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Le lendemain même de ce jour, Destroy alla chez Clément, qui le reçut avec humeur.

«Es-tu fou? s'écria-t-il. Comment! tu vas t'amuser à catéchiser Rosalie! À quoi penses-tu? Qu'avais-tu besoin de lui dire qu'il y a un Dieu, une vie éternelle, des châtiments, et le reste?

– J'ai répondu à ses questions, dit Max, voilà tout.

– Il fallait alors lui répondre, dit Clément avec énergie, qu'il n'est de Dieu que pour les idiots, que la mort c'est le néant, que les châtiments et les récompenses sont des inventions saugrenues de l'homme.

– À cause de quoi? fit Max interdit.

– Tu ne veux pas, j'imagine, apporter le trouble dans mon ménage! répliqua Clément d'un trait. Voilà maintenant que Rosalie ne me laisse de repos ni jour ni nuit, et me fatigue de tous ces rabâchages… J'attends de toi un service.

– Quel est-il?

– Il faut que tu défasses ton ouvrage; que, par insinuations, tu étouffes, dans l'esprit de ma femme, la mauvaise graine que tu y as semée.

– Je ne puis faire cela, dit Max fermement.

– Ainsi donc, s'écria Clément furieux, il faut, parce que cela te plaît, que je souffre, moi, que je sois crucifié pour des opinions sur lesquelles je crache!

– Je te promets seulement, repartit Destroy, d'éluder les questions de Rosalie, s'il arrive qu'elle me questionne de nouveau là-dessus.

– Eh bien, d'accord, dit Clément. Tu souffriras en outre, sans souffler, que je la raille devant toi de ses sottes visions.»

Ils parlèrent ensuite du vieux Frédéric.

«Que fait-il? demanda Clément. Il est donc au service de ton amie?

– Ah! fit Destroy avec enthousiasme, ce vieillard est réellement admirable! Quarante-cinq de ses années, il en a soixante, ont été comblées par le travail. La perte totale de ses économies, à la mort de son patron, ne lui a pas arraché une plainte. Il ne s'est préoccupé que de Mme Ducornet et de sa fille. Il les a contraintes d'accepter ses services et s'en est constitué le serviteur presque de force. Il se tient toute la journée à la disposition de Mme Thillard. Non content de cela, il emploie les deux tiers peut-être de ce qu'il gagne le soir à tenir des livres, au soulagement des deux femmes.

– C'est un vieil imbécile!» fit sur-le-champ Clément d'un air de dédain suprême.

IX. À la campagne.

Il y avait environ quatre mois que Rosalie n'avait vu son enfant; elle en parlait sans cesse, elle se mourait de l'envie de l'embrasser. Dans ce désir, chaque jour plus vif, elle puisa passagèrement quelques forces. Il fut convenu, un samedi soir, entre elle, son mari et Max, que le lendemain ils iraient tous trois à Saint-Germain.

À en juger par les dispositions de la pauvre femme, au départ, il eût été difficile d'augurer mal du voyage. Le contentement agissait sur Rosalie au point de ramener sur sa figure des apparences de santé. La rapidité du convoi, le grand air, les panoramas pleins de soleil qui défilaient sous ses yeux, accumulaient en elle impression sur impression et la plongeaient dans le ravissement. Le sang colorait ses joues pâles; ses yeux brillaient de plaisir et éclairaient tout son visage; elle semblait décidément renaître. Son mari épiait les progrès de cette transformation d'un air d'intérêt non équivoque et en marquait une vive joie, ce qu'il faisait, comme toujours, au moyen de plaisanteries d'un goût contestable. Destroy, de son côté, observait ces détails avec plaisir et y voyait les présages, pour Clément et sa femme, d'une journée exceptionnellement calme et heureuse.

