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– Qui est ce gars? demanda Fromentin en braquant sa lampe-torche sur le visage du Canadien.

– Stuart Donald Padwell, le fils de John Padwell. Il est connu ici sous le nom de Laurence Donald Johnstone. Voici l'arme, Fromentin.

– Merde, dit-il, ce n'était pas un loup.

– Juste son crâne. On trouvera les extrémités des pattes quelque part dans le coffre de sa moto.

L'adjudant dirigea sa lampe sur le crâne, l'expression intéressée.

– C'est un loup de l'Arctique, dit Adamsberg. II avait tout préparé là-bas.

– Je comprends, dit Fromentin en hochant la tête. Les loups arctiques sont les plus grands de tous les loups, et de loin.

Adamsberg le regarda, étonne.

– J'aime bien les bêtes, expliqua Fromentin d'un air embarrassé. Je me documente par-ci par-là.

Il braqua la lumière sur le bras d'Adamsberg.

– Ça saigne, dit-il.

– Oui, dit Adamsberg. Il a rouvert la blessure en me sautant dessus.

– Qu'est-ce qui lui a pris de se découvrir?

– C'est ce soir. Je l'ai regardé.

– Et alors?

– J'ai vu sur son visage les traits de John Padwell. Il savait que je m'obstinais sur son père, il a pigé que j'allais piger.

Adamsberg regarda passer Lawrence, soutenu par deux gendarmes. Un troisième gendarme lui rendit sa chemise et son holster. Soliman récupéra son pantalon.

– Vous étiez avec lui ce soir? demanda Fromentin, sourcils froncés, en emboîtant le pas aux gendarmes.

– Il était là sans cesse, dit Adamsberg en le suivant. Il a lancé cette rumeur d'homme au loup, puis il a lancé trois personnes à ses basques pour l'entretenir. Il était informé de la poursuite jour par jour. Ce n'était pas nous qui le suivions, c'était lui qui nous dirigeait.

Lawrence fut conduit à l'hôpital de Montdidier et Fromentin raccompagna lui-même Adamsberg et Soliman au camion.

– Si le Canadien est en état, interrogatoire demain à quinze heures, dit Adamsberg. Prévenez le Parquet et à la première heure, alertez Montvailland à Villard-de-Lans, Hermel à Bourg-en-Bresse et Aimont à Belcourt. J'appellerai moi-même Brévant à Puygiron pour demander une fouille autour de la cabane de Massart.

Fromentin acquiesça. Il fit signe à son collègue d'emporter la moto de Lawrence et démarra.

– Bon sang, cria soudain Soliman en regardant s'éloigner les breaks des gendarmes. Bon sang, le cheveu! Les ongles! Qu'est-ce que tu fais des ongles?

– Ça règle la question des ongles.

– C'était les ongles de Massart. Qu'est-ce qu'on va faire de ça?

– C'était les ongles de Massart, dit Adamsberg en marchant lentement le long de la route, et c'était des ongles coupés. Dans la baraque du mont Vence, Brévant n'a pas ramassé un seul ongle dans le cabinet de toilette. Il a fallu qu'Hermel ait l'idée de ratisser la chambre pour qu'on y trouve des rognures. Mais des rognures coupées avec les dents, Soliman. C'est cela qui était si gênant. D'un côté un type qui utilise une pince, de l'autre un type qui se bouffe les ongles au lit. C'est l'un ou c'est l'autre, Sol. Après ça, il m'a semblé qu'on était vraiment des types chanceux d'avoir dégoté son hôtel, et puis d'avoir récupéré ces deux ongles et ce cheveu. Oui, on était vraiment des types chanceux. Avec la carte, j'ai douté que Massart frappe au hasard. Avec cette affaire d'ongles, j'ai douté de l'existence même de Massart.

– Mais merde, dit Soliman. Les ongles?

– Laurence a coupé les ongles sur le mort, Soliman.

Soliman eut une grimace de dégoût.

– Il n'a pas pensé que Massart se coupait les ongles avec les dents. Il ne s'est pas figuré un truc pareil. C'est un type trop propre, trop méticuleux. Première erreur du Canadien.

– II y en a eu d'autres? demanda Soliman, les yeux rivés à Adamsberg.

