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Alors on pense à copier l'insecte social (l'emblème de Napoléon n'était-il pas une abeille?). Les phéromones qui inondent la fourmilière d'une information globale, c'est aujourd'hui la télévision planétaire qui nous transmet à tous les mêmes images, les mêmes pensées, les mêmes musiques. L'homme croit qu'en offrant à tous ce qu'il estime le meilleur, il débouchera sur une humanité parfaite.

Ce n'est pas le sens des choses.

La nature, n'en déplaise à Mr Darwin, n'évolue pas vers la sélection des meilleurs. (Selon quels critères, d'ailleurs?)

La Nature puise sa force dans la diversité. Il faut des bons, des méchants, des fous, des désespérés, des sportifs, des grabataires, des bossus, des siamois, des becs de lièvre, des gais, des tristes, des intelligents, des imbéciles, des égoïstes, des généreux, des petits,d es grands, des Noirs, des Jaunes, des Rouges, des Blancs, il en faut de toutes les religions, de toutes les philosophies, de tous les fanatismes, de toutes les sagesses… Le seul danger est qu'une de ces espèces soit éliminée par une autre.

On a constaté que les champs de maïs artificiellement conçus par les hommes et composés des frères jumeaux du meilleur épi (celui qui a besoin du moins d'eau, celui qui résiste le mieux au gel, celui qui donne les plus beaux grains) mourraient tous d'un coup à la moindre maladie, alors que les champs de maïs sauvage composé de plusieurs souches différentes, ayant chacune leurs spécificités, leurs faiblesses, leurs anomalies, arrivent toujours à trouver une parade aux épidémies.

La Nature hait l'uniformité et aime la diversité. C'est là peut-être que se reconnaît son génie.

S ingapour, ville ordinateur

Singapour est un pays neuf avec une population restreinte: trois millions d'habitants pour la plupart chinois. Profitant de cette situation exceptionnelle, Lee Kwan Yew, ingénieur et Premier ministre, a tenté de fonder le premier état ordinateur.

Comme il le dit lui-même:"Les citoyens singapouriens sont les puces électroniques d'un ordinateur géant: la République de Singapour". Lee Kwan Yew est un pragmatique. Il a commencé par assurer la sécurité de son petit Disneyland contre ses grands voisins envieux et agressifs: Malaisie (16 millions d'habitants) et Indonésie (170 millions d'habitants), par une armée high tech équipée des machines les plus sophistiquées. Voilà pour l'extérieur.

Pour l'intérieur, il veut que l'ordre règne parmi ses petites puces électroniques. Il range d'un côté la ville touristique, de l'autre la ville économique, et crée ensuite la ville-dortoir. Les trois sont rigoureusement séparées par une frontière composée de cinq kilomètres de pelouse nickel. Il édicte des lois très strictes:interdiction de cracher par terre (1500F d'amende), de fumer en public (1500F d'amende), de jeter un papier gras (1500F d'amende), d'arroser ses pots de fleurs en laissant de l'eau stagner (cela attire les moustiques:1500F d'amende), de se garer dans le centre ville.

L'Etat embaume le savon. Si un chien aboie la nuit, on lui coupe les cordes vocales. Les hommes doivent toujours porter des pantalons même s'il fait chaud. Les femmes doivent toujours porter des bas même en pleine canicule. Toutes les voitures sont équipées d'une sirène interne qui vous assourdit dès que vous dépassez 80 km/h. A partir de six heures, il est interdit de rouler seul dans son automobile, il faut transporter ses collègues de travail ou des auto-stoppeurs afin d'éviter les encombrements et la pollution (sinon 1500F d'amende).

Il est ainsi possible de suivre les déplacements de tous les habitants sur un grand tableau lumineux. Dès qu'on pénètre dans un immeuble, il faut donner son nom au gardien qui se tient en permanence devant la porte. La ville entière est truffée de caméras vidéo.

