Выбрать главу

Vivaldi, en le voyant condamné, semblait plus affecté que lui car, en cédant aux sommations du père Zampari, il avait contribué à la mort d’un homme.

Il se le reprochait bien malgré lui. Mais combien ce sentiment devint plus cruel encore lorsque, passant à ses côtés, Schedoni lui glissa, tout bas, ces quelques mots:

– Vous avez tué en moi le père d’Elena!

Ce n’est pas qu’en se dévoilant à Vivaldi, il espérât faire adoucir la sentence rendue; mais il voulait ainsi se venger du jeune homme, premier auteur de sa condamnation.

Vivaldi crut d’abord que ce n’était là qu’un grossier mensonge et, oubliant toute réserve, il demanda hautement des explications; mais le tribunal ne lui permit de s’entretenir avec le condamné qu’à la condition expresse que cet entretien serait public.

Aux questions répétées du jeune homme, Schedoni ne fit d’abord qu’une seule réponse: c’était qu’en effet Elena était bien sa fille; et il eut la joie de voir les angoisses et le désespoir du malheureux amant, véritablement convaincu par son assurance. Mais ensuite il se souvint qu’il était de son intérêt et de celui d’Elena de faire connaître à Vivaldi le lieu où elle s’était retirée, et il lui nomma le couvent de la Pietà. La joie de cette découverte fit taire pour un moment tout autre sentiment dans le cœur de Vivaldi.

Les officiers mirent fin à cet entretien. Schedoni fut emmené par ses gardes; Vivaldi fut reconduit à sa prison.

Une fois là, il fut quelque temps avant de pouvoir démêler les divers sentiments qui se combattaient dans son âme; d’un côté, la joie d’apprendre qu’Elena était sauvée, de l’autre, l’horrible idée qu’elle était la fille d’un meurtrier, que son père allait mourir sur l’échafaud et que lui-même, Vivaldi, avait contribué à l’y conduire! Il voulait douter encore de la déclaration du moine en l’imputant à une basse et atroce vengeance; mais, quand il réfléchissait à l’avis que Schedoni lui avait donné sur la retraite actuelle d’Elena, il ne pouvait croire à ses intentions cruelles. Dans cette affreuse incertitude, après avoir fatigué son esprit, par la lutte des conjectures les plus opposées, il s’arrêta enfin à l’idée que Schedoni lui avait au moins dit la vérité sur le séjour d’Elena au couvent de la Pietà. Quant à l’autre déclaration du moine, elle était si monstrueuse en elle-même et dans ses conséquences que le pauvre jeune homme faisait tous ses efforts pour en repousser même l’idée.

XXII

Tandis que ces événements se passaient dans les prisons de l’Inquisition, Elena, retirée à l’ombre de son couvent, ignorait toujours ce qu’était devenu Vivaldi.

Schedoni, en la quittant, avait promis de lui écrire à ce sujet; et, comme elle ne savait pas non plus qu’il fût arrêté, le silence du confesseur lui causait de vives inquiétudes. Se disposait-il à la reconnaître pour sa fille? Espérait-il toujours l’unir à Vivaldi? Cette incertitude la jetait dans des pensées mélancoliques et sombres. Pour s’y livrer plus librement, elle s’acheminait d’ordinaire, au coucher du soleil, sur une terrasse pratiquée dans les flancs de la montagne qui dominait le monastère. Un soir qu’elle s’y était attardée, elle aperçut tout à coup dans la grande cour un grand mouvement de lumière et de personnes; en même temps, un bruit confus de voix frappa son oreille. Aux vêtements blancs elle crut reconnaître les religieuses; elle se hâta de rentrer pour savoir ce qui se passait au couvent. Déjà elle avait gagné une allée de châtaigniers qui aboutissait à la grande cour, lorsqu’elle entendit plusieurs personnes qui s’avançaient de son côté. Parmi les voix qui se rapprochaient, il lui sembla en distinguer une dont le timbre la frappa. Elle écoutait, partagée entre l’espérance et la crainte d’une déception. Enfin, elle entendit la même voix prononcer son nom avec un mélange d’impatience et de tendresse; elle courut et se trouva dans les bras de sœur Olivia! Elle en croyait à peine ses sens et manquait de mots pour exprimer sa joie à la vue de la bonne religieuse à qui elle devait son salut, et qui venait partager son asile. Sœur Olivia rendait caresses pour caresses à sa jeune amie, et toutes deux se faisaient mille questions sur les événements qui avaient suivi leur séparation; mais, comme elles étaient environnées de trop d’auditeurs pour des confidences si délicates, Elena conduisit la nouvelle arrivée dans sa chambre. Là, sœur Olivia lui expliqua les motifs qui lui avaient fait quitter San Stefano.

