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– Comme on se retrouve! C’était d’ailleurs fatal, car, mon cher de Durbec, depuis vingt-trois ans, nous avions un compte à régler. Avouez que je ne vous ai pas beaucoup tracassé. J’ai attendu mon heure, elle a sonné, allons-y!

– Ah çà! monsieur, s’exclama Durbec, je ne comprends pas.

Castel-Rajac continua:

– Je sais bien qu’au bout de vingt-trois ans il est permis d’avoir des défaillances de mémoire. Eh bien, moi, je vais la rafraîchir, votre mémoire. L’affaire du château de Montgiron, vous vous rappelez?…

– Oui, je me souviens… en effet, de cette nuit où, après avoir failli me tuer, vous avez massacré, vous et vos amis, une dizaine des gardes du cardinal.

Et, tout en plongeant ses yeux dans ceux de son interlocuteur, M. de Castel-Rajac martela:

– Et vous avez voulu faire assassiner lâchement la duchesse de Chevreuse!

Instinctivement, Durbec recula d’un pas. Castel-Rajac fit:

– Si je ne vous ai pas demandé raison plus tôt de cette infamie, c’est parce que, pour des raisons que vous n’avez pas à connaître, cela m’était interdit. Mais je m’étais bien promis que, tôt ou tard, vous me paieriez cette canaillerie et plusieurs autres sur lesquelles je n’ai besoin d’insister. Comme par exemple celle de vous acharner après un malheureux enfant qui n’a commis qu’un crime, celui de naître. Vous saisissez, n’est-ce pas, monsieur de Durbec?

D’un geste brusque, l’ancien espion de Richelieu tirait son épée du fourreau. Mais Castel-Rajac, qui prévoyait ce mouvement, d’un bond se jeta de côté et, brandissant un couteau de chasse assez long qu’il cachait derrière lui, il s’écria:

– À nous deux, monsieur l’assassin!

Et, tout en fonçant sur son adversaire, il lui dit:

– Tu me croyais sans arme, bandit, mais tu vas voir si mon couteau ne vaut pas ton épée.

Après avoir paré le premier coup que Durbec cherchait à lui porter, Castel-Rajac, d’un coup sec d’une force irrésistible, le désarma. Et, d’une voix retentissante, il lui cria:

– Papillon de malheur, je vais te clouer à la muraille!

Mais, au moment où il allait transpercer la poitrine de l’espion, celui-ci s’écroula comme une masse sur le sol, où il demeura inanimé. Gaëtan se pencha vers lui et, constatant qu’il était mort, grommela:

– Mordious, le diable me l’a pris avant que j’aie eu le temps de l’occire!

Courant à la porte, il appela le gouverneur, qui était resté derrière la porte.

– Ce n’est pas moi, fit-il, qui l’ai mis à mal, c’est lui qui vient de mourir tout seul et probablement de peur. Voilà comment nous sommes, en Gascogne… Tandis qu’il refroidit, allons nous occuper de notre faux monnayeur!

Malgré le trouble dans lequel l’avaient plongé les nouveaux événements, M. de Saint-Mars, incapable de résister à la véritable tornade que créait autour de lui le bouillant Gascon, conduisit ce dernier jusqu’au cachot de M. de Marleffe. C’était une pièce humide, froide, obscure et véritablement infecte. Tout de suite, Castel-Rajac dit au prisonnier, qui était affalé sur un banc de pierre:

– Vous vous plaisez donc ici, monsieur?

– Non! protesta Marleffe. Je m’y déplais fort, au contraire.

– Vous trouvez donc la chère excellente?

– Elle est exécrable.

– Les vins délicieux?

– Je ne bois que de l’eau et encore est-elle saumâtre!

– Que diriez-vous si, tout à coup, on vous transportait dans une chambre confortable avec vue sur la mer, si on vous servait trois fois par jour un repas délectable et si M. le gouverneur du château de l’île Sainte-Marguerite mettait à votre disposition les meilleurs crus de sa cave?

– Monsieur, répliqua le prisonnier, j’ignore qui vous êtes, mais je vous prie de ne pas vous moquer de moi. Je suis un malfaiteur, c’est vrai, mais j’expie cruellement mes crimes et vous devriez avoir pitié de moi.

Castel-Rajac reprit:

– Je ne me moque nullement de vous et je vous parle en toute sincérité. Il ne tient qu’à vous de passer de ce régime si dur auquel vous êtes assujetti à celui que je viens de vous décrire.

– Que dois-je faire pour cela?

– Accepter qu’on vous applique sur le visage ce masque de fer que vous avez refusé de porter.

Et, s’adressant au gouverneur, qui était resté sur le seuil, il fit:

– Nous sommes bien d’accord, n’est-ce pas, mon cher gouverneur?

– Entièrement d’accord.

– Et si je refuse? dit Mariette.

Gaëtan, qui sentait la partie gagnée, insista:

– Vous êtes condamné à la détention perpétuelle. Eh bien, vous resterez toute votre existence dans ce cachot.

– Alors, j’accepte, se décida le prisonnier.

– J’ajouterai simplement, fit Gaëtan, que, lorsque vous recevrez la visite de personnes venues pour vous interroger, vous refuserez obstinément de leur répondre, quelles que soient ces personnes et les questions qu’elles pourront vous poser. Sinon, vous serez immédiatement renvoyé dans cet endroit d’où je me suis efforcé de vous faire sortir.

– C’est entendu, je me tairai, affirma le faux-monnayeur qui, maintenant, était prêt à tout pour reconquérir, à défaut de liberté, le bien-être qui allait lui rendre moins dure une captivité qui ne devait finir qu’avec lui-même.

Cinq minutes après, affublé du masque de fer qu’il devait garder jusqu’à sa dernière demeure, le faux-monnayeur était conduit par M. de Saint-Mars dans la chambre qu’occupait Henry et où il devait rester jusqu’au jour où M. de Saint-Mars, nommé gouverneur de la Bastille, ainsi que le lui avait prédit Castel-Rajac, emmena avec lui son prisonnier qui ne devait mourir qu’en 1706, dans cette prison d’État, emportant avec lui le secret de l’homme au masque de fer.

Nous ajouterons simplement que les deux Castel-Rajac se couvrirent l’un et l’autre de gloire, le père, en prenant part à toutes les grandes victoires de la première partie du règne de Louis XIV, et le fils en allant combattre les infidèles, nouveau croisé qui ajouta au nom de Castel-Rajac un lustre d’honneur et de gloire. Il revint en France en 1694, et Louis XIV auquel, après la mort d’Anne d’Autriche, Castel-Rajac, devenu maréchal de France, avait révélé toute la vérité, le nomma gouverneur de la province du Languedoc où il mourut très âgé, entouré de ses enfants et de ses petits-enfants, dont pas un seul ne se douta jamais qu’ils avaient du sang d’Anne d’Autriche dans les veines et que le Roi Soleil était leur oncle…

Fin