Выбрать главу

— Vous l’aimez beaucoup, Rift – Sol Saïn effleura les mains de Grif Rift. Je ne vous le demande pas par curiosité, dit-il avec fermeté, mais moi-même…

— Qui ? interrogea abruptement Rift.

— Tchedi ! répondit Sol Saïn qui, voyant une ombre d’étonnement apparaître dans le regard du commandant, ajouta : « Oui, la petite Tchedi et non la merveilleuse Evisa ! »

Rift regarda la lumière verte supérieure gauche, toucha avec précaution les boutons de la rangée extérieure du tableau comme s’il allait succomber à la tentation d’entrer en contact avec la capitale de Tormans.

— L’idée de sa perte sépare Rodis de moi et je sens aussi l’ombre de la mort derrière mon dos. Rift se leva, fit plusieurs fois le tour de la cabine et s’approcha de Sol Saïn, avec un embarras à peine marqué.

— Il y a une vieille chansonnette qui dit : « je ne sais pas ce que me réserve l’ombre devant moi et j’ai peur de regarder en arrière ! »

— Et c’est vous qui, après m’avoir reproché ma faiblesse, me faites un tel aveu ?

— Oui, parce que je m’adresse également des reproches. Et je pardonne aussi.

— Mais s’ils osent…

— Je lui ai dit que je remuerai toute la planète sur un kilomètre de profondeur pour la trouver.

— Et elle vous l’a interdit ?

— Certainement ! « Rift, pouvez-vous réellement faire cela aux gens ? » Le commandant s’efforça de rendre l’intonation triste et désapprobatrice de Faï Rodis : « Vous n’entreprendrez pas la plus petite action de violence… »

— Et une attaque directe avec « La Flamme sombre » ? interrogea Sol.

— C’est autre chose. La Troisième loi de Newton a déjà été expérimentée. Il est dommage qu’elle n’existe pas dans cette société en cas de violence individuelle. Toute leur vie aurait été plus heureuse et tellement plus simple…

— Ainsi, voilà le pourquoi des armes ?

— Exactement.

— Mais s’ils reçoivent tout ?

— Cela ne fait rien. Chacun saura qu’il risque sa tête et réfléchira vingt fois avant de recourir à la violence. Et s’il réfléchit, alors il est peu probable qu’il agisse.

L’œil supérieur gauche s’éteignit un instant, se ralluma et clignota plusieurs fois.

Avec un sourire soulagé, Rift se précipita sur le pupitre et brancha le système de fréquence locale. Le petit écran auxiliaire de TVP s’éclaira docilement, attendant l’impulsion. Grif Rift coupa la liaison de retour et s’adressa à Sol Saïn :

— J’étais inquiet… Il me semblait… Mais je me suis souvenu d’une conversation avec Faï Rodis. Lorsqu’elle a besoin d’un conseil, elle transmet un signal à la montre de l’homme de quart.

Sol Saïn se dirigea vers la sortie.

— Arrêtez ! Je n’attends pas de secrets, de ces secrets éternels et doux, les seuls qui existent encore sur notre Terre, dit Rift avec tristesse.

Sol Saïn hésita.

— Tchedi sera peut-être avec elle, laissa tomber Rift.

L’ingénieur calculateur revint à son fauteuil.

L’attente ne fut pas longue. La lumière violette des lampes à gaz de la planète Ian-Iah éclaira l’écran. Dans le champ de vision apparut un petit jardin quadrangulaire situé sur une terrasse, dans la partie du palais donnant sur les montagnes. Grif Rift savait que ce jardin avait été affecté aux hôtes terriens, aussi il ne s’étonna pas de voir Faï Rodis, vêtue uniquement de son scaphandre. À côté d’elle marchait un Tormansien à la barbe noire fournie. D’après la description, Rift reconnut l’ingénieur Tael. Sol Saïn poussa légèrement le commandant et lui montra les SVP placés en diagonale aux deux coins du jardin. « Ils font écran pour permettre les conversations privées, devina Rift, mais alors, pourquoi m’avoir appelé ? » Cette question resta momentanément sans réponse. Faï Rodis ne regardait pas en direction de l’astronef et se conduisait, en gros, comme si elle ne soupçonnait pas que l’émetteur du SVP était branché sur elle.

Elle marchait la tête baissée et écoutait, pensive, l’ingénieur. Les astronavigants, qui n’étaient pas familiarisés avec la langue de Ian-Iah, ne comprirent que des fragments de son discours. L’herbe haute bruissait sous le vent, les buissons sauvages déployés en éventail s’agitaient sauvagement et les lourdes fleurs-disques rouge-sombre oscillaient sur les tiges souples.

