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Jamais, en effet, elle n’avait été plus séduisante.

– Allons, se dit-elle, mon jeune chevalier ne me trouvera pas changée à mon désavantage et, ainsi que le prétend Mazarin, je crois que je vais pouvoir en faire, non pas mon chevalier, mais mon esclave, car, moi, ayant tout à lui accorder, il n’aura rien à me refuser.

Une demi-heure après, ainsi que l’avait annoncé l’Italien, on frappait de nouveau à la porte du salon et Mazarin se présentait avec Castel-Rajac, qui, pendant le temps qu’il était resté à l’hostellerie de Dampierre, en avait profité pour faire un brin de toilette, s’épousseter, et réparer le désordre de ses vêtements et de son abondante chevelure noire.

Maintenant, toute hardiesse l’avait abandonné. Il n’était plus qu’un amoureux effaré de la bonne fortune inattendue qui lui tombait du ciel et, oubliant même de saluer la dame de ses pensées, il demeura immobile, pour une fois muet de saisissement.

Ses yeux clairs et ardents exprimaient de si tendres sentiments que, plus émue qu’elle ne voulût le paraître et désireuse de le mettre tout de suite à son aise, Mme de Chevreuse s’avança vers lui, et dit simplement:

– Est-il vrai, chevalier, que vous eussiez fait le voyage d’Agen jusqu’ici uniquement pour me revoir?

– Oui, madame, répondit timidement le jeune Gascon, en cherchant des yeux le pseudo-comte Capeloni, qui, telle une ombre discrète, s’était déjà évanoui.

Affectant un ton de reproche, la duchesse poursuivit:

– Savez-vous, monsieur le chevalier, que vous avez agi envers moi avec une étourderie qui frise l’impertinence.

– Oh, madame!

– Et que je serais en droit de vous en vouloir vivement. Mais rassurez-vous, je vous pardonne. Car je ne vous cacherai point que, non seulement je ne vous avais pas complètement oublié, mais que j’ai éprouvé, en vous retrouvant, un plaisir non moins égal au regret que j’avais ressenti d’être obligée de vous quitter si promptement.

– Ah! madame, s’écria Gaëtan, auquel ces quelques mots avaient suffi pour rendre tout son aplomb, vous ne pouvez vous imaginer à quel point je suis heureux de vous entendre me parler ainsi. Il me semble que je vis un rêve.

» Ah! vous voir, vous entendre! Certes, depuis l’an passé votre voix aux inflexions harmonieuses n’avait cessé de chanter à mes oreilles; mais ce n’était qu’un souvenir, qu’une illusion, tandis que vous êtes là, près de moi; il me suffirait d’étendre la main pour toucher la vôtre. Ah! madame, je vous en prie, laissez-moi vous admirer, vous adorer en silence, car, vraiment, je suis incapable de trouver les mots qu’il faudrait pour vous exprimer mon amour… Je crois même qu’il n’en est pas sur terre…

Et, tout en disant, Castel-Rajac se pencha vers la duchesse qui, reconquise de nouveau par cette ardeur juvénile et si sincère, le contemplait, elle aussi, prête à s’abandonner de nouveau.

Tout à coup, le visage du jeune Gascon s’assombrit. Un pli d’amertume tordit sa bouche et un léger soupir gonfla sa poitrine.

– Qu’avez-vous? interrogea Marie de Rohan.

– Je songe, hélas! que mon rêve est éphémère et qu’il va bientôt se briser en éclats.

Tout en lui souriant, la duchesse lui dit doucement:

– Et si je vous donnais le moyen de le prolonger?

– Pendant longtemps?

– Plus longtemps, peut-être, que vous ne l’imaginez!

– Oh! madame, vous seriez la plus généreuse…

– Écoutez-moi, mon ami… Bien que vous vous soyez montré à mon égard d’une indiscrétion que je reconnais, d’ailleurs, fort excusable…

– Madame, vous permettez? interrompit le Gascon.

– Dites!

– Je vous avais juré de ne point interroger vos serviteurs, mais je ne vous avais nullement promis de ne point questionner les autres personnes qui étaient à même de me donner sur vous les renseignements que la passion que vous m’aviez inspirée me forçait à leur demander.

Tout en accentuant son sourire, Mme de Chevreuse poursuivit:

– Le gentilhomme qui vient de vous amener ici avait raison.

– Le comte Capeloni…

– Oui. Il me disait que vous étiez plein de finesse.

– Ce n’est pas ma faute. Dans tout l’Agenais, nous sommes ainsi.

– Ne vous en défendez pas, c’est une qualité de plus à votre actif et je suis la dernière à m’en plaindre. D’autant plus que vous survenez ici à un moment où j’ai besoin d’avoir à mes côtés un ami, un défenseur qui allie à un courage absolu une adresse sans égale.

– Madame, vous me faites peur, observa le Gascon.

– Pourquoi donc?

– Un dévouement sans limites, j’en suis capable, surtout quand c’est vous qui me le demandez… Un courage absolu, mon Dieu, je ne voudrais pas avoir l’air de me vanter, mais, mordious! je crois que je le possède. D’ailleurs, parmi les Gascons, c’est une qualité qui n’a rien d’exceptionnel. Nous sommes tous braves en naissant et on ne peut faire moins en grandissant de le devenir davantage?

» Quant à l’adresse sans égale, ça, madame, je ne veux pas trop m’avancer. Il me suffit de vous dire que je ferai de mon mieux pour vous servir.

– J’en suis sûre, répondit la duchesse et voilà pourquoi je n’hésite plus un seul instant à vous révéler ce que j’attends de vous.

Le jeune Gascon était tellement empoigné par son interlocutrice et tellement désireux de ne point perdre la moindre parole qu’elle allait prononcer, qu’il s’avança encore vers Marie, jusqu’à la toucher.

– Mon cher chevalier, attaqua-t-elle, vous avez peut-être été surpris de constater que je vous recevais dans cette vieille maison…

– Pas du tout, protesta Gaëtan. L’amour n’adore-t-il pas le mystère?

– Et même, souligna la duchesse, il l’ordonne, parfois… Mais ce n’est point là le vrai motif qui fait que nous nous sommes rencontrés ici. Une de mes amies a eu l’imprudence de se laisser conter fleurette par un galant pendant l’absence d’un mari parti pour un long voyage. Il en est résulté pour la pauvre femme des suites telles qu’il est absolument indispensable de les dissimuler à tous. Aussi est-elle venue se cacher dans cette maison qui m’appartient et où tout a été préparé de façon que personne n’y soupçonne sa présence.

Tout en baissant la voix, comme pour donner plus de poids à sa révélation, Mme de Chevreuse ajouta:

– L’enfant va naître cette nuit.