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L’homme s’inclina légèrement devant Juve :

— Qui êtes-vous ? demanda enfin le policier qui, après avoir fixé longuement le nouveau venu, était obligé de se cramponner, non point parce qu’il avait peur, mais pour dissimuler le tressaillement nerveux que provoquait chez lui l’apparition soudaine de cet homme.

Et ses yeux se fixaient particulièrement sur la chevelure, une chevelure blonde et mate, sans brillant, sans reflet, une chevelure bizarre, étrange. L’homme cependant répliqua d’une voix grave et harmonieuse :

— Je suis, monsieur, quelqu’un qui vient vous demander justice.

— Parlez, fit Juve, cependant que Fandor qui s’était levé, regardait, avec une anxiété profonde, aussi bien le policier que son interlocuteur.

— Une femme que j’aime, déclara cet homme, a été mystérieusement, lâchement assassinée, une autre que j’affectionne profondément a disparu, en outre mes amis ont été trahis sans que je puisse savoir par qui.

— Et alors monsieur ? interrogea Juve.

— Alors, poursuivit l’inconnu, je viens vous demander votre appui.

Il sembla que cette déclaration faisait sur le policier, sur Fandor et même sur l’acteur Dick, une impression extraordinaire.

Juve répéta :

— Qui êtes-vous ? Qui êtes-vous ?

Et alors, brusquement, l’homme s’avança d’un pas au milieu de la pièce. D’un geste rapide, il arracha sa perruque, puis la foulant à terre, sous ses pieds, il poursuivit :

— À quoi bon cette comédie, Juve ? elle est indigne de nous. Voilà cinq minutes que vous m’avez reconnu et vous savez fort bien que devant vous se trouve Fantômas.

Le policier n’avait pas sourcillé.

— Je le sais, en effet, fit-il, j’attendais que vous ayez jugé bon de me le dire.

Le claquement sec d’une arme fit se retourner Juve et Fantômas. L’acteur Dick venait de tirer un revolver de sa poche :

— Fi donc, monsieur, articula Fantômas, laissez cela. Juve aurait pu me brûler la cervelle il y a déjà quelques instants, de même que j’aurais pu le tuer moi-même si je l’avais voulu. Laissez-nous en paix je vous en prie, il est évident que nous avons à causer.

Cependant que perplexe, Dick remettait son arme dans sa poche, un sourire errait sur les lèvres de Fandor. Seuls Juve et Fantômas demeuraient sévères.

Fantômas reprit, sombre :

— Je viens à vous, Juve, je me livre à vous. C’est une belle capture, n’est-il pas vrai, que vous allez faire ? Mais en échange, il me faut votre concours, votre appui. Il est un homme audacieux et téméraire qui me supplante, je veux le connaître. Je veux le tenir. C’est lui qui a tué lady Beltham. Il est vrai que je m’en suis déjà vengé en guillotinant Rose Coutureau.

— Pourquoi ? demanda Juve calmement.

— J’ai tué Rose Coutureau parce que cet homme devait être amoureux d’elle, qu’il la prenait en pitié tout au moins, puisqu’il avait déployé une belle énergie pour l’arracher du Dépôt.

Fandor ne put s’empêcher d’interroger à son tour :

— Ce n’était donc pas vous qui aviez embauché la grande Berthe, le soir des Buttes-Chaumont, pour aller prendre la place de Rose Coutureau ?

— Non.

Fandor insista :

— J’ai failli vous tuer chez le père Coutureau, si vous n’aviez pas imaginé de surmonter votre tête d’une tête de bois, que j’ai traversée d’une balle de revolver.

— Vous faites erreur, Fandor. L’homme que vous aviez en face de vous, ce n’était pas moi.

— Avant-hier, à Enghien, poursuivit Fandor, vous m’avez grisé, endormi par un soporifique, vous m’avez laissé seul dans une maison déserte, privé de sentiment.

— Ce n’est pas moi, Fandor, qui vous ai endormi. Si je l’avais fait, je vous aurais certainement tué ensuite. Avant-hier d’ailleurs, j’étais face à face avec Juve et si nous n’avions pas eu entre nous Sarah Gordon, nous nous serions fusillés à bout portant.

