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Au surplus, il ne paraissait guère probable que le marquis fût de longtemps mis en demeure de remplir l’engagement pris par lui à contrecœur; car toutes les recherches qu’on avait faites jusqu’alors sur le sort de Vivaldi avaient été infructueuses. Le malheureux père pleurait déjà son fils comme mort. Toute sa maison désolée était prête à en prendre le deuil, lorsqu’une nuit on fut réveillé par de violents coups de marteau frappés à la grande porte. Un moment après, on entendit dans l’antichambre une voix qui criait:

– Où est M. le marquis? Il faut que je le voie, tout de suite; il me pardonnera de le déranger quand il saura pourquoi!

Et avant que le marquis, prévenu, pût donner aucun ordre, Paolo était devant lui, effaré, hors d’haleine et ses habits en lambeaux. À cette vue, le marquis, se préparant à recevoir de mauvaises nouvelles, n’avait pas la force de lui en demander; mais les questions n’étaient pas nécessaires, et Paolo, sans préambule ni détours, lui apprit que son fils était à Rome dans les prisons de l’Inquisition.

Une nouvelle si terrible et si inattendue paralysa un instant toutes les facultés du marquis. Quelle résolution devait-il prendre? Lorsqu’il fut un peu remis de son trouble, il comprit la nécessité de partir pour Rome le plus tôt possible; il était sage cependant de consulter quelques amis dont les relations avec Rome lui procureraient certains moyens de succès. En attendant, il donna des ordres pour son prochain départ et il envoya Paolo se reposer. Mais le fidèle serviteur était trop agité pour chercher et trouver le sommeil, quoique à présent il n’eût plus rien à craindre. Un des gardiens de la geôle de l’Inquisition, trop humain pour son emploi, avait projeté de s’en affranchir par la fuite. Il avait fait part de ce dessein à Paolo, dont le bon naturel avait gagné sa confiance et son affection, et tous deux avaient si bien combiné leur plan qu’ils le menèrent à bonne fin, malgré l’imprudence de Paolo qui faillit le faire échouer en voulant tenter de délivrer son maître.

Le marquis partit le lendemain matin avec Paolo, que le danger qu’il courait en reparaissant à Rome n’empêcha pas de suivre le vieillard. Le rang et le crédit de ce seigneur à la cour de Naples secondaient auprès du Saint-Office le succès de ses démarches pour la liberté de son fils. En outre, il pouvait compter sur l’appui d’un ancien ami, le comte de Maro, tout-puissant à Rome. Cependant les sollicitations du marquis ne produisirent pas sur-le-champ l’effet qu’il en attendait et il s’écoula une quinzaine avant qu’il pût voir son fils. Lors de cette entrevue, la tendresse paternelle écarta tout fâcheux retour sur le passé; la situation de Vivaldi, encore souffrant de la blessure qu’il avait reçue à Celano et languissant en prison, réveilla toute la sensibilité du marquis. Il pardonna à son fils et parut disposé à lui rendre le bonheur, s’il pouvait lui faire rendre la liberté. Le jeune homme, en apprenant la mort de sa mère, versa des larmes sincères. La noirceur des projets de la marquise n’était pas venue à sa connaissance; et, quand il sut qu’à son lit de mort elle avait souhaité et voulu son bonheur, le remords des chagrins qu’il lui avait causés excita dans son cœur des angoisses telles qu’il ne fallut rien moins pour les apaiser que le souvenir des traitements dont Elena avait été menacée à San Stefano.

Depuis trois semaines déjà que le marquis était à Rome, il n’avait encore obtenu aucune réponse décisive du Saint-Office, lorsqu’il fut invité par le tribunal à se rendre à la prison de Schedoni. Il lui paraissait bien pénible de se retrouver avec un homme qui avait fait tant de mal à sa famille, mais il ne pouvait se refuser à cette entrevue. À l’heure indiquée, on le conduisit d’abord à la chambre de Vivaldi et, de là, tous deux se rendirent à celle de Schedoni, accompagnés par deux officiers de l’Inquisition. À leur entrée, le confesseur, qui était étendu sur un lit, souleva la tête pour adresser un léger salut au marquis. Son visage, éclairé par le peu de lumière qui tombait au travers de la double grille de sa prison, avait une expression effrayante; ses yeux caves, son teint livide, et tous ses traits affaissés portaient l’empreinte d’une mort prochaine.

– Où est, dit-il, le père Zampari? Je ne le vois plus ici. Tout à l’heure on m’a fait communier avec lui… pour nous réconcilier, disait-on… Ah! ah!

Il voulut rire, mais ce rire affreux ressemblait à un râle.

– S’il s’en est allé, qu’on le fasse revenir.

Un officier parla à une sentinelle qui sortit.

– Quelles sont les personnes que je vois autour de moi? demanda Schedoni. Qui est là, au pied de mon lit?

Vivaldi, abattu et perdu dans ses réflexions, fut rappelé à lui par la question du moine.

– C’est moi, répondit-il, moi, Vivaldi, qui suis venu sur votre demande. Qu’avez-vous à me dire?

Schedoni parut réfléchir; il porta ses regards sur le jeune homme et les en détourna ensuite en gardant le silence, comme s’il attendait… Enfin ses yeux égarés et vagues s’animèrent tout à coup, et il dit:

– Qui est-ce qui se glisse derrière moi dans l’obscurité?

– C’est moi, répondit le père Zampari qui venait d’entrer. Que voulez-vous de moi?

– Je veux, dit Schedoni en se soulevant, je veux que vous rendiez témoignage de la vérité que je vais déclarer.

Zampari et un inquisiteur qui l’accompagnait se placèrent d’un côté du lit, le marquis de l’autre et Vivaldi au pied. Après un moment de recueillement, Schedoni commença:

– Ce que j’ai à révéler ici se rapporte d’abord aux complots tramés contre l’honneur et le repos d’une jeune et innocente personne que le père Nicolas de Zampari, à mon instigation, a cruellement persécutée.

Zampari voulut l’interrompre; mais Vivaldi l’arrêta.

– Monsieur le marquis, poursuivit le confesseur, vous connaissez Elena Rosalba?

– J’ai entendu parler d’elle, répondit froidement le marquis.

– Eh bien, reprit Schedoni, on l’a calomniée auprès de vous. Jetez les yeux sur cet homme. Vous rappelez-vous ses traits?

Le marquis, ayant dévisagé le père Zampari, répondit:

– Oui, en effet, c’est une figure qu’on n’oublie pas aisément. Je me souviens de l’avoir vu plus d’une fois.

– Où l’avez-vous vu, monsieur le marquis?

– Chez moi, au palais, amené par vous-même.