme effroyable. Mais un ordre formel l’immobilisa sur place, au milieu de sa couche.

— Pas un mot, pas un geste, ou c’est la mort !

Et Sarah entendit le claquement sec d’un revolver.

Son sang se glaça dans ses veines, mais elle crut comprendre ce qui lui arrivait : elle allait être victime d’une agression, et, à la tenue terrifiante du personnage qui se présentait devant elle, elle pensait reconnaître quelqu’un de ces hardis voleurs, de ces audacieux bandits que l’on connaît et que l’on redoute sous le nom de « rats d’hôtel ».

Oui, il n’y avait pas de doute, c’était un rat d’hôtel qui venait de la surprendre, qui, vraisemblablement, allait la dépouiller. Sarah, malgré sa terreur subite, conservait néanmoins son sang-froid. N’était-elle pas Américaine, et de ce fait, moins pusillanime que les autres femmes ?

Elle essaya de se raisonner :

— Les rats d’hôtel, pensa-t-elle, ne tuent que lorsqu’ils y sont obligés par les cris ou la défense de leurs adversaires. Ce qu’ils veulent, ce sont des bijoux, de l’argent, et si on les laisse voler, ils s’en vont sans faire de mal.

C’était du moins l’idée que Sarah s’efforçait de faire pénétrer dans son esprit. Obéissant aux ordres qui lui avaient été intimés, elle ne fit pas un geste. Toutefois, lorsqu’elle put enfin refréner le claquement de ses dents, elle balbutia :

— Si vous voulez de l’argent, des bijoux, prenez-en et partez. Là, à droite, dans le petit coffret, sont mes bagues, mon collier.

Mais, elle fut interrompue par un ricanement diabolique et strident.

Et la voix du mystérieux personnage qui se trouvait devant elle, la menaçant toujours de son revolver, retentit de nouveau :

— Peu m’importent tes bijoux, je n’en ai que faire. Ne sais-tu donc pas qui je suis ?

— Non.

— Je suis Fantômas, on me surnomme à juste titre le Génie du Crime, le Maître de l’Effroi, je suis impitoyable pour mes adversaires et je brise tous les obstacles que je rencontre sur ma route.

— Mon Dieu, je suis perdue !

— C’est bien toi Sarah Gordon ?

— Oui.

Le bandit avança d’un pas, se rapprochait, à le toucher, du lit dans lequel était assise l’Américaine, toute tremblante.

— Tu as voulu, grommela-t-il, porter la main sur ma fille et la faire arrêter, car c’est elle qui, tout à l’heure, est venue te parler. Tu l’as chassée comme une misérable, mais tu seras châtiée.

Une sourde colère semblait gronder dans le cœur de Fantômas !

— Que t’a-t-elle dit, tout à l’heure ? Et pourquoi l’as-tu repoussée ?

Sarah Gordon, au paroxysme de l’émotion, se taisait. Fantômas insista durement :

— Réponds, si tu ne veux pas mourir.

— Elle m’a dit, elle m’a demandé, elle m’a ordonné de ne point partir ce soir, ni demain. Elle veut garder Dick à Paris.

— Pourquoi ?

— Je ne sais pas, fit Sarah. Sans doute l’aime-t-elle, elle aussi ?

— C’est faux ! Hélène n’aime pas ce cabotin. C’est toi qui en es éprise. Ah misérable, tu ne sais pas…

Mais brusquement Fantômas s’arrêta de parler, et, au lieu de continuer à se tenir debout, presque penché sur la jeune fille, il s’accroupit derrière son lit, cependant qu’après avoir grommelé quelques imprécations de dépit, il lui ordonnait à voix basse :

— Ne fais pas un mouvement, pas un geste et ne dis plus une parole, sans quoi je te tue.

Puis Fantômas répéta encore :

— Malédiction, malédiction !

Le bandit, désormais, était séparé de la fenêtre de la chambre par le corps de Sarah, qui se tenait assise dans le lit.

La jeune fille, sans comprendre les ordres de Fantômas, lui avait obéi. Elle ne fit pas un mouvement. Il y eut un silence pendant lequel l’inquiétude de l’Américaine s’accrut encore. Que se passait-il donc ? Et comment se faisait-il que ce terrible personnage demeurait agenouillé à côté d’elle à sa gauche, cependant qu’il tenait toujours son revolver braqué sur la jeune fille, prêt à tirer ? Sarah, si elle ne bougeait pas le corps, avait toutefois le loisir de remuer la tête.

Elle venait de regarder à sa gauche, un léger bruit attira son regard dans la direction opposée.

Cette direction était celle de la fenêtre et, lorsqu’elle eut regardé de ce côté, Sarah se sentit encore plus terrifiée qu’elle ne l’avait été jusqu’alors.

Sur le balcon, à l’extérieur, et séparé d’elle simplement par les vitres de la croisée, se trouvait une autre silhouette humaine, qui semblait surveiller la scène se déroulant à l’intérieur de la chambre à coucher.