Chose surprenante, qui troubla profondément Destroy, ce qui, dans sa pensée, devait compléter le bonheur de ses amis et l'étendre, y mit brusquement un terme. Tout en Rosalie s'effaça d'abord devant l'amour maternel. À peine eut-elle passé le seuil du domicile de la nourrice, que, courant au berceau de son fils, elle saisit l'enfant dans ses bras et le couvrit de caresses et de larmes. Elle l'envisagea ensuite avec une curiosité fébrile, comme pour juger de sa mine et de sa croissance. Le jour de la fenêtre tombait en plein sur l'enfant. L'examen auquel se livrait la mère produisit instantanément sur elle l'effet d'une catastrophe. Elle redevint pâle; son œil s'ouvrit outre mesure; la consternation, puis l'épouvante, se répandirent sur son visage. Clément, lui aussi, perdait soudainement sa gaieté. Il regardait cette scène, le front plissé, les sourcils joints, l'air morne et plein d'inquiétude. Max comprenait d'autant moins ce qu'il voyait, que l'enfant, qui pouvait avoir quinze mois, outre qu'il était d'une beauté remarquable, paraissait, pour son âge, doué d'une force peu commune. Il avait les joues et les lèvres roses, de grands yeux noirs, des sourcils arqués qui semblaient dessinés avec un pinceau, et, par-dessus cela, d'épais cheveux bruns, soyeux et bouclés, qui rehaussaient encore la blancheur éclatante de son teint.

«Regarde!» fît tout à coup Rosalie d'une voix éteinte en présentant l'enfant à son mari.

Clément le prit dans ses bras et considéra attentivement ses traits. Il le rendit presque aussitôt à la mère avec des marques de doute et de terreur.

«Ton obstination n'est pas raisonnable, balbutia-t-il en détournant la tête. Je te jure que tu te trompes.»

Et il se mit à mesurer la chambre à grands pas.

«Il est bien mignon, disait la nourrice avec un attendrissement affecté. On en fait ce qu'on veut. S'il ne rit jamais, il ne pleure pas non plus. Quand il a ce qu'il lui faut, il ne bouge pas plus qu'un terme; on dirait qu'il réfléchit.»

L'enfant, pendant ce temps-là, regardait alternativement son père et sa mère d'un air glacial et ajoutait ainsi à leurs angoisses. Clément parut incapable de supporter plus longtemps le poids du regard de son fils.

«Voyons, la mère, dit-il d'un ton impérieux à la nourrice, prenez l'enfant, tandis que nous irons faire un tour dans la forêt.»

Rosalie adressa à son mari un regard rempli de mélancolie et de découragement.

«Bah! fit Clément en haussant les épaules. Sortons!…»

Durant la promenade, Clément, en apparence maître de lui-même, essaya plusieurs fois de rompre un silence pénible; mais ni Rosalie, plongée dans une invincible prostration, ni Max, sous l'empire d'impressions puissantes, ne le secondèrent. Ce n'était plus seulement l'étonnante pantomime de Clément et de sa femme, à la vue de l'enfant, qui troublait Destroy; à cela se joignaient, pour le bouleverser, les remarques que lui avait suggérées l'observation attentive de ce même enfant. Au fond de son souvenir gisait une physionomie identique à celle du fils de Rosalie. Où l'avait-il vue? C'est ce qu'il ne pouvait se rappeler. Puis, cet enfant ne ressemblait nullement ni à son père ni à sa mère. Il n'avait pas seulement une chevelure d'un noir de jais, quand Clément et Rosalie avaient des cheveux qui tiraient sur le blond, il avait encore des traits qui leur étaient totalement étrangers. Outre cela, ce qui frappait bien davantage, sa jolie figure n'annonçait ni sensibilité, ni intelligence; elle conservait, même sous les plus tendres caresses, l'impassibilité de l'idiotisme. Les agaceries de sa nourrice n'étaient pas parvenues à le faire sourire; ses lèvres étaient restées closes comme son cœur semblait muet. Il s'était borné à examiner opiniâtrement son père et sa mère avec une indifférence stupide. Destroy, qui aimait beaucoup les enfants, avait ressenti insensiblement une telle froideur à l'examen de celui-ci, qu'il n'avait pas même songé à l'embrasser. Vingt sensations l'avaient assailli graduellement, et sa curiosité, un moment assoupie, au sujet du mystère qui pesait sur l'existence de Clément, s'était réveillée avec une intensité nouvelle.