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– Je ne puis feindre d’ignorer la prévention trop naturelle de votre famille pour une alliance avec la mienne. Je sais quelle importance le marquis et la marquise de Vivaldi attachent aux avantages de la naissance. Votre projet doit choquer leurs idées, à moins toutefois qu’ils ne l’ignorent. En tout cas, je dois vous déclarer, monsieur le comte, que si ma nièce leur est inférieure par le rang qu’elle occupe dans le monde, elle n’a pas à un moindre degré qu’eux-mêmes le sentiment de sa dignité.

Vivaldi, incapable de déguiser la vérité, avoua ingénument les dispositions de sa famille. Mais sa sincérité même, et l’énergie d’une passion trop éloquente pour ne pas commander la sympathie, radoucirent la signora Bianchi. Et puis elle se voyait, par son âge et ses infirmités, suivant le cours de la nature, sur le point de laisser Elena orpheline, seule au monde, sans parents et sans amis. Si jeune que deviendrait-elle?…

Sa beauté et son peu de connaissance du monde l’exposaient à des dangers qui faisaient d’avance frémir la bonne dame. Une telle perspective pouvait justifier l’oubli de certaines convenances qui, en d’autres circonstances, auraient été toutes-puissantes sur elle. Devait-elle refuser d’assurer à sa nièce la protection d’un homme d’honneur qui aspirait à être son époux… Et si sa délicatesse se révoltait à l’idée de faire entrer Elena dans une famille qui la repoussait, sa tendresse et sa sollicitude pour cette chère enfant n’atténuaient-elles pas, devant sa conscience, le blâme auquel elle s’exposait?

Mais, avant de prendre une décision, elle devait s’assurer du degré de confiance que Vivaldi méritait. Pour l’éprouver, elle ne donna à ses espérances que de très faibles encouragements et refusa absolument de lui laisser voir Elena jusqu’à ce que la réflexion l’eût amené à peser mûrement ses résolutions. À toutes les questions qu’il lui posa pour découvrir s’il avait un rival, elle ne répondit que d’une manière évasive. Et quand le jeune homme prit congé d’elle, il se sentit à la vérité un peu soulagé, mais il ignorait encore si sa jalousie était fondée et si les sentiments d’Elena lui étaient favorables.

Il avait obtenu de la tante la permission d’aller la revoir quelques jours après. En attendant cet heureux moment, le temps pesait à son impatience et il ne voyait qu’un moyen de l’abréger: c’était de se rendre de nouveau à la voûte mystérieuse et de rechercher les traces du moine; mais le jour où il voulait mettre ce projet à exécution, il reçut un billet de Bonarmo qui refusait décidément de l’accompagner dans cette expédition hasardeuse et qui essayait même de l’en détourner. Ce ne fut pas dès lors aux ruines de Paluzzi qu’il songea à rendre visite; une force irrésistible l’entraînait à la villa Altieri. Il arriva au jardin plus tôt que les jours précédents.

Il y avait à peu près une heure que le soleil était couché, mais l’horizon était encore bordé d’une bande d’or et la voûte céleste avait cette pure transparence particulière à ce climat enchanteur. Au sud-est, le Vésuve découpait sa masse sur le ciel d’un bleu sombre, mais le volcan se taisait.

Vivaldi n’entendait seulement que les cris de quelques lazzaroni qui jouaient ou se querellaient à peu de distance du rivage. Bientôt il aperçut une lumière qui brillait aux croisées d’un petit pavillon de l’orangerie et, cédant à l’espoir de revoir Elena, il s’avança de ce côté sans réfléchir à l’inconvenance d’une telle démarche, sans se dire qu’il était indiscret de poursuivre ainsi la jeune fille dans sa retraite et d’épier ses secrètes pensées. La tentation était trop forte. Arrivé près du pavillon, il se plaça devant une jalousie ouverte, caché toutefois par le feuillage d’un oranger. Elena était seule. Assise, dans une attitude rêveuse et mélancolique, elle tenait son luth sans en jouer. Sa physionomie et son regard voilé attestaient que son âme était en proie à un trouble profond. Se souvenant alors que, dans une circonstance semblable, il avait cru l’entendre prononcer son nom, Vivaldi allait se découvrir et se jeter à ses pieds, lorsque les sons du luth et de la voix d’Elena l’arrêtèrent. Elle chantait le premier couplet de la sérénade qu’il lui avait adressée la nuit de la fête, et cela avec un goût et une expression qui le ravirent. Elle fit une pause après ce premier couplet, et le jeune homme, entraîné par l’occasion, se mit à chanter le second. Son émotion faisait trembler sa voix, mais l’accent n’en était que plus pathétique.

