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Après avoir déclaré victorieuse de la grande mêlée de Pont-l’Amer lady Brienne de Torth, dernière montée des cent seize chevaliers en lice, Renly reprit : « En tant que champion, vous pouvez réclamer de moi la faveur qui vous conviendra. Vous l’obtiendrez, s’il est en mon pouvoir.

— Sire, répondit-elle, je demande l’honneur d’entrer dans votre garde Arc-en-ciel. Je voudrais être de vos sept et vouer ma vie à la vôtre, aller où vous allez, monter à vos côtés et préserver votre personne de toute atteinte et de tout danger.

— Accordé, dit-il. Levez-vous et retirez votre heaume. »

Elle s’exécuta et, sur-le-champ, Catelyn comprit l’insinuation louche de ser Colen.

Dérision que le sobriquet de « Belle ». La tignasse qui venait d’apparaître tenait du nid d’écureuil et de la litière souillée. Et si Brienne avait de grands yeux très bleus de jeune fille, des yeux candides et francs, que dire du reste… ? Des traits épais, vulgaires, une ganache prognathe et crochue, la bouche démesurée, lippue au point de sembler boursouflée. Des milliers de taches de son mouchetaient ses joues et son front, les méandres hasardeux du nez trahissaient plus d’une fracture. Se peut-il en ce monde créature plus malheureuse , songea Catelyn avec compassion, qu’une femme laide ?

Et pourtant, lorsque Renly lui retira son manteau en loques afin d’y substituer celui de la garde Arc-en-ciel, Brienne de Torth ne paraissait pas malheureuse. Un sourire l’illumina, et c’est d’une voix forte où perçait la fierté qu’elle proféra : « Ma vie vous appartient, Sire. Je serai dorénavant votre bouclier, je le jure par les dieux anciens et nouveaux. » Sa manière de regarder le roi – de le toiser, car elle le dépassait d’une bonne largeur de main, bien qu’il fût presque aussi gigantesque que Robert, jadis – faisait peine à voir.

« Sire ! » Ser Colen d’Etanverts sauta de selle et s’approcha de la tribune. « Avec votre permission. » Il mit un genou en terre. « J’ai l’honneur de vous amener lady Catelyn Stark, émissaire de son fils Robb, seigneur de Winterfell.

— Seigneur de Winterfell et roi du Nord, ser », rectifia-t-elle en démontant à son tour.

Le roi Renly parut surpris. « Lady Catelyn ? Quel bonheur pour nous. » Il se tourna vers sa jeune épouse. « Permettez-moi, chère Margaery, de vous présenter lady Catelyn Stark de Winterfell.

— Soyez la très bienvenue parmi nous, lady Stark, susurra galamment la reine. Votre deuil me touche.

— C’est aimable à vous.

— Sur ma foi, madame, déclara le roi, les Lannister répondront du meurtre de votre mari. Dès que j’aurai pris Port-Réal, vous recevrez la tête de Cersei. »

Et cela me rendra Ned, peut-être ? « Il me suffira de savoir que justice est faite, messire.

— Sire ! corrigea vertement Brienne la Bleue. Et vous devriez vous agenouiller, en présence du roi.

— Entre messire et sire, la distance est mince, madame, riposta Catelyn. Lord Renly porte une couronne, tout comme mon fils. Si tel est votre désir, nous pouvons demeurer ici, à patauger dans la boue et à disputer des honneurs et titres dus à chacun d’eux, mais nous avons, si je ne m’abuse, à traiter d’affaires autrement urgentes. »

La réplique hérissa quelques courtisans, mais Renly se contenta d’en rire. « Bien parlé, madame. Il sera bien temps d’aborder ces gracieusetés une fois clos le chapitre des hostilités. Dites-moi, quand votre fils entend-il marcher contre Harrenhal ? »

Tant qu’elle ignorerait si ce roi comptait se comporter en allié ou en adversaire, Catelyn n’était pas disposée à rien révéler des projets de Robb. « Je ne siège pas aux conseils de guerre de mon fils, messire.

— Du moment qu’il me laisse quelques Lannister, je ne me plains pas. Qu’a-t-il fait du Régicide ?

— Jaime Lannister se trouve à Vivesaigues dans un cachot.

— En vie ? » Lord Mathis Rowan ne cachait pas sa consternation.

