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Pendant ce temps-là, Rosalie et Clément, se faisant violence, le mépris et le dégoût au cœur, ce sont les termes de Clément, s'agenouillaient dans un confessionnal, recevaient l'absolution et communiaient. Ils suivaient régulièrement les offices, choisissaient à l'église les places les mieux éclairées et s'y faisaient remarquer par une attitude humble et repentante. Ils ne tardèrent pas à toucher la monnaie de leur hypocrisie. Leur confesseur commun les pressa bientôt de régulariser leur position en faisant sanctifier leur commerce par l'Église, et leur insinua même qu'on n'attendait que cet acte de soumission pour assurer leur avenir. Ils consentirent volontiers à un mariage qui était déjà dans leur pensée. La société de Saint-François-Régis, fondée en prévision du pauvre qui consent à faire sa femme de sa maîtresse, leur vint en aide comme elle fait pour d'honnêtes ouvriers. Elle se chargea naturellement de tous les frais, et leur fournit en outre, par une faveur spéciale, du linge, des habits, quelques avances en argent et un mobilier modeste. Ce n'est pas tout. Clément n'était pas marié depuis huit jours, qu'il reçut une lettre par laquelle le président de cette même société l'avertissait qu'il était chargé de lui offrir, en attendant mieux, une petite place actuellement vacante dans les bureaux de l'administration. Clément accepta. La persistance avec laquelle il soutint son rôle lui valut de nouvelles faveurs. Il lui fut permis dès lors d'espérer, sinon la fortune, du moins, prochainement, une aisance convenable. Tous ces faits étaient consignés scrupuleusement sur son journal qu'il comptait léguer, en cas de mort, à son ami Max qui pourrait y puiser les éléments d'un roman curieux…

Clément avouait encore que le fait seul de se démasquer en présence d'un ami lui procurait un bonheur qui approchait de la volupté. Il était capable de tout, et, cependant, mentir lui causait un supplice presque intolérable. Son mépris pour les croyances qu'on lui attribuait ne pouvait se comparer qu'à l'horreur secrète avec laquelle il se prêtait à des cérémonies qu'il jugeait ridicules. À présent au moins, au cas où son assiduité dans les églises s'ébruiterait, il se consolerait en songeant qu'il n'était plus seul à apprécier la valeur de sa conversion dérisoire.

«Mais, dit-il tout à coup, ce n'est pas là où j'en voulais venir.»

VI. Son portrait en pied.

Il prit en cet endroit un ton plus décidé.

«Tu es convaincu, toi, fit-il, que nous naissons avec le sentiment du bien et du mal, qu'il est un Dieu, une Providence; tu es la proie, en un mot, de toutes ces inepties hyperphysiques à l'aide desquelles on exploite les niais. Que ne puis-je t'arracher de désastreuses illusions et te soustraire du nombre des dupes! Regarde-moi! c'est ma jouissance et mon orgueiclass="underline" outre que je suis une négation vivante, agissante et prospère de ces croyances et de ces préjugés, fut-il jamais exemple plus éclatant du triomphe de l'ignominie habile sur ce qu'on appelle honnêteté, droiture, vertu?…»

Il s'arrêta d'un air interrogeant, et continua bientôt avec une animation croissante:

«Tu m'as dit quelquefois que j'étais meilleur que je ne me faisais. C'est me connaître mal. Je ne suis pas un fanfaron de vices, non, certes; aussi peux-tu me croire quand j'affirme que, si mauvaise que soit ma réputation, je vaux encore mille fois moins qu'elle. En passant la revue de tous ces actes qualifiés crimes par les hommes, je serais en peine d'en trouver un que je n'ai pas commis. Mon orgueil et mon égoïsme sont sans bornes; je sacrifierais, à l'occasion, le monde entier à la moindre de mes fantaisies. J'ai été beaucoup aimé, et je n'ai jamais aimé personne. Pendant nombre d'années, je n'ai vécu que de dettes. J'en faisais d'autant plus volontiers que je ne pensais pas pouvoir les payer jamais. J'ai puisé sans scrupule dans la bourse de mes amis, et je ne puis pas dire que je me sois jamais employé efficacement pour aucun d'eux. J'ai fait plus: je les ai diffamés dès qu'ils ne pouvaient plus ou ne voulaient plus me rendre service. Enfin, non content d'exploiter, de duper sciemment tous les gens que j'ai trouvés sur mon chemin, je me suis complu dans les plus ignobles débauches, je me suis roulé complaisamment dans la fange. Je n'ai pas même reculé devant l'infamie de vivre aux dépens de plusieurs femmes…»