— Sarah Gordon, balbutia Dick, était-elle donc…

Mais Juve lui fit signe de se taire, et à son tour, il interrogea Fantômas :

— Vous avez jugé bon, déclara-t-il, de dénoncer vos amis, de faire surprendre le Bedeau, Bec-de-Gaz, Œil-de-Bœuf, n’est-ce pas ?

Mais Fantômas, d’un geste énergique protesta :

— Jamais, Juve, et semblable supposition ne devrait pas venir à votre esprit ! Je suis ce que je suis, tout ce qu’il vous plaira, mais pas un traître.

Le policier se croisait les bras :

— Assez parlé, dit-il, que voulez-vous ?

Le bandit redressa la tête, regarda Juve.

— Je ne veux qu’une chose, dit-il, vengeance d’abord, justice ensuite.

— En attendant, déclara Juve, je vous arrête.

Et il s’approchait du Maître de l’Effroi.

Fandor s’en était approché lui aussi, il connaissait trop Fantômas, il le connaissait assez, le monstre, pour tout redouter de lui.

Mais évidemment, Fantômas était subjugué, terrassé par quelque nouveau mystère, par quelque folle angoisse. Il était venu librement se livrer à Juve et librement encore, il se laissait prendre.

Juve lui passa les menottes, les doubla, d’un cabriolet, il ligota Fantômas, mais le policier répétait, comme s’il n’osait croire ce qu’il disait, à ce qu’il faisait :

— Je vous arrête, Fantômas, au nom de la loi.

Cependant que le bandit se contentait de répondre :

— Juve, faites votre devoir.

C’était une scène éminemment tragique et poignante. Cela était cependant.

Quelqu’un qui encore ne pouvait en croire ses yeux, c’était Jérôme Fandor.

Le journaliste s’était appuyé au dos d’une chaise,pour ne pas chanceler, tant il était ému. Il songeait tout bas :

— Il y a donc désormais Fantômas et Fantômas…

FIN

[1] - La ligne Montparnasse-Saint-Germain-des-Prés (ligne AM) appartenait à la Compagnie Générale des Omnibus. Un arrêté préfectoral du 12 mai 1906 autorisait la compagnie, à titre d’essai, à substituer sur cette ligne des voitures automobiles aux voitures à traction animale.

[2] - En 1910, le tarif, sur la plupart des lignes de Paris intra muros, était de 20 à 25 centimes (4 à 5 sous) en première classe et de 15 centimes (3 sous) en seconde classe. À titre indicatif, pour rire, en appliquant rigoureusement les coefficients de l’Insee, on peut calculer que 15 centimes 1911, date de parution de Fantômas, représentaient l’équivalent de 0,47 euro de 2008. Le ticket de métro (acheté en carnet) coûtait 1,14 euro au 1er juillet 2008…

[3] - Le faire à la pose : Se tenir avec affectation, faire des embarras, être prétentieux… (Dictionnaire d’argot de Bob : http://www.languefrancaise.net/).

[4] - - ou « pantre », dans le dictionnaire d’argot de Vidocq. « Homme simple, facile à tromper. Paysan. ».

[5] - Le Rendez-Vous des Aminches. Voir Juve contre Fantômas. (Fantômas N° 2).

[6] - Absinthe gommée : absinthe dans laquelle on avait versé du sirop de gomme. - Mêlé-cass (ou mêlé-casse) : boisson composée d’eau de vie et de cassis.

[7] - Le souvenir est encore tout proche de l’attaque de la Société Générale par la bande à Bonnot le 4 décembre 1911. Les attentats anarchistes qui avaient traumatisé la France à partir des années 1890, avec Ravachol, Auguste Vaillant ou Sante Geronimo Caserio et les violentes diatribes du Père Peinard, le journal d’Émile Pouget, avaient inspiré la loi sur la répression des menées anarchistes du 28 juillet 1894. Cette loi, qui fut qualifiée de « scélérate » ne fut abrogée qu’en… décembre 1992.