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— Quel est le pays qui s’est engagé le premier sur cette voie ? Ne serait-ce pas encore la Russie ? dit Evisa intéressée.

— Oui, c’est encore la Russie – premier pays socialiste. C’est elle qui a emprunté la voie sublime – celle du fil du rasoir – qui passe entre le capitalisme gangstérien et le pseudo-socialisme, ainsi que toutes leurs variantes. Les Russes ont décidé qu’il valait mieux être plus pauvre, mais édifier une société qui ait le souci des gens et d’une grande justice, supprimer les conditions du succès capitaliste et sa notion même, supprimer les dictateurs – grands et petits – qui règnent sur la politique, les sciences et les arts. Voilà la clé qui a conduit nos ancêtres à l’Ère de la Réunification Mondiale. Nous ne l’avons pas trouvé sur Tormans, parce que deux mille ans après l’ERM, existent encore ici l’inferno et l’oligarchie avec son système raffiné d’oppression. Il faut pour lutter contre ce système former des gens qui, comme nous, suivent un entraînement psycho-physiologique intensif, tout-puissant et inoffensif à la fois. Mais, avant tout, il faut leur apprendre à lutter contre cet « élitisme » omniprésent, contre le système qui oppose les dictateurs au peuple, les savants éclairés aux ignorants obscurs, les vedettes aux ratés, l’élite à la classe ouvrière. La racine du fascisme ainsi que la perversion des gens de Tormans se trouvent dans ce système.

Les sept Terriens étaient assis sur le vaste divan de couleur rouge cramoisi. La haute fenêtre, faite d’un épais plastique rose, donnait sur les arbres du jardin, éclairés par les rayons de l’astre de Tormans. À la différence du soleil de la Terre, il ne décrivait pas d’arc dans le ciel, mais descendait lentement et majestueusement en suivant une ligne presque verticale. Les rayons, à travers les fenêtres roses, semblaient mauves. Les visages bronzés des astronavigants prirent une teinte verdâtre et maussade.

— Donc, c’est décidé – dit Vir Norine.

Son SVP remplissait les fonctions de secrétaire et avait codifié les résultats de la réunion pour la retransmettre à « La Flamme sombre ».

— C’est décidé, affirma Rodis. Vous resterez dans la capitale auprès des savants et des ingénieurs ; Tor Lik et Tivissa sillonneront la planète d’un pôle à l’autre et iront dans les parcs nationaux et les stations marines ; Evisa, elle, fréquentera les Instituts de Médecine ; Tchedi et Ghen étudieront la vie en société, tandis que je m’occuperai de l’histoire. Maintenant, il faut entrer en liaison avec le vaisseau, puis aller dormir. Nos hôtes se couchent et se lèvent tôt.

Effectivement, dès que les derniers rayons du soleil couchant s’éteignirent et que, sous le haut plafond, l’éclairage automatique s’alluma, le silence total régna. On pouvait, parfois, remarquer dans l’obscurité du jardin les ombres des gardes marchant lentement, puis, à nouveau, tout se figeait comme l’eau dormante d’un lac de conte de fée.

Evisa suffoquait : elle s’approcha de la fenêtre et tripota la fermeture. La grande croisée s’ouvrit, l’air frais et particulièrement parfumé du jardin de la planète étrangère souffla dans la pièce et, au même moment, on entendit une sirène hurler de façon abominable. S’éclairant à la lanterne, des gens se mirent à courir de tous côtés levant d’un air menaçant les canons noirs de leurs armes.

D’un bond, Vir Norine rejoignit Evisa pétrifiée et ferma bruyamment la fenêtre. La sirène s’arrêta. Norine s’efforça par gestes de rassurer les gardes amassés sous la fenêtre. Les lanternes s’éteignirent, les gardes se dispersèrent et les Terriens donnèrent libre cours à leurs sentiments. Ils se moquèrent d’Evisa, qui était toute troublée.

— Je suis persuadé qu’on nous écoute et qu’on nous regarde tout le temps, dit Tor Lik.

