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Le polyèdre transparent fit entendre l’austère mélodie de sa symphonie préférée – attente anxieuse de l’inconnu.

Tivissa se leva et avança lentement dans l’allée empierrée, glissant un regard sur les ruines environnantes, tandis que ses pensées se succédaient claires, pleines d’une grande tristesse, communiant avec la masse innombrable de morts qui avaient suivi leur voie sur la Terre qu’elle ne verrait plus et ici, sur cette planète étrangère en lutte contre l’esclavage de l’inferno.

Le cimetière, comme autrefois sur la Terre, servait pour les morts privilégiés, jugés dignes d’être ensevelis au centre de la ville, à l’ombre du vieux temple. Les lourdes dalles étaient couvertes de hiéroglyphes élégants et d’or étincelant.

Tivissa regarda les statues : belles femmes aux têtes baissées en signe d’affliction, hommes dans leur lutte ultime contre la mort, oiseaux étendant leurs ailes puissantes, enfants à genoux enlaçant la pierre de leurs parents à jamais disparus.

L’homme, en arrivant sur la nouvelle planète, avait effacé du visage de celle-ci la vie qui s’y était formée, laissant seulement les pitoyables fragments d’une symphonie jadis harmonieuse. Il avait construit ces villes et ces temples ; s’enorgueillissant de ses créations, il avait érigé des monuments en l’honneur de ceux qui avaient particulièrement réussi à conquérir la nature ou à créer l’illusion de la puissance et de la gloire. L’indulgence excessive accordée aux instincts, la méconnaissance du fait que le monde ne peut se passer de lois mais doit s’y conformer, avaient conduit à une surpopulation monstrueuse. Sur toute la planète, la mort avait frappé à nouveau et c’était de la mort de la nature qu’il s’agissait maintenant. Bilan : villes abandonnées et cimetières à jamais oubliés. Et voilà qu’aujourd’hui, les restes des hommes et des femmes du monde clair de la Terre vont se mêler au pourrissement des tombes anonymes, aux restes d’une vie inutile.

« Inutile et absurde ? » Tivissa sursauta. Jamais, sur la Terre, il ne lui était venu à l’idée que la vie, tournée vers les profondeurs de l’Univers, pleine de la joie d’aider autrui, d’acquérir la beauté, d’apprendre de nouvelles choses, de ressentir une force particulière, que la vie pouvait ne pas avoir de sens. Mais ici… !

Tivissa se représenta distinctement les milliards d’enfants dont les yeux clairs regardaient le monde sans savoir qu’il était plein de tristesse et de méchanceté ; les femmes innombrables, remplies d’amour et d’espoir de bonheurs à venir ; les hommes dont la confiance et la dignité avaient été bafouées par le lourd rouleau compresseur du pouvoir mensonger ; les animaux dont les narines gonflées, les oreilles dressées, les yeux grands ouverts témoignaient de l’effort intense fait pour préserver leurs vies fugitives comme l’étincelle. Pourquoi ? Au nom de quoi ? Ici, dans cet environnement de mort et de dégradation répugnante de la pensée, cette question des temps passés était encore exacerbée par la conscience du danger.

Accablée par la cruelle tristesse de ces dernières minutes, Tivissa posa son regard sur la statue d’une jeune fille couverte d’un voile : son visage impassible, le fier tracé de son corps, le désespoir de ses mains jointes exprimaient la force tragique de la tristesse du passé et de la foi obstinée dans la beauté de l’avenir, l’union antithétique des éléments qui forment l’homme.

Tor Lik regarda sa bien-aimée : Tivissa semblait tranquille, mais Tor sentit qu’elle était aussi tendue qu’un ressort avant l’ultime effort.

Tivissa regarda par-dessus son épaule avec une telle tendresse que Tor en eut le cœur serré.

— Doucement ! Les batteries s’éteignent ! Viens ici.