Singapour est une démocratie, mais pour que les gens ne votent pas n'importe quoi, on note leur numéro de carte d'électeur sur leur bulletin de vote. Le vol, le viol, la drogue, la corruption sont passibles de la peine de mort par pendaison. La condamnation au fouet existe toujours. Lee Kwan Yew se considère comme un père pour tous ses administrés. Il emprunte des idées à la fois au communisme et au capitalisme pour ne penser qu'à l'efficacité. L'Etat encourage l'enrichissement personnel (les Singapouriens jouissent du deuxième niveau de vie d'Asie, juste après le Japon, et boursicotent à tout va) mais les logements sont offerts aux étudiants.

Tous les cultes sont autorisés, mais la presse est filtrée: pas de journaux parlant de sexe ou de politique. En 1982 Lee Kwan Yew s'aperçoit que, vieux réflexe pas spécifiquement chinois, les hommes intelligents se marient avec des femmes jolies mais bêtes alors que les femmes intelligentes ont du mal à trouver des maris. Il décide dès lors de donner une prime à quiconque épousera une femme diplômée et une amende aux non diplômées qui dépasseront l'enfant unique. Quant aux analphabètes, ils sont vivement encouragés à se faire stériliser en échange d'une forte somme d'argent. Lee Kwan Yew fait construire des écoles pour surdoués et organise des croisières gratuites pour les gens de niveau d'étude très élevé.

Il constate qu'on ne peut bien éduquer que deux enfants à la fois. Le soir, la police téléphone aux familles ayant déjà deux enfants pour leur rappeler de ne pas oublier de prendre la pilule ou d'utiliser un préservatif.

Lee Kwan Yew est parvenu à transformer son état expérimental en "Suisse de l'Asie". Pourtant sa police a une limite. Le jeu. "On peut tout faire accepter à un Chinois, sauf de s'arrêter de jouer au mah-jong", admit-il dans une de ses allocutions.

Y a-t-il une censure?

Autrefois, afin que certaines idées jugées subversives par le pouvoir en place n'atteignent pas le grand public, une instance policière avait été instaurée: la censure d'Etat, chargée d'interdire purement et simplement la propagation des úuvres trop subversives.

Aujourd'hui la censure a changé de visage. Ce n'est plus le manque qui agit mais l'abondance. Sous l'avalanche ininterrompue d'informations insignifiantes, plus personne ne sait où puiser les informations intéressantes. En diffusant à la tonne toutes sortes de musiques similaires, les producteurs de disques empêchent l'émergence de nouveaux courants musicaux. En sortant des milliers de livres par mois, les éditeurs empêchent l'émergence de nouveaux courants littéraires. Ceux-ci seraient de toute façon submergés sous la masse de la production. La profusion d'insipidités identiques bloque la création originale et même les critiques qui devraient filtrer cette masse n'ont plus le temps de tout lire, tout voir, tout écouter.

Si bien qu'on en arrive à ce paradoxe: plus il y a de chaînes de télévision, de radios, de journaux, de supports médiatiques, moins il y a diversité de création. La grisaille se répand.

E conomie – Croissance

Jadis les économistes estimaient qu'une société saine est une société en expansion. Le taux de croissance servait de thermomètre pour mesurer la santé de toute structure: Etat, entreprise, masse salariale. Il est cependant impossible de toujours foncer en avant, tête baissée. Le temps est venu de stopper l'expansion avant qu'elle ne nous déborde et nous écrase.

L'expansion économique ne saurait avoir d'avenir. Il n'existe qu'un seul état durable: l'équilibre des forces. Une société, une nation ou un travailleur sains sont une société, une nation ou un travailleur qui n'entament pas et ne sont pas entamés par le milieu qui les entoure. Nous ne devons plus viser à conquérir mais au contraire à nous intégrer à la nature et au cosmos. Un seul mot d'ordre: harmonie. Interpénétration harmonieuse entre monde extérieur et monde intérieur.

Le jour où la société humaine n'éprouvera plus de sentiment de supériorité ou de crainte devant un phénomène naturel, l'homme sera en homéostasie avec son univers. Il connaîtra l'équilibre. Il ne se projettera plus dans le futur. Il ne se fixera pas d'objectifs lointains. Il vivra dans le présent, tout simplement.