— Heureusement, qu’ils ne comprennent pas la langue de la Terre, s’écria Evisa. Les textes qu’ils ont de nous ne sont pas assez longs.

Tchedi remarqua :

— Il me semble qu’il leur sera facile de la déchiffrer, car nous avons beaucoup de mots et de notions identiques. Au fond, c’est une des langues de la 5e période de l’EMD qui a subi des transformations pendant vingt-deux siècles.

— Quoi qu’il en soit, pour l’instant, nos conversations sont incomprises et ne peuvent inutilement inquiéter le souverain de Ian-Iah, dit Faï Rodis. Nous utiliserons parfois le SVP pour protéger certains aspects de notre vie privée, comme par exemple maintenant où nous allons parler avec l’astronef.

Le SVP bleu-noir de Rodis alla au centre de la pièce. Le projecteur à longue portée du TVP se mit à bourdonner sous son casque et la pièce fut plongée dans l’obscurité. Les astronavigants se serrèrent plus étroitement sur le divan. Une lumière verte clignota sur le mur d’en face, et on entendit la chanson mélodieuse du saule au-dessus de la rivière. D’abord désordonnées et floues, les silhouettes se dessinèrent avec netteté et relief comme si ceux qui étaient restés sur le vaisseau avaient volé jusqu’ici, jusqu’aux Jardins de Tsoam et étaient assis près d’eux, dans cette grande pièce du palais.

Afin d’économiser l’énergie des batteries des SVP et garder leur puissance pour des cas plus importants, chacun raconta avec concision ses impressions de la première journée passée sur Tormans. Le record de brièveté fut détenu par Tor Lik qui dit :

— Beaucoup de poussière, de phrases sur la grandeur, le bonheur et la sécurité. Parallèlement, à cela, la peur et les mesures de protection, non dans un but de sécurité, mais pour rendre le souverain de Tormans inaccessible. Les visages des gens sont mornes, et, même les oiseaux ne chantent pas.

Lorsqu’à la fin de la liaison, l’image stéréo s’éteignit, Rodis dit :

— Je ne sais pas s’il en est de même pour vous, mais le sérum préventif et les biofiltres me donnent sommeil.

Tous se trouvaient dans un état de somnolence qui contrastait avec leur habituelle soif d’action. Evisa estima que c’était un phénomène normal et annonça que cette atonie durerait encore trois ou quatre jours.

Le lendemain matin, les sept terriens avaient tout juste fini leur petit déjeuner qu’apparut un dignitaire, portant un vêtement noir-charbon, garni de serpents bleu argenté. Il invita Faï Rodis à s’entretenir avec « le grand Tchoïo Tchagass en personne ». Il proposa aux autres membres de l’expédition de se promener dans les Jardins de Tsoam, avant d’aller au « Centre Principal d’Information », où, « sur l’ordre du grand Tchoïo Tchagass », une information serait diffusée.

Faï Rodis envoya un baiser à ses camarades et sortit en compagnie du silencieux garde vêtu de violet qui lui montra le chemin après un signe de tête respectueux. Près de l’une des entrées, cachées par un lourd rideau, il s’arrêta, écarta les mains et se courba en deux. Faï Rodis repoussa elle-même le rideau et la lourde porte s’ouvrit aussitôt, car, comme toutes les portes de Tormans, elle pivotait sur ses gonds au lieu de s’ouvrir vers le mur, comme dans les maisons de la Terre. Faï Rodis se trouva dans une pièce couverte de draperies d’un vert sombre et d’un meuble sculpté en bois noir, que les astronavigants avaient déjà vu, lorsqu’à bord du vaisseau, ils s’étaient branchés sur le canal secret.

Tchoïo Tchagass était debout, effleurant légèrement du doigt un globe de cristal chatoyant posé sur un support noir. Vu de près, « Le Grand » ressemblait peu à son image à l’écran. Tchagass eût un sourire malin et encourageant, et invita du geste Rodis à s’asseoir. Elle lui sourit en retour et s’installa confortablement dans un vaste fauteuil.