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Elena pâlit affreusement.

– De quelle mort parlez-vous? dit-elle d’une voix étranglée par une terrible angoisse.

– Vous allez le savoir, madame, reprit la vieille. Je tiens le fait du laquais de la marquise. Comme je le voyais un peu embarrassé, je lui demandai comment on se portait au palais. «Mal! me répondit-il, très mal!» Et en effet…

– Ô ciel! s’écria Elena, il est mort! Vivaldi est mort?

– Qui parle de Vivaldi? Mon Dieu!

– Mais vous, ce me semble…

– Patience, madame, patience, vous saurez tout. Si vous me déconcertez ainsi, je ne saurai plus ce que je dis.

– Au nom du ciel, parlez!

– Ce domestique me raconta donc, poursuivit la vieille, qu’il y avait près d’un mois que la marquise, malade…

– La marquise? répéta Elena. La marquise! Eh quoi, c’est elle!…

– Sans doute, madame. Quel autre ai-je donc dit que c’était?…

– Poursuivez, Béatrice. La marquise, dites-vous?…

– Était malade depuis longtemps; mais c’est au sortir d’une fête au palais Voglio qu’elle se trouva tout à fait mal. On ne la crut pas d’abord en danger; mais les médecins appelés en jugèrent autrement; et ils avaient raison, car elle mourut.

Elena fit un signe de croix.

– Et son fils? demanda-t-elle. Était-il près d’elle quand elle est morte?

– Non, madame, le signor Vivaldi n’était pas là.

– C’est bien étrange, dit Elena avec émotion. Le domestique a-t-il parlé de lui?

– Oui, madame. Il a dit qu’il était bien fâcheux qu’il fût absent dans un pareil moment et qu’on ne sût pas où il était.

– Quoi? Sa famille même ignorerait ce qu’il est devenu? dit Elena avec un trouble croissant.

– Mon Dieu, oui. Il y a déjà plusieurs semaines qu’on n’a entendu parler du signor Vivaldi, quoiqu’on ait envoyé à sa recherche dans toutes les parties du royaume. La marquise, a ajouté le laquais, semblait avoir encore quelque chose sur le cœur et demandait son fils; puis, se voyant près de sa fin, elle envoya chercher son confesseur… Le père Schedoni, comme ils l’appellent, je crois…

– Eh bien, le père Schedoni?…

– On ne l’a pas trouvé non plus, madame. Il a sans doute beaucoup de pratiques, et il faut qu’il écoute tous les péchés qui se commettent… Enfin, il n’a pas pu venir à temps; alors, on est allé chercher un autre confesseur. Celui-ci est resté longtemps enfermé avec la marquise, puis elle a fait venir le marquis. On a entendu de l’antichambre beaucoup de bruit, et la voix de la mourante dominait souvent malgré son état. À la fin le bruit cessa et le marquis sortit de la chambre fort en colère, et pourtant fort triste. La marquise vécut encore cette nuit-là et une partie du jour suivant. Elle paraissait accablée d’un poids qui lui brisait le cœur. Tantôt elle sanglotait, tantôt elle poussait des gémissements à fendre l’âme. Elle redemanda encore le marquis, et leurs entretiens duraient longtemps… On rappela aussi le confesseur, et tous trois demeurèrent enfermés pendant plus d’une heure. La marquise parut alors avoir recouvré quelque tranquillité, et bientôt après elle expira.

Elena, qui avait écouté attentivement ce récit, allait poser à Béatrice de nouvelles questions, lorsque sœur Olivia entra chez elle. Celle-ci, voyant une personne étrangère, se disposait à se retirer, mais Elena la pria de rester et de s’asseoir devant son métier à broder, pendant qu’elle achèverait de faire parler la vieille servante. Puis voulant éclaircir le mystère de l’absence de Schedoni, elle demanda à Béatrice si elle avait revu l’étranger qui l’avait ramené à la villa Altieri.

– Non, madame, répondit Béatrice, je n’ai jamais revu sa figure depuis ce jour-là. Et je dois dire franchement que je ne m’en souciais guère, tant elle m’a paru peu aimable.

