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Juve et Fandor eurent la même inspiration, et se glissèrent l’un et l’autre sous le meuble.

— C’est là, avait murmuré Juve, qu’il doit y avoir un dispositif quelconque pour s’échapper, si toutefois la pièce comporte quelque truquage.

Les deux hommes, consciencieusement, respiraient sous le canapé une poussière lourde et épaisse, lorsque, soudain, ils s’arrêtèrent net de parler. Ils venaient d’entendre du bruit. Pénétrait-on dans la pièce ?

D’un geste instinctif, Juve et Fandor s’enfoncèrent encore plus sous le divan, de façon à se dissimuler complètement. Les deux hommes s’étaient introduits de telle sorte sous ce canapé que, par un heureux hasard, ils se trouvaient nez à nez et pouvaient s’entretenir à voix basse, sans risque d’être entendus.

— Zut, nous voilà bouclés ici pour je ne sais combien de temps.

— Ce n’est pas gai, Juve, mais enfin, il faut se résigner.

Les deux amis pouvaient parler à mi-voix sans crainte d’être entendus, les hommes qui pénétraient, et il y en avait au moins une dizaine, faisaient un tapage du diable, qui, à coup sûr, couvrait complètement la conversation du journaliste et du policier.

Les nouveaux arrivants avaient fermé la fenêtre, et, petit à petit, la chaleur montait dans la pièce avec une rapidité extraordinaire. Juve et Fandor en étaient les premiers incommodés, car, tout à côté d’eux, sous le divan, courait le tuyau métallique du chauffage.

Ils dressèrent l’oreille :

— Bonjour, patron, firent plusieurs hommes en même temps.

— Bonjour les enfants, bonjour, répondit une voix joviale et autoritaire.

Juve et Fandor ne pouvaient s’y tromper, c’était la voix de Fantômas.

— Ah çà, pensa Fandor, Juve s’est donc trompé ? Est-ce ce soir au lieu de demain qu’a lieu le rendez-vous ? Si Fantômas nous découvrait dans notre cachette, il aurait tout le loisir voulu pour nous canarder à bouf portant, sans même que nous puissions dire ouf.

Juve n’était pas moins étonné que son compagnon… Certes, il était convaincu qu’il ne s’était pas trompé de jour, et que c’était bien le lendemain seulement que Fantômas devait se retrouver dans ce restaurant avec les Granjeard, mais, il se demandait quels étaient les hommes qui tenaient compagnie au bandit. C’était toute la bande, la bande noire au complet, qui se trouvait là. Bec-de-Gaz et Œil-de-Bœuf, le terrible Bébé, le lugubre Mort-Subite, un certain Julot, et quelques autres encore.

La chaleur augmentait sensiblement dans la salle, eu égard à la présence d’aussi nombreux convives. L’un d’eux avait suggéré d’ouvrir la fenêtre, mais Fantômas s’y était opposé :

— Laisse-la fermée, avait-il ordonné, et tire même bien les rideaux, il est inutile que l’on nous voie du dehors, à plus forte raison, il ne faut pas ouvrir ni même entrebâiller la fenêtre.

— Mais pourquoi ? avait demandé un colosse écarlate.

— À cause des mouches, avait répondu Fantômas.

Éclat de rire général. Tout le monde avait compris la charmante plaisanterie du sinistre criminel. On sait que c’est le mot qui sert dans la pègre à désigner les policiers et les agents de la Sûreté.

Les plus échauffés n’hésitèrent pas à quitter leurs vestes et leurs faux cols, voire même leurs gilets. On buvait ferme, on fumait beaucoup dans la salle, l’atmosphère y devenait irrespirable.

Entre-temps, Fantômas, qui paraissait décidément l’homme le plus aimable de la terre, causait aux uns et aux autres, prenait quelques hommes à part, et il semblait résulter de ces entretiens particuliers ou généraux que le sinistre bandit avait convié ses amis à une petite fête intime et cordiale, tant pour les remercier de leur précieuse collaboration, que pour les mettre sur la piste de nouvelles bonnes affaires à réaliser.

— Et vous savez, concluait Fantômas, c’est pas la galette qui manquera, je n’ai qu’une parole et je la tiens. Voilà six mois que dans les diverses opérations que nous avons faites, vous avez été payés largement, plus qu’il ne vous était dû.

