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– Madame l’abbesse, répondit sœur Olivia, n’est pas instruite de notre parenté, et j’ai des raisons pour la lui cacher encore quelque temps. Vous-même, ma chère enfant, vous ne devez être ici que mon amie jusqu’à ce que j’aie fait quelques recherches dont dépend ma tranquillité.

Sœur Olivia pressa ensuite Elena d’expliquer les paroles qui lui étaient échappées sur la découverte qu’elle aurait faite de son père, et mit ainsi la jeune fille dans une grande perplexité. Elena en avait déjà trop dit pour garder le secret que Schedoni avait exigé d’elle; elle vit bien qu’il fallait donner à sœur Olivia une explication complète. Dès que Béatrice se fut retirée, elle répéta ce qu’elle avait dit, c’est que son père vivait encore. Et comme sœur Olivia stupéfaite répondait par le récit des derniers moments du comte de Bruno, son époux, Elena, pour la convaincre, rappela quelques circonstances de sa dernière entrevue avec Schedoni et prit dans un tiroir le portrait qu’il lui avait dit être le sien. Mais sœur Olivia y eut à peine jeté un coup d’œil qu’elle pâlit et tomba sans connaissance.

Les soins empressés de sa fille lui rendirent bientôt l’usage de ses sens, et elle demanda à revoir le portrait. Elena, qui attribuait cet évanouissement au saisissement de la surprise et de la joie, lui remit l’image sous les yeux, en l’assurant de nouveau, non seulement que le comte vivait, mais encore qu’il était à Naples et qu’elle le reverrait sans doute avant la fin de la journée. Car, dit-elle, elle avait envoyé un messager à son père pour le conjurer de venir sur-le-champ afin de jouir du bonheur de se retrouver en famille.

En annonçant à sa mère la prochaine arrivée de Schedoni, Elena s’attendait à voir sur la physionomie de celle-ci une expression de joie et de tendresse; quel ne fut pas son étonnement quand elle n’y lut que le désespoir et l’effroi et qu’elle entendit sa mère s’écrier avec épouvante:

– S’il me voit, je suis perdue! Ah! malheureuse Elena, ton imprudence me sera fatale. Ce portrait n’est pas celui du comte de Bruno, mon mari et ton père; c’est celui de son frère Marinella, l’homme cruel qui…

Elle s’arrêta, craignant d’en avoir trop dit; mais Elena, que la surprise avait d’abord rendue muette, la pressa de lui expliquer la cause de son désespoir.

– J’ignore, dit sœur Olivia, comment ce portrait est tombé entre tes mains; mais, encore une fois, c’est celui du comte Ferando de Marinella, frère de mon époux et mon…

Elle voulait dire: «et mon second mari». Mais ce mot ne put sortir de sa bouche.

– Je ne saurais, continua-t-elle, en dire davantage en ce moment. Ce qu’il faut d’abord, c’est trouver un moyen d’éviter l’entrevue que tu m’as ménagée et cacher à cet homme, s’il est possible, que j’existe encore.

Comme elle achevait ces mots, le messager revint avec la lettre. Le père Schedoni, lui avait-on dit, était en pèlerinage, prétexte que les moines de Spirito Santo donnaient à son absence pour sauver l’honneur de leur couvent et cacher son arrestation. Sœur Olivia, affranchie de ses craintes, promit à Elena de lui donner des détails sur sa famille. Mais ce ne fut qu’au bout de quelques jours qu’elle se trouva assez maîtresse d’elle-même pour rassembler tous ses souvenirs. La première partie de son récit concordait parfaitement avec la déposition du père Ansaldo; mais ce qui va suivre n’était connu que d’elle-même, de sa sœur, la signora Bianchi, d’un médecin et d’un domestique de confiance qui l’avait aidée dans l’exécution de son plan.