La foule, flairant quelque chose, s’approcha précautionneusement de la barrière. Quelques minutes encore s’écoulèrent. Les Terriens s’éloignèrent vers le portail, vers le dernier SVP. La symphonie des « Gardiens des Ténèbres » s’acheva sur une note longue et traînante. Tor Lik poussa le petit marteau à deux lames du déchargeur, enlaça Tivissa et tendit la main à Ghen Atal.

— Peut-être que cela ne marchera pas, dit Tor ému, la décharge est trop grande…

— Alors, l’infra-son ! Ghen Atal ôta sa main. Il a une charge indépendante ! La tour s’écroulera et nous ne tomberons pas dans des mains sales après notre mort !

Tivissa et Tor levèrent les yeux vers la gigantesque tour ancienne, cachant le ciel pur du crépuscule.

— Soit ! acquiesça Tivissa. Serre-moi plus fort, Aphy !

Ghen Atal dirigea le cornet vers la foule. Les deux SVP près des colonnes semblèrent pousser un soupir : le champ de protection s’éteignit. Avec un hurlement frénétique, « les vengeurs » se jetèrent sur les trois Terriens enlacés. Le rugissement grave, terrible et indicible de l’infra-son stoppa les premiers rangs qui furent repoussés et balayés, mais les autres poussèrent et écrasèrent ceux qui étaient tombés. Ghen Atal mit toute la puissance : les silhouettes culbutèrent, tombèrent et rampèrent en hurlant sans réussir à sortir. Enterrant les Terriens et leurs assaillants, recouvrant les anciennes tombes, la tour colossale s’effondra impitoyablement.

Chapitre IX

LA FOI ENCHAÎNÉE

Vir Norine et Evisa Tanet volèrent jusqu’à Kin-Nan-Té, où ils trouvèrent une armée entière de « violets ». La montagne de décombres de la tour effondrée avait déjà été déblayée, les cadavres des « offenseurs » avaient été enlevés et les survivants avaient disparu.

Les corps des trois Terriens reposaient dans le cimetière, dans un pavillon de pierre rouge. Tivissa et Tor n’avaient pas desserré leur étreinte. Leurs visages intacts reflétaient dans l’agonie un élan de tendresse infinie. On ne put reconnaître Ghen Atal que grâce à son scaphandre.

Evisa et Vir les libérèrent de leurs vêtements protecteurs, qu’ils n’avaient pu enlever et procédèrent au rite de l’inhumation. Une charge maximum du SVP et sur la dalle rouge ne subsistèrent que les contours des corps, marqués par une couche de cendres fines. Muets de douleur, Evisa et Vir rassemblèrent et mélangèrent les cendres des Terriens disparus en une ultime union fraternelle.

Les trois SVP, portant les traces des tentatives infructueuses lancées contre leurs cloches, furent ramenés sur « La Flamme sombre » ainsi que l’urne de platine.

Rodis fut reçue par le Conseil des Quatre. Les souverains de la planète lui présentèrent leurs condoléances et déplorèrent la perte des trois invités de la Terre. Le Conseil s’était réuni – que ce soit prémédité ou non – dans la Salle noire, surnommée par les Terriens, Salle des Ténèbres.

Rodis, impassible et immobile, écouta debout le bref discours de Tchoïo Tchagass. Le Président du Conseil des Quatre s’attendait de toute évidence à une réponse, mais Rodis se tut. Personne ne se décida à rompre le silence inquiétant. Enfin, Rodis s’approcha de Tchoïo Tchagass.

— J’ai beaucoup appris sur votre planète, dit-elle sans affectation, et je comprends maintenant qu’un homme puisse mentir sous la contrainte d’une situation menaçante. Mais pourquoi celui qui est investi de la puissance du pouvoir suprême et de la force que lui donne la pyramide de l’humanité de Ian-Iah au sommet de laquelle il se trouve, pourquoi cet homme-là ment-il ? Serait-ce parce que votre système de vie est tellement pénétré de mensonges, que même les souverains se trouvent sous son emprise ?

Tchoïo Tchagass, blême, se leva et écartant ses lèvres étroitement serrées, murmura :