En cet instant, sous l'empire d'une exaltation à chaque instant plus vive, il se leva et arpenta son cabinet à grands pas.

«L'idée de Dieu, poursuivit-il, n'a pas une seule fois été émise devant moi, que je n'aie sur-le-champ proféré un blasphème: je l'ai maudit, défié; ce Dieu; j'eusse voulu croire à son existence, afin d'être convaincu qu'il entendait ces blasphèmes et ces provocations; j'ai souhaité de revenir au temps où l'on vendait son âme… Regarde-moi!»

Debout devant Max, les bras croisés sur la poitrine, le visage livide, les traits contractés, l'impudence sur le front, Clément faisait peur à voir. Il ajouta:

«Moi, pétri d'iniquités, gâté jusqu'à la moelle, chargé de souillures; moi, dont chaque molécule est un vice; moi, plus criminel que pas un de ceux qu'on livre aux bourreaux et qu'on jette dans les prisons, il m'a suffi de prendre un rôle ignoble, de simuler des sentiments que j'exècre, de consentir à être plus infâme que je n'étais, pour passer de la misère à l'aisance, pour conquérir la sécurité, pour être heureux!…»

Destroy exprimait des doutes en branlant la tête d'un air plein de tristesse.

«Je pourrai être soumis aux douleurs physiques, dit encore Clément; quant aux douleurs morales, je n'en veux point avoir, et je n'en aurai point. Je serai heureux! moi, le plus indigne des hommes au point de vue social, pendant que toi, pauvre Maximilien, aussi honnête que je le suis peu, tu vis et vivras misérable, déchiré de mille supplices, humilié, insulté et calomnié par des gens de mon espèce.»

Ce qui était contradictoire, il disait: Je serai heureux! de la manière dont on dit: Ah! que je souffre! Max ne lui en fit pas moins remarquer que son bonheur d'aujourd'hui, fût-il réel et profond, ne lui permettait d'aucune façon de préjuger celui de l'avenir.

«Ce que je tiens, s'écria Clément, il n'est pas de puissance humaine qui puisse faire que je m'en dessaisisse. Quant aux idées qui prétendraient me troubler intérieurement, j'en connais trop bien la source artificielle pour manquer jamais de la force de les fouler aux pieds. Craindrais-je les hommes? Rien n'est plus facile que de leur en imposer. Je mentirai effrontément en leur présence, je me montrerai à eux tel qu'ils veulent que je sois, et j'aurai leur considération.

– Es-tu donc aussi assuré contre l'impuissance de vivre avec toi-même? demanda Destroy.

– Après? fit Clément. Je serai toujours le maître de mettre un terme à une vie insupportable. Las de jouissances ou d'ennuis, j'embrasserai la mort, je me plongerai dans le néant, je m'endormirai d'un sommeil éternel.

– Qu'en sais-tu, dit Max avec commisération.

– Un Dieu ne saurait être! répliqua Clément d'un ton de véhémence indicible. D'où sortirait-il? Pourquoi serait-il plutôt Dieu que moi? D'ailleurs, ce Dieu qui connaîtrait le passé et l'avenir, qui embrasserait absolument toutes choses d'un coup d'œil, pour lequel il ne saurait y avoir ni joie, ni peine, ni imprévu, serait saisi d'un ennui incommensurable et mourrait de son éternité même…»

Destroy, qui savait par cœur ces tristes arguments, ne connaissait rien de plus affligeant que de discuter avec des hommes capables de s'y arrêter.