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Ce que tentait Juve était évidemment fou, irréalisable. Cependant, le grand policier, qui par moments, semblait presque, tant il avait d’intrépidité et de courage un surhomme, un génie, cette fois encore, réalisa l’impossible. Il n’atteignit pas le second étage en même temps que l’ascenseur, mais sans doute, Fantômas avait été retardé par le maniement des appareils, car, au moment où Juve débouchait sur la plate-forme, l’appareil s’enlevait lentement, très lentement, droit devant lui.

— Miséricorde, s’exclama le policier.

Une échelle était là, qui pointait vers le ciel, Juve la gravit. Comme pour le premier étage, il eut l’audace de s’agripper à l’extérieur des poutres du plancher de l’ascenseur. Juve, cramponné dans cette situation invraisemblable, risquant la mort à toutes les secondes, exposé au plus affolant des vertiges, se laissait emporter dans l’espace.

L’ascenseur montait vite. Quelques secondes après, Juve le sentit s’immobiliser. De même que Fantômas quittait l’appareil pour sauter dans celui qui devait l’emporter jusqu’au troisième étage, Juve, audacieux jusqu’à la folie, parvint à s’agripper une troisième fois, à se laisser une troisième fois encore emporter, suspendu dans le vide.

— Il ne montera pas plus haut, que diable ! songeait le policier.

À ce moment des crampes douloureuses commençaient à faire terriblement souffrir le malheureux Juve. Il baissa la tête. Dans la nuit, à plus de deux cents mètres sous lui, Paris n’était plus qu’une auréole de lumière, perdue dans le brouillard, croulant rapidement, si rapidement qu’un vertige prenait le policier à considérer les monuments minuscules dans un vide immense. Le froid, d’ailleurs, devenait terrible. Juve avait l’impression que ses pauvres mains, crispées dans une posture incommode, se crevassaient, que le sang giclait, et que, un par un, ses doigts allaient lâcher prise.

— Ce serait une jolie fin, pensa Juve.

Mais, il se roidissait, il se faisait plus fort que sa propre souffrance, il ne voulut pas sentir son mal, il tint bon.

Maintenant, l’ascenseur parvenu à la hauteur des dernières travées de la tour, montait presque perpendiculairement. Les immenses chaînes à contrepoids, emplissaient presque en entier la robuste armature que Juve par moments se prenait à trouver bien fragile.

— Décidément, pensa Juve, mesurant d’un regard le gouffre de trois cents mètres qui béait sous ses pieds, décidément, je ne m’en tirerai pas.

Au même instant, l’ascenseur s’arrêtait.

— Ouf, pensa Juve, je me souviendrais de ce petit voyage.

Avec des précautions extrêmes, car le brouillard rendant toutes choses humides pouvait lui faire manquer sa prise, le policier abandonnant le dessous de l’ascenseur, gagna les poutrelles métalliques.

À ce moment, au-dessus de lui, il n’y avait plus que le plancher de la troisième plate-forme et certainement, Fantômas se trouvait là, à quelques centimètres.

Juve, quelques secondes, se tînt coi, serrant entre ses bras et ses jambes une barre de fer, son seul appui. Le policier s’accordait une seconde pour reprendre haleine. Indifférent au danger, il surveillait seulement les portes de l’appareil, prenant garde à ce que Fantômas ne se jetât à l’intérieur de l’appareil, n’entreprît de descendre à l’improviste.

Après quelques secondes d’attente, dans le silence de la nuit, Juve entendit des pas :

— C’est lui, se dit-il, il doit se demander où je puis être.

Juve se débarrassa de son chapeau qui le gênait, en l’accrochant à un croisillon de l’architecture. Puis, plus libre de ses mouvements, il se glissa, au risque de se faire broyer, entre l’ascenseur et le plancher de la plateforme. Un dernier effort et il atteignait, enfin sauvé du gouffre, le troisième étage de la tour. Au-dessus de lui, brillait un phare automatiquement commandé, qui promenait sur la nuit un pinceau lumineux. La plate-forme, tour à tour, était noyée d’ombre et baignée de clarté, éclairée a giorno.

Juve avait pris pied sur le plancher, profitant d’une éclipse. Quand la lumière revint, Juve fouilla du regard le balcon où il se trouvait.

