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Quelques savants de la Terre, désespérés par le danger mûrissant d’un développement capitaliste qui s’accélérait de façon monstrueuse, demandèrent que l’on fasse porter tous les efforts sur la recherche d’une nourriture artificielle et de produits synthétiques, émettant l’hypothèse que tous les malheurs venaient du manque de biens matériels. Ils rapprochèrent cela du pillage global de la Terre en rappelant que l’homme dès le début, avait été plutôt un chasseur et un collectionneur qu’un cultivateur.

L’un des savants écrivit : « Nos soucis et nos craintes actuels apparaîtront comme le mauvais rêve d’un esprit ignorant à nos petits-enfants. Nous devons redécouvrir les qualités oubliées, enfouies en nous-mêmes, et restaurer notre Planète Bleue dans sa beauté véritable ».

Quoi qu’il en soit, les escapistes[22] les plus ardents commencèrent à se raviser lorsque les Terriens accomplirent les premières dépenses colossales pour sortir dans le Cosmos et se rendirent compte de l’extrême difficulté des vols extra-terrestres et de la complexité de la mise en valeur des espaces intersidéraux et des planètes minérales du système solaire. Ils se tournèrent alors à nouveau vers la Terre, comprenant qu’elle devait rester, et pour longtemps encore, la demeure de l’humanité terrestre. Ils se ressaisirent et réussirent à la sauver de la destruction.

— Serpent tout-puissant ! s’écria Tchadmo Sonté Taetot. C’est tout à fait comme chez nous, mais comment en êtes-vous venus à bout ?

— Par le chemin le plus difficile et le plus compliqué, répondit Sol Saïn, celui que seule l’intelligence collective d’une planète peut réussir à emprunter. Non pas en organisant d’en haut l’opinion d’une foule mal informée, mais en méditant en commun et en reconnaissant le droit à la compréhension et à une information sincère. Du fait de la grande multitude de personnes sur la Terre, cela n’a été possible qu’après la découverte des computers – des machines à calculer. Grâce à ces machines, nous avons procédé à une répartition minutieuse des gens. La lutte véritable pour une saine descendance et une perception pure a commencé lorsque nous avons établi que, sur la Terre, les maîtres et les médecins avaient les professions les plus importantes. L’éducation dialectique fut introduite. D’un côté, une éducation collective, très disciplinée, de l’autre, une éducation individuelle souple.

Les gens comprirent qu’il ne fallait en aucun cas descendre – ne serait-ce que d’un degré – du niveau déjà atteint en matière d’éducation, de savoir, de santé, mais aller toujours plus haut, plus loin, en avant, même au prix de sérieuses difficultés matérielles.

— Mais sur Ian-Iah aussi, il y a des machines à calculer et depuis suffisamment longtemps ! Nous les appelons « les anneaux du dragon » dit « le serpent-qui-sait » sans se calmer.

— Je crois deviner de quoi il s’agit ! s’écria Sol Saïn. Nous avons eu sur la Terre une multitude de peuples, dont quelques-uns très cultivés, et des systèmes sociaux différents. L’interpénétration ou la lutte directe leur ont permis de retarder la formation de la monoculture et d’un gouvernement mondial jusqu’au moment où la conscience générale s’est développée et où la technique a assuré à la société la justice indispensable pour un communisme authentique et pour un appareil collectif. De plus, la menace d’une guerre totale incita les gouvernements à une concertation mutuelle plus sérieuse sur les questions de politique mondiale. C’est ainsi qu’on appelait alors la concurrence nationale entre les peuples.

— De par son essence même, notre planète Ian-Iah ne comprend qu’un seul peuple et avec la monoculture, le développement a suivi une ligne unique.

— Mais vous n’avez pas encore réussi à réaliser que sur toute la planète règne un système oligarchique de capitalisme étatique ! s’écria Menta Kor, et l’extrême agitation des Tormansiens montra la justesse de son affirmation.

Après cette conversation, l’ingénieur Tael demanda un rendez-vous spécial à Faï Rodis.

Pendant ce temps, Evisa Tanet décida que l’action des anticorps permettait une immunité suffisante et autorisa la suppression des scaphandres. Les Terriens, ravis, furent aussitôt prêts à se débarrasser de cette cuirasse embarrassante. Faï Rodis prit à part Ghen Atal :

— Tivissa et Tor ont transmis à « La Flamme sombre » qu’ils ont fini de visiter les instituts et les parcs. Ils veulent maintenant observer les villes abandonnées et les forêts primitives intactes qui se trouvent dans la région de la Mer de Miroir. Les dirigeants ont averti que c’était dangereux, mais nous devons connaître absolument toutes les régions de la planète.

— J’ai compris. À trois, le danger ne sera pas aussi grand. Quand dois-je m’envoler ?

— Demain. Tivissa et Tor ont décidé de ne pas enlever leurs scaphandres.

— Moi, je l’enlèverai.

— Non. Si deux de vos compagnons sont vêtus de métal et vous non, cela détruira l’unité du groupe. Vous serez un maillon moins solide…

— Bon, je garderai encore mon revêtement métallique.

Ghen Atal lança un coup d’œil à Evisa qui lui répondit par un signe de tête compatissant, mais l’ingénieur de protection blindée ne lut pas dans ses yeux topaze au regard de tigre la réponse attendue. Il se tourna vers Rodis et dit tristement qu’il allait préparer son SVP.

Rodis regarda Evisa d’un air de reproche. Celle-ci éclata de rire et secoua sa tête rousse et Rodis regretta que Ghen Atal ne la vit pas à cet instant précis.

— J’aurais tellement voulu ne pas lui faire de peine, mais je n’y peux rien, dit Evisa. Allons. J’ai perdu l’habitude de sentir normalement mon corps, c’est comme si j’avais grandi dans des écailles, comme un serpent tormansien.

L’ingénieur Honteel Toelo Frael arriva et attendit Rodis dans le petit jardin, où il avait appris le secret de sa planète.

D’un pas léger et souple, Faï Rodis s’approcha de lui, en fredonnant. Elle portait une courte robe de maison au corsage étroit, aux épaules très décolletées et à la large jupe plissée retenue à la taille par un lien noir. Un hâle marron-ocre couvrait uniformément ses mains et ses jambes nues jusqu’à mi-cuisse et s’harmonisait avec la couleur or pâle de sa robe. Dans ce vêtement, le chef des Terriens perdait une partie de sa grandeur, mais devenait encore plus jeune et plus belle aux yeux du Tormansien. Faï Rodis s’était déjà habituée à ce que des changements sans importance apportés à son apparence ou à ses actes, produisent une forte impression – bien que non justifiée – sur les habitants de Ian-Iah, aussi s’empressa-t-elle d’aider l’ingénieur.

— Il s’est passé quelque chose ? demanda-t-elle en souriant. Elle ajouta : je deviens une vraie femme de Ian-Iah, si je pense aussi souvent au danger.

— Il ne s’agit pas de danger. Mais nous devons nous concerter, dit l’ingénieur en regardant autour de lui.

Rodis appuya sur un bouton de son bracelet-signal. On entendit un léger piétinement et le Neufpattes obéissant apparut dans le jardin, conservant sur sa coupole la couleur noire aile de corbeau du scaphandre de sa maîtresse. Rodis et l’ingénieur se trouvèrent dans le champ de protection.

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22

Escapistes : tendance à fuir la réalité, la vie réelle. (n.d.a.)