Выбрать главу

— Bravo, murmura Fandor en pinçant le bras de Juve, voilà qui est bien travaillé.

Le policier secoua la tête et il murmura :

— Ce n’est pas fini.

Juve, en effet, tentait maintenant d’attirer à proximité du divan le pardessus de Fantômas et de le fouiller sans que nul ne pût s’en apercevoir. Comment allait-il faire ?

Le moindre geste inopportun, le moindre bruit insolite, et c’était la mort.

Ce fut l’inénarrable Bec-de-Gaz qui, sans s’en douter, vint en aide au policier. Bec-de-Gaz était complètement ivre, on pouvait lui tendre les embûches les plus grossières, il était incapable d’en deviner la nature ; Juve attendit le moment précis où Bec-de-Gaz en titubant passerait à proximité du divan. Ce moment se présenta enfin, et, comme les gros souliers de l’apache traînaient sur le plancher, tout à côté du canapé, Juve allongeant brusquement le bras, accrocha la jambe de l’ivrogne et le fit s’étaler de tout son long. Le policier avait bien calculé son geste. Bec-de-Gaz en proférant un juron épouvantable, tomba la tête en avant, le nez sur la chaise surchargée de vêtements, la chaise s’écroula, les vêtements tombèrent par terre, le pardessus de Fantômas, entraîné dans la chute, vint se placer à portée de main de Juve.

Téméraire, Juve attira d’un geste brusque le vêtement sous le canapé. D’une main fiévreuse, il palpa la doublure. Elle était vide, Fantômas se méfiait sans doute de ses amis. Mais le dépit de Juve devait se transformer en une inquiétude beaucoup plus grave. Malgré tout son courage et son imperturbable sang-froid, le policier tressaillit, de même que Fandor ; les deux amis sentaient leur cœur battre à rompre dans leur poitrine, un événement grave venait de se produire : les mouvements involontaires de Juve et de Fandor avaient remué le canapé, de façon si anormale que Fantômas et ses invités ne pouvaient plus ne pas s’en apercevoir :

— Nom de Dieu, avait juré quelqu’un, voilà le canapé qui bouge.

Juve, qui désormais ne cherchait plus à se dissimuler, fit encore un mouvement brusque, pour extraire son revolver de sa poche. Hélas, il ne put y parvenir.

— Dans une seconde, pensa-t-il, nous sommes découverts et assassinés.

Mais, à ce moment, on entendit plusieurs coups de sifflets à l’extérieur. Sans se donner le mot, les apaches s’étaient rués sur la fenêtre, l’avaient brisée, passaient au travers des carreaux brisés, mis en fuite.

Juve et Fandor s’étaient relevés, renversant le canapé, qui oscillait un moment, sur leurs épaules. Dehors, des coups de feu éclataient.

Juve bondit par la fenêtre, Fandor allait l’imiter, un revolver soudain appuya contre sa poitrine.

— Halte, ordonna une voix rude, impérative.

Fandor, instinctivement, obéit. Deux mains s’abattirent sur ses épaules. Le journaliste regarda puis éclata de rire :

— Ah, par exemple fit-il, ça n’est pas ordinaire. C’est vous, monsieur Havard, qui jugez bon de m’arrêter ?

— Fandor, s’écria le chef de la Sûreté. Ah, naturellement. J’étais sûr de vous trouver là, du moment que Juve était dans les parages.

— Ah ça, fit le journaliste interloqué, vous aviez donc rendez-vous ?

— Pas le moins du monde, déclara le chef de la Sûreté, mais je savais que Fantômas devait venir ici demain, et, avec quelques hommes, j’ai eu l’idée d’étudier la disposition des lieux afin de préparer plus sûrement sa capture.

— Les grands esprits se rencontrent, lui répondit Fandor. Voilà deux heures que nous sommes ici. Juve avait eu la même idée que vous, et il faut croire aussi que Fantômas avait formé les mêmes projets, car il nous quitte à l’instant.

— Fantômas ? Fantômas était ici ?

— Voilà son manteau, fit-il, quant à l’homme…

M. Havard l’interrompit pour dire d’un air désespéré :

— L’homme, parbleu, il est loin. Fantômas s’est échappé, mais Juve est sur ses traces.

28 – LE VERTIGE QUI SAUVE

— Qu’est devenu Fantômas ? Malédiction, où est-il passé ? Fouillez les caves. Fouillez les greniers. Il faut qu’on le retrouve.