Où avait passé Fantômas ?

Juve l’aperçut aussitôt. Le bandit était à moins de trois mètres de lui, tête nue, le vent agitait les mèches de sa chevelure, il était pâle, il tenait dans ses doigts crispés la serviette où Juve lui avait vu enfermer la liasse de ses billets de banque, il se penchait au-dessus du vide. Il semblait halluciné, hypnotisé.

— Fantômas, rends-toi, hurla Juve.

Au même instant, le phare tourna, l’ombre à nouveau envahissait la plate-forme. Juve, par précaution, s’adossa à l’ascenseur qui, étant abandonné sans mécanicien, redescendit lentement, pour s’immobiliser sans doute à mi-hauteur, à l’endroit où son contrepoids le mettait en équilibre.

— Il ne peut pas s’enfuir se dit Juve et si nous devons lutter ici, eh bien, j’aime autant cela, ou j’arriverai à le mettre hors d’état de nuire ou il me lancera dans le vide.

Continuant à tourner cependant après une éclipse qui semblait interminable au policier, le phare de la tour, à nouveau, baigna de lumière l’étroite plate-forme. À ce moment Juve pensait s’élancer sur le bandit. Or, la lumière n’avait pas réapparu que Juve poussait un cri de rage : Fantômas n’était plus sur la plate-forme.

Juve eut beau explorer celle-ci, d’ailleurs peu étendue. D’un bout à l’autre, il n’apercevait plus le bandit.

Une fois encore, l’insaisissable bandit avait trouvé moyen de s’enfuir. Qu’était-il devenu ? Comme un fou, Juve courait à l’endroit où Fantômas lui était en dernier lieu apparu. Juve se hissa, insouciant du danger, sur le garde-fou très élevé qui termine le dernier étage de la tour. Il se pencha sur l’abîme. Et soudain, Juve poussa un cri de triomphe : où était Fantômas, Juve le savait. Profitant du moment d’obscurité qui avait suivi l’arrivée de Juve, Fantômas, en effet, aussi téméraire que l’avait été le policier, avait enjambé la balustrade, tenant entre ses dents la serviette bourrée de billets de banque. Souple et leste, il s’était, en se cramponnant aux moindres points d’appui, évadé de la troisième plate-forme. Le bandit maintenant étreignait la charpente même de la tour, et là, cramponné aux formes métalliques, renouvelant les prouesses des constructeurs de gratte-ciels américains, il s’efforçait de descendre, furtif, inaperçu.

— Miséricorde ! s’écriait Juve, ou il va se tuer ou il va m’échapper ?

Une seconde, peut-être, pas davantage à coup sûr, Juve hésita.

— Que faire ? Quel parti adopter ? Comment rejoindre Fantômas ?

— Bah, murmura Juve, où il a passé, je passerai bien, moi aussi. Et quand je devrais me casser les os, je descendrai plus vite que lui, je le rejoindrai.

Faisant preuve à son tour d’une folle témérité, d’une audace inouïe, Juve enjamba le garde-fou, saisit les derniers montants de la charpente et, suspendu dans le vide, se lança à la poursuite du bandit.

D’abord, Juve s’occupa de choisir des points d’appui où s’accrocher sûrement. Puis, une étrange hâte de prit, il négligea les précautions élémentaires, de barreau en barreau, il se laissa tomber. À ce moment, le sang bourdonnait dans ses oreilles, son cœur battait à coups précipités, le vide semblait vouloir le happer. Et puis, brusquement, à l’improviste, comme ses mains se coupaient à une scorie des montants, voilà que Juve aperçut Fantômas.

La lune, sortie des nuages, inondait le sommet de la tour d’une lumière blafarde. À sa pâle clarté, Juve découvrit, juste en face de lui, de l’autre côté du vide, formant en quelque sorte la cage de l’ascenseur, Fantômas, cramponné au montant de la tour, livide, tremblant, yeux fixes, air affolé.

— Fantômas, rendez-vous ?

Fantômas répondit d’une voix saccadée, haletante, inhumaine :

— N’essayez pas de me prendre, Juve, je suis armé, j’ai mon revolver, si vous bougez, je tire.

Juve, en effet, vit le bandit diriger vers lui le canon d’une arme qui luisait.