Tandis que Béatrice parlait, sœur Olivia, qui s’était levée à demi de son siège, la considérait avec une grande attention.

– Assurément je connais cette voix, dit la religieuse vivement émue, quoique je ne reconnaisse pas bien les traits. Est-ce elle? Est-il possible? Est-ce Béatrice Olca à qui je parle après tant d’années?

Béatrice répondit avec une égale surprise:

– Oui, c’est moi, madame, vous dites bien mon nom. Mais, vous, qui donc êtes-vous?

La vieille femme, en parlant ainsi, tenait les yeux attachés sur sœur Olivia. L’étonnement et l’effroi se peignaient sur ses traits, cependant que le visage de la religieuse changeait d’expression à chaque instant et que les paroles prêtes à sortir expiraient sur ses lèvres tremblantes.

– Ah! s’écria Béatrice, mes yeux me trompent-ils? Quelle étrange ressemblance, sainte Vierge! J’ai peine à me soutenir…

Sœur Olivia, qui s’était tournée vers Elena et la regardait fixement, parut en proie à un sentiment profond, comme si elle hésitait entre un doute ou une espérance. Montrant la jeune fille, elle murmura d’une voix sourde et à peine articulée:

– Béatrice, je vous en conjure, dites-moi si elle est… si c’est elle qui…

Et elle ne put achever.

Béatrice, occupée à la considérer, s’écria au lieu de lui répondre:

– Madame la comtesse! Oui, c’est vous! C’est bien vous! Au nom du ciel, madame, comment êtes-vous ici? Oh! quelle joie vous avez dû éprouver à vous retrouver l’une près de l’autre!

Elena cherchait le sens de ces paroles, quand elle se sentit pressée contre le sein de la religieuse qui les avait mieux comprises et qui l’entourait de ses bras tremblants. Cela qui la déroutait un peu excita l’étonnement de Béatrice.

– Est-il possible, dit-elle, que vous ne vous soyez pas encore reconnues?

– Mais, mon Dieu, de quelle reconnaissance, parle-t-elle? dit la jeune fille à sœur Olivia. Déjà, il y a peu de temps que j’ai retrouvé mon père… Mais vous! Ah! dites-moi de quel nom je dois vous appeler!

L’étonnement suspendit les émotions de sœur Olivia, tandis qu’Elena, confuse d’avoir trahi le secret de Schedoni, gardait un silence embarrassé. Mais la religieuse, passant de la surprise à l’expression d’une profonde douleur, dit à Elena en la tenant embrassée:

– Votre père, dites-vous? Non, mon enfant, non, votre père n’est plus.

Elena, au comble de la stupeur, cessa de rendre à sœur Olivia ses caresses. Elle la considérait d’un air égaré et murmura, enfin, comme si elle sortait d’un songe:

– Ai-je bien compris? Ai-je bien ma raison? Est-ce donc ma mère que je vois?

– Oui, répondit sœur Olivia d’un accent solennel. Oui, c’est ta mère et sa bénédiction est avec toi!

Elena tomba dans les bras de sa mère qui s’efforça de calmer son agitation, quoique dominée elle-même par mille émotions nouvelles. Longtemps elles ne purent l’une et l’autre s’exprimer que par des mots entrecoupés et par des larmes de tendresse et de joie. Enfin sœur Olivia, redevenue maîtresse d’elle-même, demanda des nouvelles de sa sœur, la signora Bianchi. Le silence et les pleurs d’Elena lui répondirent. Sœur Olivia, vivement affectée de cette nouvelle, avoua qu’elle s’y attendait n’ayant reçu aucune réponse de sa sœur à la lettre où elle lui annonçait sa prochaine arrivée au couvent de la Pietà.

– Hélas, dit Béatrice, je m’étonne que madame l’abbesse ne vous ait pas appris cette triste nouvelle. Elle la savait bien, car ma pauvre maîtresse est enterrée dans son église. Quant à la lettre, je l’ai apportée ici pour la remettre à la signora Elena.