Tandis que M. Havard hurlait des ordres à ses agents et que cette fois, contrairement à son habitude, il perdait un peu la tête, tandis que Fandor grimpait l’escalier de l’immeuble sinistre, forçait les portes, vociférait des jurons épouvantables, Juve, plus sage, plus rassis, n’avait pas hésité. Juve, au moment même où les bandits s’échappaient par la fenêtre, avait tranquillement ouvert la porte, et sans même trop se presser, gagné la rue. Les trottoirs étaient déserts, l’ombre clignotante des réverbères ne révélait aucun passant suspect. Juve n’avait pas perdu courage pour si peu.

— Parbleu, avait immédiatement estimé le policier, ces gens-là ne se sont pas évanouis, ne sont pas montés au ciel. Qui s’échappe par la fenêtre doit forcément atterrir quelque part. Or, la rue où nous nous trouvons, cette lugubre rue Froidevaux, est composée d’importants pâtés de maisons qui ne comportent guère de jardins, donc, fatalement, par où qu’ils aient passé, mes individus vont être obligés à un moment quelconque, de sauter sur la chaussée et de s’enfuir. Le tout est de se trouver au bon endroit.

Juve raisonnait, très calme. Peu lui importait les ordres qu’il entendait hurler par M. Havard à tous les échos, rien ne le troublait, même pas les exclamations et la colère de Jérôme Fandor. Tous couraient après Fantômas. Juve, lui, tranquillement, se cachait dans un coin d’ombre de la rue et là, comme s’il eût été en embuscade, se contentait d’attendre le bandit. La tactique qu’employait le policier et qui prouvait une fois de plus son extraordinaire sang-froid, l’empire qu’il avait sur ses nerfs réussit parfaitement. Juve n’était pas depuis cinq minutes en observation, qu’à moins de vingt mètres de lui un homme vêtu de noir sautait lestement d’un balcon dans la rue et s’enfuyait en courant.

Juve se jeta sur ses pas :

— À moi, hurla-t-il, c’est Fantômas ! Ah, cette fois, c’est bien le diable s’il m’échappe !

Tout en courant, tout en se précipitant sur les traces du bandit, – et Juve, certes, gagnant du terrain sur lui -, le policier avait saisi dans la poche de son paletot, son inséparable browning.

Le temps des procédés policiers était passé, ce n’était plus le moment de faire grâce. Si Fantômas ne s’arrêtait pas, Juve était décidé à faire feu, à l’abattre. Comme on abat une bête malfaisante, comme on met un monstre hors d’état de nuire.

Juve cria :

— Arrêtez-vous, Fantômas, ou je tire !

Malheureusement Juve avait déjà perdu quelques minutes. Dans la rue Froidevaux, déserte et solitaire, la tactique eût été bonne, car Juve, alors eût pu tranquillement tirer, mais déjà Fantômas avait tourné au coin du cimetière de Montparnasse, il débouchait place Denfert-Rochereau, et les passants étaient trop nombreux pour que, sans crainte d’accidents, Juve pût faire usage de son arme.

— Il sait bien que je ne peux pas tirer, s’écria le policier.

Fantômas, en effet, loin de s’arrêter aux injonctions de Juve, avait accéléré. À son tour, il gagnait du terrain sur le policier, qui moins jeune que lui, s’essoufflait.

Juve usa de la dernière ressource qu’il pensait avoir en son pouvoir :

Comme on s’écartait devant le bandit, Juve hurla désespéré :

— Au voleur. À l’assassin ! Arrêtez-le. C’est Fantômas !

Il eût annoncé le diable, il eût annoncé la mort, qu’il n’eût pas produit plus d’effet. Les passants étaient peut-être de braves gens, mais à coup sûr ce n’étaient point des gens braves. Voyant l’homme qui courait, entendant annoncer que c’était Fantômas, ils n’eurent les uns et les autres, qu’un sentiment : ne pas se trouver sur son chemin.

Panique générale. Les cris de Juve n’avaient eu qu’un résultat, on fit place nette devant le bandit.

Juve voyait déjà Fantômas hors d’atteinte, lorsqu’il eut la joie d’apercevoir à l’autre bout de la place Denfert-Rochereau, deux braves gardiens de la paix, émus par ses cris et par la fuite éperdue du public, qui accouraient, qui allaient barrer le chemin à Fantômas. C’était un renfort imprévu.