— Ça, reconnut-on d’une façon générale, c’est exact.

Juve, depuis quelques instants, se livrait à une gymnastique délicate et compliquée, qui intriguait singulièrement Fandor. Le policier, jusqu’alors couché sur le ventre, essayait de se retourner pour se mettre sur le dos.

— Vous avez des crampes ? lui demanda tout bas Fandor.

— Non, fit Juve, mais je veux le voir.

Le policier parvint à se mettre sur le côté, mais, ainsi que Fandor, il éprouva soudain une grosse émotion. Il avait trop remué, le sofa avait bougé, si l’on s’en était aperçu, c’en était fait d’eux. Mais, par bonheur, à ce moment Œil-de-Bœuf et Bec-de-Gaz qui commençaient à être ivres, avaient voulu protester mutuellement de leur inaltérable amitié et avaient cherché à s’embrasser. Ils étaient tombés sur le canapé, au grand éclat de rire de l’assistance.

Cela sauvait Juve et Fandor, mais cela contusionnait aussi le policier, car, sous le poids des deux ivrognes, les ressorts fatigués du divan avaient très violemment comprimé Juve entre le dessous du canapé et le plancher.

Juve, en écartant insensiblement le volant de cuir qui garnissait le bas du divan, avait vu Fantômas et s’était aperçu que, malgré la température élevée de la pièce, le bandit avait conservé son pardessus.

— Pourquoi ? se demandait-il, ne le quitte-t-il pas ?

Fandor se faisait machinalement la même question, et, Juve, le pressentant, expliqua à l’oreille de son ami :

— Parbleu, je comprends tout. C’est très simple. Tu sais ce que je t’ai raconté tout à l’heure à savoir que le Bedeau, lorsqu’il a tiré à bout portant sur Fantômas a cru que le bandit était invulnérable, lorsqu’il a vu que la balle de son revolver ricochait sur son pardessus au lieu de pénétrer dans le vêtement ou dans le corps. Cela tient tout simplement à ce que Fantômas a sur lui quelque chose à la fois d’assez mince et d’assez épais pour intercepter tout projectile. Seules des feuilles de papier en nombre suffisant peuvent avoir constitué semblable bouclier.

— Possible, et alors ?

— Alors, Fantômas porte sur lui en ce moment, sous son pardessus, les billets de banque qu’il a escroqués à la famille Granjeard.

— Soit. Alors ?

— Alors, il va s’agir de l’obliger à retirer son pardessus, pour que nous puissions nous en emparer et voler ce voleur.

Fandor pensa :

— Juve est fou. Il a complètement perdu la tête. Ce séjour sous ce sofa ne lui vaut absolument rien.

Le journaliste ne répondit rien. Il se contenta de regarder les gestes bizarres qu’accomplissait son ami. Juve s’était remis à plat ventre. Il se refoula aussi loin qu’il le put, sous le canapé et parvint à atteindre, de sa main droite, le robinet permettant de doser le chauffage. Progressivement, Juve l’ouvrit. La vapeur pénétra dans les radiateurs qui entouraient la salle, et, peu à peu, la température s’éleva encore dans la pièce.

Les apaches, qui, s’ils redoutaient Fantômas, n’avaient guère cependant de formules respectueuses à son égard, commençaient à le plaisanter de conserver obstinément son pardessus.

Ces railleries devaient gêner Fantômas. Rester couvert et vêtu comme il l’était dans un lieu surchauffé ne pouvait être que suspect. Et Fantômas connaissait bien trop son monde pour ne pas savoir que ses complices allaient se douter de quelque chose.

On blaguait Fantômas. On insistait lourdement :

— C’est-y murmurait-on, qu’il a froid dans les moelles pour rester comme ça avec sa pelure.

— Ou alors, suggérait un autre, c’est-y qu’il a des nippes cousues d’or à l’intérieur du manteau.

Le policier qui suivait la scène du coin de l’œil, tout d’un coup, laissa presque échapper un petit cri de triomphe :

Fantômas, en effet, cédant aux moqueries dont il était l’objet, d’un geste brusque et décidé, venait d’ôter son pardessus et l’avait jeté pêle-mêle avec les autres vêtements qui se trouvaient entassés sur une chaise, tout à proximité du divan :