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Je vous aime, Marie [19], puis ils se sauvaient à toutes jambes. Marie avait peine à garder sa raison devant un bonheur si inattendu; elle n’avait pas même rêvé cela; elle était à la fois confuse et ravie. Le plus intéressant, c’était que les enfants, et surtout les petites filles, tenaient à courir lui répéter que je l’aimais et que je leur parlais très souvent d’elle. Ils lui disaient que c’était moi qui leur avais tout raconté et que désormais ils auraient toujours pour elle de la tendresse et de la compassion. Puis ils accouraient chez moi et me rendaient compte, avec des petites mines joyeuses et empressées, qu’ils venaient de voir Marie et que celle-ci m’envoyait ses compliments. Le soir j’allais à la cascade: il y avait là un endroit entouré de peupliers et complètement hors de la vue des gens du village; les enfants venaient m’y rejoindre, quelques-uns en cachette. Il me semble qu’ils prenaient un plaisir extrême à me croire amoureux de Marie et, durant tout le temps que je vécus là-bas, ce fut le seul point sur lequel je les induisis en erreur. Je n’eus cure de les détromper et de leur avouer que je n’aimais pas Marie, ou plutôt que je n’en étais pas amoureux et que je n’éprouvais pour elle qu’une grande pitié. Je voyais que leur plus vif désir était que mon sentiment fût tel qu’ils se l’imaginaient entre eux; aussi gardai-je le silence et leur laissai-je l’illusion d’avoir deviné juste. Il y avait dans ces petits cœurs tant de délicatesse et de tendresse qu’il leur paraissait, par exemple, impossible que leur cher Léon aimât autant Marie et que Marie fût si mal vêtue et allât nu-pieds. Figurez-vous qu’ils lui donnèrent des souliers, des bas, du linge et même quelques vêtements. Par quel miracle d’ingéniosité s’étaient-ils procuré tout cela? Je ne saurais le dire; toute la bande dut s’y mettre. Quand je les questionnai là-dessus, ils se contentèrent de rire gaîment; les petites filles battirent des mains et m’embrassèrent. J’allais parfois aussi voir Marie à la dérobée. Son mal empirait; elle se traînait à peine et avait fini par cesser tout service à la vacherie; toutefois elle partait encore chaque matin avec le troupeau. Elle s’asseyait à l’écart, à l’extrémité de la saillie d’un rocher presque abrupt; elle restait là comme immobile sur la pierre, cachée à tous les regards, depuis le matin jusqu’à l’heure où le troupeau rentrait. La phtisie l’avait tellement affaiblie qu’elle gardait presque tout le temps les yeux fermés et sommeillait, la tête appuyée contre le rocher. Sa respiration était difficile, son visage décharné comme celui d’un squelette; la sueur inondait son front et ses tempes. Je la trouvais toujours dans cet état. Je ne venais que pour un instant et ne désirais pas non plus que l’on me vît. Dès que j’apparaissais, Marie tressaillait, ouvrait les yeux et me baisait précipitamment les mains. Je ne les retirais plus parce que c’était pour elle un bonheur. Pendant tout le temps que j’étais là, elle tremblait et pleurait; parfois elle se mettait à parler, mais il était difficile de la comprendre. L’excès de son émotion et de sa joie la rendait comme folle. Les enfants venaient quelquefois avec moi; dans ce cas, ils se tenaient habituellement à distance et faisaient le guet à toute éventualité; l’exercice de cette surveillance leur plaisait infiniment. Quand nous étions partis, Marie, redevenue seule, se figeait à nouveau dans l’immobilité, fermait les yeux et s’appuyait la tête au rocher. Peut-être rêvait-elle. Un matin elle n’eut plus la force de suivre le troupeau et resta dans sa maison vide. Les enfants l’apprirent aussitôt et vinrent presque tous, ce jour-là, la voir à plusieurs reprises. Ils la trouvèrent alitée et abandonnée. Pendant deux jours, il n’y eut que les enfants à la soigner; ils se relevaient les uns les autres. Mais quand on sut au village que Marie approchait de sa fin, les vieilles vinrent à tour de rôle la veiller. Il semblait qu’on commençât à avoir pitié d’elle; du moins les gens du village laissaient-ils les enfants l’approcher et ne l’injuriaient-ils plus comme autrefois. La malade était tout le temps assoupie; son sommeil était agité et elle toussait affreusement. Les vieilles femmes chassaient les enfants, mais ceux-ci accouraient sous la fenêtre, ne fût-ce que pour une minute, le temps de dire:
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[19] En français dans le texte.