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On conduisit Tchedi à l’hôpital, sans connaissance. On l’installa tout d’abord dans un corridor encombré de lits. Le médecin de garde refusa de croire aux déclarations des « violets » – qui appartenaient malheureusement au rang le plus bas – et se contenta de rire, lorsqu’ils affirmèrent que cette jeune fille venait de la Terre. L’arrivée de Tchedi, de nuit, vêtue de la tenue habituelle des « Cvic » et, qui plus est, après une bagarre de rue, était trop invraisemblable. Un dernier doute, né de l’examen de son corps d’une perfection étonnante, se dissipa, lorsque Tchedi évanouie prononça quelques mots dans la langue de Ian-Iah avec l’accent de l’Hémisphère de Queue. Le médecin considéra que les lésions étaient mortelles. Il se jugea incapable de sauver la jeune fille. Il serait inutile de la tourmenter, lorsqu’elle sortirait de son bienheureux état de choc. Et le chirurgien fit un geste de renoncement, ignorant qu’au même moment, « l’œil du souverain » avait donné l’ordre de rechercher coûte que coûte Evisa Tanet.

La forte volonté de Tchedi l’aida à émerger du rouge océan de douleur et de faiblesse qui avait inondé sa conscience. Elle gisait sur un étroit lit de fer, sans vêtements, couverte d’un drap jaune, sous la lumière vive d’une lampe sans abat-jour. Ce genre de lampe sous vide à la lumière crue et blessante se trouvait dans tous les bureaux et toutes les maisons des « Cvic ». Ici, à l’hôpital, la lumière vive semblait insupportable, mais pas un de ses voisins de lit qui gémissaient et déliraient, n’y prêta attention. La nuit, ni médecins, ni infirmières, ni garde-malades ne visitaient les malades qui passaient la longue nuit de Tormans seuls avec leurs souffrances, trop faibles pour se lever ou parler entre eux.

Tchedi comprit qu’elle allait mourir et qu’elle était abandonnée à son destin. Surmontant une douleur atroce et un grand vertige, Tchedi se leva, posa ses pieds au bas du lit et perdit à nouveau connaissance. Une piqûre aiguë la fit revenir à elle. Ouvrant les yeux, Tchedi vit, penché sur elle, le visage brûlant d’inquiétude d’Evisa.

Accompagnée par le médecin de garde mort de peur du fait de sa méprise, Tchedi fut conduite dans une salle d’opération libre. Evisa, après s’être convaincue que tout danger imminent avait disparu, entra en liaison avec Rodis et Vir Norine.

Il fallut plus de deux heures pour régler différentes affaires, y compris une conversation décevante avec un « porte-serpent ». Tchedi dormait dans la salle d’opération. Lorsqu’Evisa accourut en hâte portant sur l’épaule une sacoche avec les préparations indispensables, tout le personnel médical de l’hôpital était déjà réuni au complet. Vir Norine arriva en courant une minute plus tard, chargé de deux gros paquets solidement attachés.

Le chirurgien chef marcha nerveusement vers les portes de la salle d’opération, fuyant son cabinet où, tour à tour, se montraient sur le grand écran Zet Oug et Ghen Shi, exigeant des nouvelles de l’invitée de la Terre. Sur le conseil de Tael, Evisa ne parla pas des secours envoyés par l’astronef. On pensa à l’hôpital qu’elle avait couru chercher les médicaments chez elle ou chez son camarade.

