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— Achetez-en une autre, conseilla Charlie, pour la vingtième fois, peut-être.

— C’est cher, répondit, comme toujours, Mrs. Johnson.

MacGrown ne dit rien.

— Croyez-moi, même la nuit elle me dérange…, continua Mrs. Johnson.

— La nuit ? s’anima Charlie. Mais asseyez-vous donc…

— Savez-vous, MacGrown, la nuit c’est encore pire que le jour, ajouta la dame. Le jour, je l’oublie un peu…

— Et vous voudriez que la main ne vous tracasse pas la nuit ? demanda Charlie, un sourire énigmatique aux lèvres.

— Si je le veux ? Mon Dieu ! Je donnerais tout pour cela ! s’exclama Mrs. Johnson.

— Pourquoi tout ? Cela vous coûtera beaucoup moins, remarqua Charlie. Vous ferez des rêves.

— Des rêves ? fit d’une voix désenchantée Mrs. Johnson.

— Oui, tous les rêves que vous voudrez. Et vous oublierez votre douleur…

Mrs. Johnson se taisait, ne sachant que dire.

— Par exemple, de quoi voudriez-vous rêver cette nuit ?… lui demanda Charlie.

2

— Pour trois heures du matin, j’avais choisi le sermon dominical du Révérend Père Martin, dit la dame aux cheveux blancs, levant pieusement les yeux, et vous m’avez passé une course de taureaux.

— Il y a dû y avoir un léger déphasage…

— Peut-être, d’après vous, le Révérend Père Martin et un taureau c’est la même chose, prononça, sans l’écouter, la dame d’une traite.

— Je n’ai pas dit cela, sourit MacGrown.

— Il ne manquerait plus que ça ! la dame faillit s’étrangler d’indignation.

— Convenez que toutes vos commandes précédentes…

— Oui, mais les taureaux, vous comprenez : les taureaux !… Le chignon de la dame frétillait de colère.

— J’espère que cela n’arrivera plus, dit MacGrown, conciliant. Voyez-vous, il y a tant de commandes dans la ville…

— Je comprends, dit la dame.

— Peut-être n’en voulez-vous plus…, fit MacGrown avec un geste d’impatience.

— Oh, non, Mr. Charlie, s’effaroucha la dame. Elle posa sur la table une enveloppe et dit : — Cette nuit, je voudrais revoir mon regretté mari… Elle se tut un instant et porta un mouchoir de dentelle à ses yeux.

— Avez-vous une photo de lui ? demanda Charlie.

— Certainement, je sais bien que…, s’affaira la dame. Je sais bien… Je vous en prie ! fit-elle en tendant à MacGrown une photo décolorée. Un homme maigre, aux pommettes larges, revêtu d’un uniforme flambant neuf de cosmonaute long-courrier, regardait Charlie un peu dédaigneusement.

— Eh bien, c’est faisable, dit MacGrown, en mettant la photo sur l’enveloppe.

— Comme je vous suis reconnaissante ! et rayonnant de joie, la dame se dirigea vers la porte.

— Personne suivante ! cria MacGrown vers le couloir.

Un gaillard aux épaules raides, d’allure sportive, faillit bousculer la dame en entrant.

— Encore à crédit ? questionna sévèrement MacGrown.

— Parole d’honneur, c’est la dernière fois, Mr. Charlie, sourit le gaillard d’un air coupable.

— Que voudrais-tu pour la nuit ?

— Même chose, dit le gaillard, regardant Charlie. Une rie déserte quelconque. Pour qu’il n’y ait personne là-bas. Et le silence… Cette sacrée chaîne me rendra bientôt fou, c’est sûr.

— O. K., dit MacGrown. On te trouvera une île. Tu n’as pas changé d’adresse ?

— Non, j’ai les mêmes coordonnées.

— Eh bien, vas-y.

Réconforté, le garçon se dirigea à pas rapides vers la sortie, comme s’il craignait que MacGrown ne se ravise.

— Tiens, lui lança MacGrown, dis-leur que je ne reçois plus. Ça suffit, on ferme.

Par la porte ouverte, on entendit la rumeur des voix mécontentes.