En butte aux persécutions de l’abbesse qui la soupçonnait d’avoir favorisé la fuite d’Elena, elle avait demandé à l’évêque diocésain d’autoriser de passer dans le couvent de la Pietà. Elena ne manqua pas de s’informer avec une vive sollicitude du sort de Geronimo et du vieux moine qui l’avaient aidée à fuir, et elle fut heureuse d’apprendre que ni l’un ni l’autre n’avaient été inquiétés pour cette généreuse action.

– C’est un parti grave et que l’on prend rarement, dit sœur Olivia, que de changer de couvent, surtout à mon âge. Je n’ai pas besoin de vous exprimer le bonheur que j’éprouve à me retrouver avec vous. Les manières aimables de votre abbesse et de vos sœurs et leur bienveillant accueil m’ont ranimée. La couleur sombre sous laquelle tout se peignait à mes yeux a disparu et, après tant d’orages, j’entrevois dans le lointain quelques rayons de bonheur qui luiront peut-être sur le soir de ma vie.

C’était la première fois que sœur Olivia faisait allusion à ses malheurs. Sa jeune amie désirait et n’osait lui demander des explications sur ce sujet. Mais la religieuse, s’efforçant de chasser de pénibles souvenirs, lui dit avec un sourire languissant:

– Maintenant, dites-moi à votre tour, ma chère Elena, ce qui vous est arrivé depuis les tristes adieux que vous m’avez faits dans les jardins de San Stefano.

C’était là une tâche difficile pour la jeune fille. Elle pria son amie de la dispenser de certains détails et, gardant un silence absolu sur Schedoni, elle raconta la manière dont elle avait été séparée de Vivaldi, sur les bords du lac Celano, et ne fit qu’un récit sommaire de ce qui lui était arrivé ensuite jusqu’à ce qu’elle eût trouvé un refuge au couvent de la Pietà.

Cet entretien ne fut interrompu que par la cloche du soir qui, appelant les religieuses à la prière, sépara les deux nouvelles compagnes.

Elena, dans les journées qui suivirent, observa avec autant de surprise que de chagrin la mélancolie profonde dont les traits de sœur Olivia portaient l’empreinte; mais un intérêt plus puissant encore vint faire diversion à celui-là.

Un jour, elle vit entrer dans sa chambre sa vieille servante Béatrice, dont l’air troublé annonçait quelque événement extraordinaire et probablement malheureux; et, comme Vivaldi occupait toujours sa pensée, elle ne douta pas que Béatrice ne vînt lui parler de lui.

La vieille servante, tremblante et pâle, soit de la fatigue de la route, soit des fâcheuses nouvelles qu’elle apportait, se laissa tomber sur un siège et demeura quelques instants sans pouvoir répondre aux questions répétées que sa jeune maîtresse lui adressait:

– Ah! madame, dit-elle, si vous saviez ce que c’est pour une femme de mon âge, que de gravir une si haute montagne!

– Je vois, dit Elena respirant à peine, que vous avez de mauvaises nouvelles à m’apprendre. J’y suis préparée, aussi ne craignez pas de me dire tout.

– Hélas! madame, si une annonce de mort est toujours une mauvaise nouvelle, vous avez bien deviné.