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— V'là les cognes, débinons ! avait crié l’un des apaches, le Bedeau.

Lorsque l’on s’aperçut que le Bedeau avait dit vrai, on songea à la fuite, et chacun se souvint alors, aidé, d’ailleurs du père Korn, que son cabaret avait deux issues.

Un par un, étouffant le bruit de leurs pas, les consommateurs du cabaret s’enfilaient dans le couloir, gagnaient la sortie, mais au fur et à mesure qu’ils arrivaient boulevard de la Chapelle, ils étaient cueillis au passage et bouclés par les agents qui les guettaient.

La chose se passa très vite et pour ainsi dire sans bruit. Le premier qui fut arrêté, ce fut Tête-de-Lard, l’ancien charcutier. Assurément, il était moins habile que les autres, il n’avait pas encore été victime de semblables attaques.

— Mais j’ai rien fait, je suis un brave homme !

— Allez, pas de révolte, lui dit l’un des agents de la Sûreté, qui lui passait le cabriolet.

On avait attrapé de la même façon Bec-de-Gaz, que suivait Œil-de-Bœuf. Puis Adèle, qui se débattant furieusement, fut réduite à l’impuissance.

Cependant, le Bedeau qui marchait derrière eux dans le couloir, s’était rendu compte de ce qui se passait, et il avait rebroussé chemin. Il rentra par le fond dans le cabaret du père Korn, et tira son revolver, mais deux coups de feu retentirent à son oreille.

— Bougre, grommela le Bedeau, qui n’était pas le courage même lorsqu’il se trouvait en face d’adversaires armés, paraît que ça va mal !

Il se rendait compte, en effet, que c’était sur lui que l’on avait tiré, et il apercevait d’ailleurs, le menaçant du milieu de la pièce, deux des plus énergiques inspecteurs qu’il connût : Léon et Michel.

De sa voix forte et enrouée, le Bedeau cria :

— En voilà des assassins ! C’est-y que je rouspète, oui ou non ? Vous n’avez pas le droit de tirer comme ça sur le pauvre monde, et je me plaindrai au « Curieux ». Oh vous pouvez me boucler, je ne résiste pas, d’ailleurs, j’ai rien à me reprocher, et je ne crains pas la Justice.

Le Bedeau, tout tremblant, jeta son revolver sur la table.

— Constatez, déclara-t-il aux inspecteurs, que s’il est chargé, j’ai pas tiré, les cartouches sont vierges, vous pourriez pas en dire autant des vôtres, crapules, vaches que vous êtes !

Malgré tout, le Bedeau ne pouvait se résoudre à s’adresser poliment aux agents, et comme ceux-ci brusquement s’étaient approchés de lui et lui avaient passé les menottes, se rendant compte que, cette fois, il était fait, bien fait, le sinistre apache exhala toute sa mauvaise humeur, sachant fort bien qu’il pouvait s’en payer : un peu plus un peu moins, cela n’avait pas d’importance.

On entraîna le Bedeau, et dans le panier à salade, il retrouva Bec-de-Gaz, Œil-de-Bœuf, Adèle et Tête-de-Lard.

Puis, le véhicule à peu près plein s’en alla dans la direction du Dépôt, et Léon et Michel rassemblaient leurs hommes et leur donnaient rendez-vous pour le lendemain matin à la Préfecture.

— On n’a pas perdu sa soirée, déclara l’un d’eux.

— En effet, reconnut Michel, je crois que nous en tenons de bons. Le tout va être de savoir comment débrouiller cette affaire-là. Et quel est celui qu’il faudra épargner pour le remercier d’avoir bien voulu manger le morceau.

Le père Korn, furieux de l’aventure, se préparait à fermer sa boutique ; il avisa sous le comptoir et les banquettes qui entouraient la salle, trois formes qui s’y étaient dissimulées : Beaumôme, la Carafe et la grande Berthe.

Ils avaient passé dans cette cachette tout le temps de la rafle. Ils n’avaient pas été pris comme les autres, mais n’étaient guère plus rassurés pour cela.

— Allez, caltez ! ordonna le père Korn. Pensez-vous que je vais vous laisser moisir dans ma tôle ?