Ni Renly sa stupéfaction. « Le loup-garou ferait donc preuve de plus de clémence que le lion ?

— Plus de clémence que les Lannister, murmura lady du Rouvre avec un sourire acerbe, c’est plus saumâtre que la mer.

— J’appelle ça de la pusillanimité ! » La barbiche grise et hirsute de lord Randyll Tarly ne démentait pas sa réputation de mufle à l’emporte-pièce. « Sauf votre respect, lady Stark, il eût été mieux séant qu’au lieu de se camoufler derrière vos jupes lord Robb vînt en personne rendre hommage à Sa Majesté.

— Le roi Robb est en train de guerroyer, messire, rétorqua-t-elle avec une politesse glaciale, et non de se divertir en tournois. »

Renly eut un sourire goguenard. « Prudence, lord Randyll, on vient de vous damer le pion… » Puis, hélant un régisseur aux couleurs d’Accalmie : « Loge-moi les compagnons de notre visiteuse en veillant qu’ils ne manquent de rien. Lady Catelyn occupera mon propre pavillon dont je n’ai que faire, puisque lord Caswell a eu l’extrême obligeance de m’abandonner son château. Après que vous vous serez reposée, madame, daignez honorer de votre présence, je vous prie, le festin que nous offre ce soir mon hôte. Un festin d’adieux. Car je crains que Sa Seigneurie ne brûle de voir enfin les talons de ma horde affamée.

— Permettez-moi, Sire, de m’inscrire en faux, protesta un jeune homme mince qui devait être Caswell. Ce qui est à moi est à vous.

— Mon frère prenait au mot quiconque lui disait cela, badina Renly. Vous avez des filles ?

— Oui, Sire. Deux.

— Eh bien, rendez grâces aux dieux que je ne sois pas Robert. Ma douce reine est la seule femme que je désire. » Il tendit la main pour aider Margaery à se lever. « Nous reprendrons notre entretien, lady Catelyn, après que vous vous serez délassée. »

Pendant qu’il entraînait sa femme en direction du castel, son régisseur conduisit Catelyn vers le pavillon de soie verte. « S’il vous faut quoi que ce soit, madame, prenez seulement la peine de le demander. »

La peine était plutôt d’imaginer une quelconque envie qui ne fût d’avance comblée. Plus vaste que les salles communes de nombre d’auberges, la tente offrait tout le confort possible : matelas de duvet et courtepointes de fourrure, baignoire de cuivre et de bois assez large pour deux, braseros contre la fraîcheur nocturne, pliants de cuir, écritoire munie de plumes et d’encrier, jattes de pêches, de prunes et de poires, fiasque de vin et service de coupes d’argent, coffres de cèdre emplis d’effets du roi, livres, cartes, tables à jeux, harpe, arc, carquois, flèches, deux faucons rouge-queue de poing, panoplie d’armes de parade… Se refuse rien, le Renly, pensait-elle en promenant un regard circulaire. Pas étonnant que son armée lambine autant.

Près de la portière se dressait en sentinelle l’armure du roi ; un agencement de plates vert sapin aux jointures rehaussées d’or ; sur le heaume se déployaient d’extravagants andouillers d’or. Et tel était le poli de l’acier qu’elle se voyait réfléchie dans le corselet, se rendant regard pour regard comme du fond d’un étang glauque. Un visage de femme noyée, se dit-elle. Noyée dans le chagrin, peux-tu te le permettre ? Elle se détourna brusquement, fâchée de sa propre fragilité. S’apitoyer sur elle-même était un luxe intempestif. Elle n’avait que le loisir, et vite, de se décrasser les cheveux et d’enfiler une tenue moins indigne d’un festin de roi.

Ser Wendel Manderly, ser Perwyn Frey, Lucas Nerbosc et consorts de haut parage l’accompagnèrent au castel. Il fallait une éducation raffinée pour appeler grande la grande salle de lord Caswell, mais on finit par dénicher quelques interstices à leur intention, parmi les chevaliers liges de Renly, sur les bancs bondés, tandis que Catelyn gagnait sur l’estrade sa propre place, entre le rubicond lord Mathis Rowan et l’affable ser Jon Fossovoie, de la branche Fossovoie pomme-verte. L’un badina, l’autre s’enquit poliment des santés de père, frère, enfants.