En se passant le désinfectant, Evisa réussit à se détendre, puis elle commença sans retard l’opération. Les chirurgiens de Tormans virent la technique étrange du médecin de la Terre. Evisa étala hardiment toutes les parcelles affectées par les coups de couteaux longitudinaux, évitant soigneusement de léser les plus petites ramifications nerveuses et les vaisseaux lymphatiques. Elle fixa les os brisés, y compris les plus petits fragments avec des agrafes rouges, isola les principaux vaisseaux sanguins, les ouvrit et relia à ceux-ci un petit appareil à pulsations. Puis, le champ opératoire fut pratiquement entièrement recouvert d’OMN – solution permettant la régénération rapide des os, des muscles et des nerfs ; les blessures furent fermées avec des agrafes noires. Evisa utilisa un second appareil permettant de masser les bords des blessures et de les frictionner simultanément avec un liquide épais régénérant la peau – le RP. Aussitôt après, Evisa réveilla Tchedi et lui fit boire abondamment une émulsion qui ressemblait à du lait. Vir Norine, habillé en infirmier, souleva Tchedi de la table d’opération avec d’infinies précautions. Les Terriens ne se souciaient plus d’observer les convenances tormansiennes. Ils refusèrent les draps stériles. L’astronavigateur porta à bout de bras Tchedi toute nue dans une petite chambre spécialement préparée à cet effet. Il la déposa sur un lit fait d’un tissu spécial à l’éclat argenté et la recouvrit d’une hotte légère et transparente, préalablement tendue sur une carcasse. Le Neufpattes bleu cendré de Tchedi était déjà installé près du lit. On lui brancha un appareil multi-cylindrique doté d’un système de tuyaux, dont les extrémités furent fixées à la cloche du SVP. Evisa Tanet, fatiguée, s’étendit sur un petit divan dur, allongée sur le dos, légèrement appuyée sur sa main gauche, sa tête reposant sur son bras droit replié. Elle surveillait la colonne des indicateurs qui se trouvait à son chevet. Ces indicateurs étaient reliés par des fils aux tempes, au cou, à la poitrine et aux poignets de Tchedi. Vir Norine regarda Evisa avec reconnaissance. Il serra fermement son coude droit qui dépassait sous les cheveux bouclés et épais de la nuque. Il sortit en marchant prudemment sur le sol encore humide de désinfectant.

L’astronavigateur n’avait pas encore quitté l’énorme bâtiment de l’hôpital que quelqu’un, portant la blouse de visiteur – blouse jaune, chiffonnée, mais propre – et ayant un pansement de travers sur le visage, entra dans la chambre où Tchedi dormait et où Evisa sommeillait. Evisa bondit et lui sauta au cou.

— Rodis.

— Je suis venue vous remplacer, et Rodis passa ses doigts sur la joue creusée de fatigue d’Evisa.

Evisa fronça les sourcils, comme un enfant qui a reçu du savon dans les yeux, et secoua la tête violemment.

— Pas maintenant. Je ne serai rassurée que lorsque la tension nerveuse aura baissé.

— Je reste. Couchez-vous !

— Il y a si longtemps que je n’ai pas bavardé avec vous, même par SVP interposé. Depuis quand vous a-t-on autorisée à sortir ?

Rodis eut un rire juvénile, sonore et insouciant.

— Personne ne m’a donné d’autorisation. C’est comme pour l’atterrissage du discoïde. Si j’en avais fait la demande, ils auraient mis des jours à répondre à cette question. Je resterai avec vous autant que c’est nécessaire.

— Mais ce déguisement ?

— C’est l’œuvre de Tael et de ses amis.

Rodis passa par-dessus ses habits noirs de Tormansiens, un vêtement de médecin de la Terre arachnéen et argenté.

— Où est votre SVP, Rodis ?

— Il est branché. On va l’amener cette nuit et on le laissera à l’entrée de ce bâtiment. Je l’appellerai d’ici. Mais couchez-vous, pendant que je marcherai dans la chambre. J’ai besoin de me calmer. Il y a longtemps que je n’ai pas éprouvé la joie de marcher comme aujourd’hui. Il me semble qu’il y a une éternité que je vis dans l’obscurité : obscurité naturelle du vaisseau et celle inutilement obligatoire de Tormans.

— Tchedi non plus n’a pu s’habituer à une telle vie. Les longues promenades lui étaient utiles pour connaître les gens et leurs coutumes, mais elles se sont terminées par une catastrophe, dit Evisa.