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À ce moment suprême, tous les assistants témoignèrent malgré eux quelque compassion, excepté Zampari qui se tenait debout devant Schedoni, contemplant ses angoisses d’un œil satisfait, tant la vengeance avait pris possession de cette âme infernale! Mais, comme Vivaldi regardait cet homme avec indignation, il vit tout à coup ses traits se contracter et donner tous les signes d’une violente douleur. Cependant qu’il saisissait le bras de la première personne qui se trouvait près de lui et s’y cramponnait en penchant la tête.

On crut d’abord qu’il n’avait pu soutenir plus longtemps le spectacle de l’agonie de son ennemi: mais au bout d’un instant, Zampari, en proie à des convulsions terribles, se tordit, saisi d’un frisson mortel, en poussant des gémissements aigus; enfin, ne pouvant plus se soutenir, il tomba dans les bras de ceux qui l’entouraient.

À ce moment, Schedoni jeta un cri de joie si atroce, si strident, si peu semblable à celui d’une voix humaine, que tous les assistants, frappés de terreur, se précipitèrent pour sortir de ce lieu maudit; mais les portes étaient fermées et ne s’ouvrirent qu’un instant après, à l’arrivée d’un médecin qu’on avait envoyé chercher.

À la vue de Schedoni retombé dans ses convulsions, le praticien déclara qu’il était empoisonné et il se prononça de même au sujet de Zampari. Tandis qu’il donnait des ordres pour leur faire administrer des secours, la violence des douleurs de Schedoni se relâcha un peu; mais Zampari ne recouvra pas sa connaissance et mourut avant d’avoir pu prendre les remèdes indiqués.

L’antidote produisit quelque effet sur Schedoni qui reprit faiblement ses sens. Le premier mot qu’il murmura fut le nom de Zampari.

– Vit-il encore? demanda-t-il.

Au silence des assistants, il devina la vérité et parut se ranimer un peu.

L’inquisiteur, le voyant en état de répondre, lui posa quelques questions sur son état et sur la mort de Zampari.

– C’est le poison, répondit Schedoni sans hésiter.

– Le poison!… Qui vous l’a fait prendre?

– Moi-même.

– Et qui le lui a donné, à lui? reprit l’inquisiteur. Songez que vous êtes sur votre lit de mort. Répondez.

– Je n’ai nul dessein de cacher la vérité, dit Schedoni.

Là, sa faiblesse le contraignit de s’arrêter.

– Je l’ai fait périr, parce qu’il a voulu me faire périr moi-même… d’une mort ignominieuse… et c’est pour y échapper…

Il s’arrêta encore. Ses efforts l’avaient épuisé. On ordonna au greffier de recueillir ses paroles entrecoupées.

– Vous avouez donc, continua l’inquisiteur, que c’est vous qui avez empoisonné Nicolas de Zampari et vous-même avec lui?

Schedoni fit signe qu’il l’avouait.

On lui demanda par quel moyen il s’était procuré du poison et comment il avait pu l’administrer à Zampari. Il fit comprendre qu’il avait ce poison sur lui. Quant à la seconde question, il cessa d’être en état de répondre; et les juges, épouvantés, en furent réduits à des conjectures qui impliquaient un effroyable sacrilège. Ils se turent en voyant la vie abandonner peu à peu le corps immobile qu’ils avaient devant eux. Le feu qui avait reparu un moment dans les yeux du moribond s’éteignit, et un cadavre insensible fut bientôt tout ce qui resta du terrible Schedoni.

À la fin, les témoins ayant signé les écritures du greffier, on permit à tout le monde de se retirer. Vivaldi fut reconduit par son père dans sa prison où il devait demeurer jusqu’à ce que son innocence, attestée par la déposition de Schedoni, fût proclamée par le tribunal.

Cette sentence fut rendue quelques jours après; et Vivaldi, rendu à la liberté, alla rejoindre son père chez le comte de Maro. Tandis que le marquis et son fils recevaient les félicitations de ce seigneur et de quelques autres nobles, on entendit, dans l’antichambre, une voix éclatante qui s’écriait:

– Laissez-moi passer! Laissez-moi passer!

Au même instant, Paolo se précipita dans le salon et tomba aux pieds de son maître en fondant en larmes. Ce fut un moment bien doux pour Vivaldi. Il était trop touché des marques d’affection de ce brave garçon pour songer à excuser auprès de la noble compagnie le sans façon de ses manières. Il le releva en l’embrassant; puis le marquis, serrant la main loyale du fidèle serviteur de son fils, y glissa une bourse de mille sequins que Paolo voulait d’abord refuser, mais que Vivaldi le contraignit d’accepter comme premier acompte sur les émoluments de majordome de sa maison.