Le petit jardin était plein de l’inquiétude d’une vie fragile particulièrement sensible depuis la cabine de pilotage inaccessible même à des forces cosmiques.

Un anneau de ténèbres entourait le jardin. Sur Tormans, l’éclairage nocturne était concentré dans les grandes villes, les centres de transports importants et les usines. Sur tout le reste de la planète, l’obscurité régnait douze heures durant. Le petit et lointain satellite de Tormans éclairait à peine les ténèbres. De part et d’autre du pôle galactique, de rares étoiles soulignaient la noirceur du ciel. Dirigée vers le Centre de la Galaxie, la tache unie de poussière stellaire était faiblement éclairée et se consumait mélancoliquement dans l’abîme cosmique.

Faï Rodis parla au Tormansien du Grand Anneau qui aidait l’humanité terrestre depuis déjà près de 1 500 ans, il apportait la joie de vivre et soutenait la foi dans la puissance de l’intelligence, explorait l’infinité du cosmos, échappait aux recherches aveugles et aux impasses. Grâce à la découverte du mystère de la surface spatiale en spirale et aux Astronefs à Rayon Direct, ce qui autrefois était visible mais ne pouvait se matérialiser sur les écrans des Stations Externes de la Terre, devenait maintenant accessible.

— L’Ère des Mains qui se Touchent a commencé, et nous voilà ici, conclut Rodis. Sans le Grand Anneau, nous aurions pu errer des millions d’années sans que nos deux planètes se rencontrent, elles qui sont peuplées de gens de la Terre !

— De gens de la Terre ! s’exclama l’ingénieur stupéfait.

— Vous l’ignoriez ? demanda Rodis en fronçant les sourcils. Persuadée que Tael était un familier du Conseil des Quatre, elle pensait qu’il connaissait le secret des trois astronefs et du souterrain du palais. L’ingénieur Honteel Tollo Frael devait être l’un de ces trois Tormansiens qui connaissaient le secret du Conseil.

Tael remua les lèvres sans bruit, s’efforçant de dire quelque chose. Rodis posa sa main sur les tempes de l’ingénieur qui soupira, soulagé.

— J’ai rompu la promesse que j’ai faite à votre souverain. Mais je ne pouvais deviner que le directeur des Informations de toute la planète ne connaissait pas l’histoire réelle de celle-ci.

— À ce que je vois, vous n’avez pas entièrement réalisé le fossé qui nous sépare, nous gens ordinaires, de ceux qui sont tout en haut et de ceux qui les servent.

— Est-ce le même fossé que celui qui existe entre les « Cvil » – Citoyens-à-la-vie-longue – et les « Cvic »[18] – Citoyens-à-la-vie-courte – qui ne reçoivent pas d’instruction et doivent mourir rapidement ?

— Il est plus grand. Les « Cvic » peuvent compléter leurs connaissances par eux-mêmes et nous rejoindre dans la compréhension du monde, tandis que nous, à moins de circonstances extraordinaires, nous ne saurons jamais rien en dehors de ce qu’il nous a été autorisé de connaître d’en haut.

— Et vous ignorez que des émissions du Grand Anneau sont parfois captées ici, sur la planète Ian-Iah ?

— Cela ne se peut pas !

Faï Rodis eut un sourire vague au souvenir de la visite faite à la bibliothèque de l’Institut de l’Organisation Générale.

Flatté par l’intérêt des Terriens, le commandant-« porte-serpent » les avait conduits à travers une grande salle en pierre sculptée et en bois doré couvert de bas-reliefs. Cette salle abondait en colonnes et en corniches : serpents semblables à des fleurs ou fleurs-serpents sur les corniches à gradins de la partie supérieure des murs, sur les grilles des chœurs, les chapiteaux et les bases des colonnes. Entre les groupes de bibliothèques, des fenêtres étroites entrecroisaient sur le sol de pierre leurs ombres en éventail, tandis que les coupoles transparentes du plafond éclairaient les sculptures haut placées d’animaux, de conques et de gens aux masques déformés par la folie ou la fureur. Il y avait sur l’axe central de la longue salle, posés sur des supports bizarres, des globes célestes séparés les uns des autres par des tables garnies de cartes en couleurs. Un seul regard sur ces globes suffit aux Terriens : aucun télescope ne pouvait donner de ces autres mondes une image aussi familière et aussi détaillée. Cela voulait dire que les Tormansiens captaient de temps en temps les émissions du Grand Anneau.

вернуться

18

 « Cvil » et « Cvic » : contractions de Citoyens à Vie Longue, Citoyens à Vie Courte (n.d.t.).