Après une longue discussion, et s’étant convaincu que la rue était déserte, le trio apeuré finit cependant par s’en aller. Le père Korn ferma sa boutique et, vers une heure du matin, la rue de la Charbonnière et ses sinistres voisinages étaient plongés dans le silence le plus complet.

Il y avait toutefois un personnage encore qui avait échappé à la rafle de la police. C’était un homme bizarrement accoutré d’une grande blouse bleue comme en portent les fruitiers où les gens de la Halle. Cet individu à la figure hirsute et vraiment caricaturale se faufilait, lui aussi, dans la rue de la Charbonnière :

— Ben vrai, qu’est-ce qu’ils ont pris ! Vrai, alors, ça rapporte pas d’être copains avec le Fantômas. Sûr que c’est lui qui les a fait poisser.

C’était Bouzille.

L’ancien chemineau, promu désormais au rang de commerçant, puisque depuis plusieurs jours il s’était établi marchand de fromages, s’était, ce soir-là, attardé dans le cabaret du père Korn.

Plus perspicace que les apaches, l’ancien chemineau avait déguerpi dès que des rumeurs suspectes s’étaient fait entendre dans la rue et, dissimulé sous une porte cochère, il avait assisté à l’arrestation des apaches.

— Vrai. C’est tout de même pas chic, de faire comme ça proprement poisser des aminches. Fantômas a vraiment pas de cœur. Comme les hommes sont ingrats, tout de même. V’là des gars comme Bec-de-Gaz, et les autres qui ont toujours turbiné pour Fantômas, et y les livre aux argousins.

Tout en monologuant de la sorte, Bouzille, regardait de tous côtés, et n’apercevant plus trace de policiers, décidait de quitter sa cachette :

— Faut tout de même que je me débine. Voilà l’heure d’aller aux Halles, je ne veux pas faire souffrir mon commerce des manigances de Fantômas. J’vas aller acheter mes fromages !

L’ancien chemineau remonta donc le boulevard de la Chapelle, arriva au boulevard Barbès, se dirigea vers le faubourg Saint-Denis.

Bouzille savait à quoi s’en tenir sur la reconnaissance et la bonté de Fantômas qui, tout dernièrement, lors de l’histoire de l’autobus, l’avait promptement noyé avec quelques apaches, et c’est pourquoi, sans hésiter, en voyant surgir les policiers, le chemineau avait conclu :

— C’est un coup de Fantômas ! Il ne veut sans doute pas leur donner du pèze, il leur en a fourré un peu et pour être tranquille, désormais, il les fait poisser.

***

Pendant la rafle, cependant, un homme brun, rasé, simplement vêtu, était allé s’attabler dans un café de bonne apparence qui était situé au carrefour Barbès.

Il resta là une heure, à peu près, ne prenant même pas la peine de rentrer à l’intérieur de l’établissement.

Assis à la terrasse, il semblait en proie à une rêverie profonde. C’était Fantômas. Or, depuis quelque temps, depuis surtout la mort de sa maîtresse, le bandit semblait prostré, anéanti.

Le sinistre Maître de l’Effroi, que l’on soupçonnait cependant d’être l’auteur de ce crime abominable, avait-il des remords, ou simplement, innocent du forfait horrible, éprouvait-il un profond chagrin ?

Nul n’aurait pu le dire.

Lorsque la rafle s’était produite dans le cabaret du père Korn, Fantômas en avait eu les échos. Puis, voulant sans doute questionner Bouzille qu’il avait aperçu, passant sur le boulevard Barbès, il l’interpella.

— Bonjour Bouzille !

L’ancien chemineau se retourna et immédiatement reconnut le Maître de l’Effroi.

— C’est vous ? c’est toi, Fantômas ?

— Oui Bouzille. Ça va bien ?

— Pas mal et vous ?

Le bandit ne répondit pas. Simplement il demanda :

— Tu as vu l’arrestation ?

Bouzille, qui était d’une naïveté et d’une inconscience vraiment surprenantes, ne tremblait pas une minute devant le tortionnaire. Même, sa gaieté native reprenait le dessus et c’est en riant presque qu’il répondit :