On a vu plus haut que le comte Ferando de Marinella, devenu comte de Bruno par le meurtre de son frère, avait fui aussitôt après celui de sa femme. La malheureuse comtesse, privée de sentiment, fut transportée dans sa chambre. Là, on reconnut que sa blessure n’était pas mortelle; mais l’atroce attentat dont elle venait d’être victime la décida à profiter de l’absence de son mari pour se soustraire à sa tyrannie, sans le dénoncer à la justice et sans couvrir d’infamie le nom qu’elle avait deux fois porté. Elle quitta sa demeure pour toujours, avec l’aide des trois personnes désignées plus haut, et se retira dans une partie reculée du royaume de Naples, au couvent de San Stefano, tandis qu’on lui faisait des funérailles magnifiques. La signora Bianchi, après la fuite de sa sœur, vint habiter quelque temps dans une maison qu’elle possédait assez près du couvent, avec la fille de la comtesse et du premier comte de Bruno et une autre fille, née du second mariage de sa sœur avec Marinella. À cette époque, Elena était âgée de deux ans et l’autre enfant encore au berceau. Celle-ci mourut dans l’année. C’était elle que Schedoni avait cru retrouver dans Elena. Car forcé de se cacher aux yeux de la signora Bianchi, il avait ignoré la mort de sa fille, et son erreur fut confirmée lorsque Elena lui dit que le portrait qu’elle avait sur elle était celui de son père. Elle avait trouvé cette miniature dans le cabinet de sa tante, peu de temps après la mort de cette dernière; et, voyant au dos du portrait le nom du comte de Bruno, elle l’avait porté constamment depuis ce jour avec le pieux respect de la tendresse filiale.

La signora Bianchi, en apprenant à Elena le secret de sa naissance, ne pouvait, sans manquer de prudence, lui révéler que sa mère vivait encore. C’était là ce qu’elle voulait lui apprendre à ses derniers moments; mais la soudaineté de sa mort avait prévenu cette explication.

Ferando de Marinella, depuis la mort de son frère et jusqu’à l’assassinat de la comtesse, avait vu s’accroître encore le désordre de ses affaires, de sorte qu’après sa fuite, les revenus des débris de son patrimoine furent saisis par ses créanciers. C’est ainsi qu’Elena se trouva complètement à la charge de sa tante dont la fortune modique avait déjà été ébréchée par la dot payée pour sa sœur au couvent de San Stefano et par l’acquisition de la villa Altieri.

Devenue sœur Olivia et consacrant sa vie aux pratiques de la religion, la comtesse avait passé assez paisiblement les premières années de sa retraite, malgré les regrets que causait à sa tendresse maternelle la privation des caresses de sa fille. Elle entretenait cependant une correspondance avec sa sœur, et elle y puisait quelque consolation, jusqu’au jour où le silence de la signora Bianchi lui causa de cruelles larmes. Plus tard, lorsqu’elle vit Elena au couvent de San Stefano, elle fut frappée d’une certaine ressemblance entre cette jeune fille et son premier mari; mais comment supposer, vu les circonstances dont s’accompagnaient cette rencontre, que cette étrangère pût être sa fille? Le surnom de Rosalba avait aussi donné le change à ses idées. Que se fût-il passé dans son âme si on lui eût dit que sa généreuse pitié pour une inconnue deviendrait le salut de sa propre fille!… car il est digne de remarque que les vertus de sœur Olivia, inspirées par l’humanité, l’avaient portée à protéger sans le savoir la liberté et la vie de son enfant, tandis que les vices de Schedoni l’avaient poussé aussi sans qu’il le sût à faire périr sa nièce; si bien que le ciel semblait faire tourner au triomphe de l’une et à la confusion de l’autre les moyens que tous deux employaient aveuglément, suivant que ces moyens étaient généreux ou pervers.

XXIII

Lorsque la marquise s’était vue à toute extrémité, bourrelée de remords et assaillie de terreurs, elle avait envoyé chercher un confesseur dans l’espoir de soulager sa conscience. La première condition que le prêtre attacha au pardon qu’elle implorait fut qu’elle réparât de tout son pouvoir le mal qu’elle avait fait aux autres et qu’elle rendît le bonheur à ceux qu’elle avait persécutés. Déjà sa conscience lui avait dicté cette résolution. Aussi, au moment d’entrer au tombeau, témoigna-t-elle autant d’empressement à favoriser le mariage de Vivaldi et d’Elena qu’elle avait montré d’ardeur à y mettre obstacle. Elle fit donc venir le marquis près de son lit de mort, lui avoua le complot qu’elle avait tramé contre l’honneur et la liberté d’Elena et le conjura de consentir au bonheur de leur fils. Mais le marquis, malgré l’horreur que lui causa la révélation des artifices et des cruautés de sa femme, résista à ses instances jusqu’à ce que le violent désespoir où il la vit en proie, au moment de rendre le dernier soupir, l’emportât sur ses répugnances. Il promit donc solennellement, en présence du confesseur, qu’il ne s’opposerait plus au mariage si son fils persistait dans son attachement pour la jeune fille. Cette promesse calma la marquise qui mourut en le remerciant.