Elena le reconnut bien vite; elle rougit et pâlit tour à tour; et avant la fin du couplet, le cœur palpitant, respirant à peine, elle était prête à s’évanouir. Vivaldi cependant s’avança vers le pavillon. À son approche, elle fit effort pour se remettre et lui ordonna de se retirer; et comme le jeune homme continuait à se diriger vers elle, elle sembla se disposer à fuir. Mais Vivaldi, d’un geste suppliant, implora un moment d’entretien.

– C’est impossible, dit-elle d’une voix qu’elle s’efforçait de rendre ferme.

– Par grâce, reprit le jeune homme, dites seulement que vous ne me haïssez pas! Dites que ma hardiesse, quand j’ose ainsi me présenter devant vous, ne m’a pas fait perdre tous mes titres à votre estime et à votre affection.

– Oubliez, dit Elena, oubliez ce que vous venez d’entendre.

– L’oublier? Ah! ne l’espérez pas! ce chant que vous répétiez n’est-il pas un écho des sentiments que vous m’avez inspirés? Ah! le souvenir de ce doux moment sera, au contraire, l’éternelle consolation de ma solitude et l’espérance qui soutiendra mon courage.

– Assez, dit-elle, je ne me pardonnerais pas d’avoir prolongé un pareil entretien.

Malgré la sévérité qu’elle affectait, Elena laissa tomber sur le jeune homme un regard et un sourire qui démentaient ses paroles. Vivaldi voulut lui exprimer sa reconnaissance, mais elle avait quitté le pavillon et, comme il essayait de la suivre dans le jardin, elle s’échappa à la faveur de l’obscurité.

Dès ce moment, Vivaldi sembla vivre d’une existence toute nouvelle: le monde était devenu un vrai paradis, un séjour de délices et de félicité. Le doux sourire d’Elena avait laissé une impression ineffaçable dans son cœur. Au milieu des transports de sa joie, il défiait le sort de le rendre malheureux. Il revola plutôt qu’il ne retourna à Naples, sans plus s’occuper du fâcheux personnage dont il avait reçu les avertissements. Il passa toute la nuit à se promener dans son appartement. Le bonheur l’agitait comme avait fait le doute quelques jours auparavant. Il écrivit et déchira plusieurs lettres, craignant tantôt d’en avoir trop dit et tantôt de n’en dire pas assez.

Vers le matin, cependant, il en avait écrit une dont il était plus satisfait, et il la remit à un domestique de confiance pour la porter sur-le-champ à la villa Altieri; mais à peine celui-ci était-il parti qu’il se rappela une foule de choses qu’il avait omises et qui auraient bien mieux rendu ses sentiments; il eût voulu ravoir sa lettre à tout prix. À ce moment on l’avertit que son père le demandait. Vivaldi se rendit près de lui, cherchant ce que le marquis pouvait avoir à lui dire. Le doute ne fut pas long.

Le marquis prit la parole d’un ton plein de hauteur et de sévérité.

– Mon fils, dit-il, j’ai voulu vous entretenir d’un sujet de la plus grande importance pour votre bonheur et pour notre honneur à tous et, en même temps, vous fournir l’occasion de démentir un rapport qui me causerait beaucoup de peine si je pouvais y ajouter foi. Mais j’ai trop bonne opinion de mon fils pour admettre un instant ce qu’on m’a dit de lui; j’ai même pris sur moi d’assurer que vous connaissiez trop bien vos devoirs envers votre famille et envers vous-même pour vous laisser entraîner à une démarche déshonorante. Je ne veux donc aujourd’hui que vous mettre à même de réfuter les calomnies dont vous êtes l’objet, et me voir autoriser par vous-même à détromper les personnes qui vous ont si mal jugé.