— Trente clients, c’est la limite, annonça MacGrown, retenant les battants avec les deux mains. Vous êtes beaucoup, moi, je suis seul. Revenez tôt demain matin.

— C’est mon tour, dit une jeune fille au visage pâle. Ne pourriez-vous pas me recevoir ?

— Non, chère mademoiselle, impossible. La puissance est déjà au maximum, dit MacGrown en refermant la porte.

C’était vrai. Le bioémetteur de MacGrown fonctionnait à plein régime chaque nuit, mais Charlie n’était pas capable de satisfaire toutes les commandes. C’était comme une avalanche de neige qui grossissait chaque jour. Un client voulait voir en rêve son ami d’enfance, perdu depuis longtemps dans le tourbillon de la vie. Un autre désirait chasser dans la jungle, comme c’était décrit dans un livre d’aventures. Tel autre s’intéressait, à des fins éducatives, aux boîtes de Montmartre… Et ainsi de suite.

Il faut dire que tous les clients ne quittaient pas MacGrown satisfaits. Il devait en refuser certains. Cela dans les cas où il ne disposait pas des informations requises. Cela arrivait parfois, même si la maison débordait d’ouvrages de référence et de bobines de films. Quant au compte en banque… Charlie vint à la fenêtre et considéra avec plaisir le solide édifice de la banque.

Tout allait bien, et seul l’incident de la dame aux cheveux blancs gâchait sa bonne humeur.

Six mois plus tard, l’ingénieur Charlie MacGrown emménagea dans une maison neuve. Son propriétaire, patron d’une fabrique de photocellules pour robots, qui venait d’être ruiné, était parti vivre en banlieue, se réservant le droit à vie de commander à MacGrown les rêves de son choix.

L’entreprise de MacGrown employait déjà une trentaine de personnes, qui devaient se démener pour faire face au flot des commandes. MacGrown continuait à entourer son invention du plus strict secret. Les nouveaux bioémetteurs perfectionnés étaient placés dans un sous-sol profond, dont les fenêtres étaient blindées. MacGrown y fit encore installer une protection électrique, qui interdisait même à un moineau de s’approcher impunément des fenêtres du mystérieux sous-sol.

Du haut de son balcon, MacGrown regardait maintenant souvent du côté de la banque, et presque jamais du côté de la prison. Surtout depuis quelque temps, son regard se posait toujours plus souvent sur l’hôtel de ville et songer au poste de maire châtouillartson amour-propre.

A plusieurs reprises, dans divers quartiers de la ville, MacGrown vit surgir des concurrents, qui avaient dû se douter de quelque chose. Ils tentaient de faire tomber les prix des songes, mais leurs méthodes n’étaient pas au point, et les clients ne tardaient pas à les déserter. Le secret majeur de Charlie MacGrown, qui résidait dans le réglage de l’émetteur en résonance avec l’alpha-rythme du cerveau du client, restait inviolé. Pourtant, par quatre fois, MacGrown dut faire publier dans la presse cette annonce :

« Méfiez-vous des contrefaçons ! Seule la compagnie de Charlie MacGrown offre à ses clients les authentiques songes multicolores de qualité supérieure et de leur choix. Méfiez-vous des contrefaçons !  »

Depuis quelque temps, on voyait, même à l’œil nu, que la vie avait ralenti à Tristown.

Tôt le soir, le bourg s’immobilisait. Les rues se vidaient. Chacun était pressé de rentrer chez lui, de se mettre au lit, d’oublier ses peines et ses ennuis et de retrouver en rêve les êtres chers, revoir ceux qui n’étaient plus de ce monde…

Une drôle d’indifférence gagnait petit à petit les habitants de Tristown. L’indolence était omniprésente. Entre autres choses, l’intérêt pour les spectacles en tous genres tomba sensiblement. Presque personne n’allait plus au cinéma. Les lieux de plaisir faisaient faillite l’un après l’autre. Le fameux cabaret « la Coupole rose », en face duquel MacGrown logeait il y a un an dans un pavillon minable, ferma faute de clients, et son patron se tira une balle dans la tête.

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