– Quelques-unes. Les cierges, et ces meurtres au pied des croix. Je ne sais pas si Laurence connaissait cette superstition de Massart ou si c'est Camille qui l'a renseigné sans le vouloir. Ça lui a plu de s'en servir, puisque ça vous intéressait. Mais, à Belcourt, serré par les flics, il a préféré tuer loin de tout calvaire et de toute croix. Les superstitieux ne font pas ça. Ils s'accrochent, ils s'obstinent, ils ne lâchent surtout pas prise dans un défi aussi grave. Mais lui a égorgé Hellouin dans un pré, tout simplement. Ça signifiait que les croix précédentes étaient sans doute des foutaises. Et les cierges aussi. Et je revenais au même point: en ce cas, Massart ne serait pas Massart. Tu comprends, Sol, j'étais prêt pour l'hypothèse Padwell. Je l'attendais.

– Mais, dit Soliman avec une pointe d'anxiété, sans sa ressemblance avec son père, tu n'aurais jamais mis la main sur le Canadien. Jamais.

– Bien sûr que si. Ça aurait pris plus de temps, c'est tout.

– Comment?

– Avec de l'acharnement, les dossiers de Sernot, Deguy et Hellouin auraient fini par révéler leur charnière commune, Ariane Germant. De là, on revenait à l'affaire Padwell. Padwell était mort, mais il avait eu un fils, un fils qui avait assisté au carnage. J'aurais suivi la piste de ce fils, j'aurais obtenu sa photo. Et j'aurais reconnu Laurence.

– Et si tu ne t'étais pas acharné?

– Je me serais acharné.

– Et si tu n'avais pas suivi la piste de ce fils?

– Je l'aurais suivie, Sol.

– Et si non? insista Sol.

– Si non, il aurait fallu plus de temps encore. Qui connaissait les loups? Laurence. Qui avait le premier parlé d'un loup-garou? Laurence. Qui avait cherché Massart? Laurence. Qui avait été déclarer sa disparition? Qui avait suggéré qu'il avait tué Suzanne? Laurence. On aurait fini par trouver, Sol.

– Peut-être pas, dit Soliman.

– Peut-être pas. Mais il y a eu les poils de loup. On s'en est inquiété et soudain, on en trouve. Qui était au courant? Les flics, et nous cinq.

– Je vais voir le Veilleux, dit Soliman. Il doit savoir.

– Non, dit Adamsberg en lui attrapant le bras. Tu vas réveiller Camille.

– Et après?

– Je ne sais pas comment le lui dire. Réfléchis.

Soliman s'arrêta de marcher.

– Merde, dit-il.

– Oui, dit Adamsberg.

XXXIV

Adamsberg attendit le réveil de Camille, assis au bord du lit. Dès qu'elle fut habillée, il l'emmena marcher dans la campagne et lui annonça la nouvelle doucement, très doucement. Camille s'assit en tailleur dans l'herbe et resta prostrée un long moment, les mains accrochées à ses bottes, le regard tourné vers le sol. Adamsberg la tenait par l'épaule, attendant que le choc s'atténue. Il parla à voix basse et sans s'interrompre, pour ne pas laisser Camille seule dans le silence de cette découverte sinistre.

– Je ne comprends pas, dit Camille dans un murmure. Je n'ai rien vu, rien senti. Il n'y avait rien d'inquiétant chez lui.

– Non, dit Adamsberg. II était en deux bouts, l'homme tranquille et l'enfant déchiré. Laurence, et Stuart. Tu n'avais qu'un seul des morceaux. Tu n'as pas à regretter de l'avoir aimé.

– C'est un assassin.

– C'est un enfant. Ils l'ont bousillé.

– Il a massacré Suzanne.

– C'est un enfant, répéta Adamsberg avec fermeté. Ils ne lui ont pas laissé une seule chance de vivre. C'est la vérité.

– Penses-y comme ça.

Le Veilleux apprit avec stupeur de la bouche de Soliman qu'il n'y avait plus aucun espoir que le tueur soit un loup-garou. Que ça ne servirait à rien qu'on ouvre Lawrence depuis la gorge jusqu'aux couilles et que l'inoffensif Massait était mort depuis seize jours. Le vieux encaissa cette vérité sordide avec difficulté mais paradoxalement, la révélation des véritables circonstances de la mort de Suzanne, qu'on avait effacée comme un pion, l'apaisa. Le remords de sa défection, au moment même où le loup attaquait Suzanne, lui rongeait la tête. Mais Suzanne n'avait pas été la victime surprise d'une attaque imprévue. Elle avait été attirée dans un piège que toute la vigilance du Veiïleux n'aurait jamais pu éviter. Lawrence avait pris soin d'éloigner le berger avant d'appeler Suzanne. Rien ni personne n'y aurait changé quoi que ce soit. Le Veilleux respira enfin.