Conclusion

Le marquis et son fils prirent, le même jour, congé de leurs amis et repartirent pour Naples où ils arrivèrent le lendemain. Mais ce voyage fut triste pour Vivaldi, car le bonheur de se retrouver en liberté céda à la douleur que lui causa la déclaration de son père qui, d’après les nouvelles circonstances où ils se trouvaient, ne se croyait plus lié par la parole donnée à la marquise. L’héritier de son nom, disait-il, devait abandonner Elena s’il demeurait prouvé qu’elle fût la fille d’un scélérat tel que Schedoni. Cependant, dès son arrivée à Naples, Vivaldi, dévoré d’une impatience que rien ne pouvait modérer, courut au couvent de la Pietà.

Elena entendit sa voix à la grille, comme il la demandait à une religieuse qui était au parloir; et l’instant d’après les deux amants étaient réunis. En se retrouvant ainsi après tant d’incertitudes, de tourments et de dangers, leur joie toucha presque au délire. Après les premiers moments d’effusion, Vivaldi raconta à sa bien-aimée ses aventures, depuis l’instant où il avait été séparé d’elle dans la chapelle de Saint-Sébastien; mais, quand il en vint à cette partie de son récit où Schedoni figurait, il s’arrêta tout embarrassé. Il n’osait révéler à Elena les crimes de Schedoni; il ne pouvait non plus supporter l’idée de l’affliger en lui apprenant la mort de cet homme qu’elle croyait être son père. Cependant, comme il fallait arriver à un éclaircissement sur un sujet qui touchait à ses plus chers intérêts, il se hasarda à lui demander s’il était vrai, comme il l’avait entendu dire, qu’elle eût découvert le secret de sa naissance. À la joie qu’il vit éclater sur le visage d’Elena, il sentit son embarras s’accroître et, saisi d’une crainte mortelle, il hésitait à poursuivre l’entretien, lorsque sœur Olivia entra au parloir. La jeune fille la présenta à Vivaldi comme sa mère.

Quelques mots suffirent pour mettre le jeune homme au courant de tout ce qui concernait la famille d’Elena. Il fut transporté de joie en apprenant qu’elle n’était pas la fille de Schedoni. Sœur Olivia, de son côté, fut heureuse de savoir qu’elle n’avait plus rien à craindre de son plus cruel ennemi. Mais Vivaldi eut la délicatesse de lui cacher les circonstances horribles de la mort de ce grand criminel et tous les faits sinistres que le procès avait révélés.

Resté seul avec sœur Olivia, Vivaldi l’entretint de son tendre et constant attachement pour sa fille et la supplia de consentir à leur mariage. Elle lui répondit que, bien qu’elle fût instruite de leur amour mutuel, éprouvé par tant de traverses et de sacrifices, elle ne permettrait pas que sa fille entrât dans une famille qui ne saurait l’apprécier. Les vues de Vivaldi sur Elena devaient enfin être exprimées par une démarche du marquis lui-même. Cette condition n’effrayait plus Vivaldi depuis qu’il avait la preuve qu’Elena était la fille non pas du meurtrier Marinella, du sombre et farouche Schedoni, mais bien du premier comte de Bruno, seigneur aussi respectable par ses vertus que par sa naissance. Il ne doutait plus que son père, instruit de la vérité, ne fût prêt à remplir l’engagement qu’il avait contracté au lit de mort de sa femme. Cet espoir ne fut pas trompé. Le marquis, éclairé sur la naissance de la jeune fille, cessa de s’opposer aux désirs de son fils. Il voulut cependant faire constater d’abord que sœur Olivia était bien la comtesse de Bruno qui avait passé pour morte et, quoique cette vérification ne fût pas sans difficultés, il sut retrouver le médecin qui avait favorisé l’artifice employé par la comtesse pour échapper à la cruauté de son second mari, et dont le témoignage, joint à celui de Béatrice, suffit à dissiper tous les doutes. Le marquis se rendit ensuite au couvent de la Pietà pour solliciter dans les formes le consentement de sœur Olivia qui l’accorda avec la plus grande joie. Au cours de cette entrevue, le marquis fut charmé du ton et des manières de la comtesse et des grâces enjouées de sa future belle-fille.