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" je comprends certes que vous n'ayez pas pour mission et pour but de le combler, mais vous pouviez au moins me concéder une franche camaraderie qui m'eût permis de laisser mon sexe chez moi et d'aller causer quelquefois, le soir, avec vous; cette chose si simple en apparence, vous l'avez rendue impossible.

– adieu et pour jamais. Je n'ai plus qu'à faire un nouveau pacte avec la solitude à laquelle j'ai tenté d'être infidèle… " -la solitude! Eh bien et ce cocu paterne et narquois qu'est son mari! Au fait, reprit-il, c'est lui qui doit-être, à l'heure actuelle, le plus à plaindre! Je lui procurais des soirées silencieuses, je lui restituais une femme assouplie et satisfaite; il profitait de mes fatigues, ce sacristain! Ah!

Quand j'y songe, ses yeux papelards et sournois, quand il me regardait, en disaient long!

Enfin, ce petit roman est terminé; la bonne chose que d'avoir le coeur en grève! L'on ne souffre ni des mésaises d'amour, ni des ruptures! Il me reste bien un cerveau mal famé qui, de temps en temps, prend feu, mais les postes-vigies des pompières l'éteignent, en un clin d'oeil.

Autrefois, quand j'étais jeune et ardent, les femmes se fichaient de moi; maintenant que je suis rassis, c'est moi qui me fiche d'elles. C'est le vrai rôle, celui-là, mon vieux, dit-il à son chat qui écoutait, les oreilles droites, ce soliloque. Au fond, ce que Gilles De Rais est plus intéressant que Mme Chantelouve; malheureusement, mes relations avec lui tirent à leur fin aussi; encore quelques pages et le livre est achevé. -allons, bon, voilà cet affreux Rateau qui vient troubler mon ménage.

Et, en effet, le concierge entra, s'excusa d'être en retard, enleva sa veste, et jeta un regard de défi aux meubles.

Puis il s'élança sur le lit, se colleta, comme un lutteur, avec les matelas, en prit un à bras-le-corps, le souleva de terre, se balança avec, puis d'un coup de reins, l'étala, en soufflant, sur le sommier.

Durtal passa, suivi de son chat, dans l'autre pièce, mais subitement Rateau interrompit son pugilat et vint les rejoindre.

– monsieur sait ce qui m'arrive? Balbutia-t-il, d'un ton piteux.

– non.

– Madame Rateau m'a quitté.

– elle vous a quitté! Mais elle a au moins soixante ans!

Rateau leva les yeux au ciel.

– et, elle est partie avec un autre?

Rateau abaissa, désolé, le plumeau qu'il tenait en main.

– diable! Mais, votre femme avait donc, malgré son âge, des exigences que vous ne pouviez satisfaire?

Le concierge secoua la tête et il finit par avouer que c'était tout le contraire.

– oh! Fit Durtal, en considérant ce vieil escogriffe, tanné par l'air des soupentes et le trois-six-mais, si elle désire ne plus être adorée, pourquoi s'est-elle enfuie avec un homme?

Rateau eut une grimace de mépris et de pitié.

– c'est un impotent, un propre à rien, un feignant sur l'article qu'elle a choisi.

– ah!

– c'est par rapport à la loge que c'est désagréable; le propriétaire, il ne veut pas d'un concierge qui soit sans femme!

Seigneur! Quelle aubaine! Pensa Durtal. -tiens j'allais me rendre chez toi, dit-il à Des Hermies qui, trouvant la clef laissée sur la porte par Rateau, était entré.

– eh bien! Puisque ton ménage n'est pas fini, descend comme un Dieu de ton nuage de poussière et viens chez moi.

Chemin faisant, Durtal raconta à son ami les mésaventures conjugales de son concierge.

– oh! Fit des Hermies, que de femmes seraient heureuses de laurer l'occiput d'un vieillard si combustible! -mais, quelle dégoûtation! Reprit-il, en montrant, autour d'eux les murs des maisons couverts d'affiches.

C'était une véritable débauche de placards; partout sur des papiers de couleur, s'étalaient, en grosses capitales, les noms de Boulanger et de Jacques.

– ce sera, Dieu merci, terminé dimanche!

– il y a bien une ressource maintenant, reprit des Hermies, pour échapper à l'horreur de cette vie ambiante, c'est de ne plus lever les yeux, de garder à jamais l'attitude timorée des modesties. Alors, en ne contemplant que les trottoirs, l'on voit, dans les rues, les plaques des regards électriques de la compagnie Popp. Il y a des signaux, des blasons d'alchimiste en relief sur ces rondelles, des roues à crans, des caractères talismaniques, des pantacles bizarres avec des soleils, des marteaux et des ancres; ça peut permettre de s'imaginer qu'on vit au moyen age!

– oui, mais il faudrait, pour n'être pas dissipé par l'horrible foule, avoir des oeillères comme des chevaux et en avant, sur le crâne, les visières de ces képis à la conquête d'Afrique, qu'arborent maintenant les collégiens et les officiers.

Des Hermies soupira. -entre, dit-il, en ouvrant sa porte; ils s'installèrent dans des fauteuils et allumèrent des cigarettes.

– je ne suis tout de même pas encore bien remis de la conversation qui eut lieu chez Carhaix, avec Gévingey, l'autre soir, fit Durtal, en riant. Ce Dr Johannès est bien étrange! Je ne puis pas m'empêcher d'y songer. Voyons, crois-tu sincèrement au miracle de ses cures?

– je suis obligé d'y croire; je ne t'ai pas tout dit, car un médecin qui raconte de telles histoires semble, quand même, fol; eh bien, sache-le, ce prêtre opère des guérisons impossibles.

Je l'ai connu lorsqu'il faisait encore partie du clergé parisien, à propos justement d'un de ces sauvetages auxquels j'avoue ne rien comprendre.

La bonne de ma mère avait une grande fille paralysée des bras et des jambes, souffrant mort et passion dans la poitrine, poussant des hurlements dès qu'on la touchait. C'était venu, à la suite d'on ne sait quoi, en une nuit; elle était, depuis près de deux années, dans cet état. Renvoyée comme incurable des hôpitaux de Lyon, elle vint à Paris, suivit un traitement à la salpêtrière, s'en alla, sans que personne ait jamais su ce qu'elle avait et sans qu'aucune médication ait jamais pu la soulager. Un jour, elle me parla de cet abbé Johannès qui avait, disait-elle, guéri des gens aussi malades qu'elle.

Je n'en croyais pas un mot, mais, étant donné que ce prêtre n'acceptait aucun argent, je ne la détournai point de le visiter et, par curiosité, je l'accompagnai lorsqu'elle s'y rendit.

On la monta sur une chaise et ce petit ecclésiastique, vif, agile, lui prit la main. Il y posa, une, deux, trois pierres précieuses, chacune à son tour, puis tranquillement il lui dit: mademoiselle, vous êtes victime d'un maléfice de consanguinéité.

J'eus une forte envie de rire.

– rappelez-vous, reprit-il, vous avez dû avoir, il y a deux ans, puisque vous êtes paralysée depuis cette époque, une querelle avec un parent ou une parente.

C'était vrai, la pauvre Marie avait été indûment accusée du vol d'une montre provenant d'une succession par une tante qui avait juré de se venger.

– elle demeurait à Lyon, votre tante?

Elle fit signe que oui.

– rien d'étonnant, continua le prêtre; à Lyon, dans le peuple, il y a beaucoup de rebouteurs qui connaissent la science des sortilèges pratiquée dans les campagnes; mais rassurez-vous, ces gens-là ne sont pas forts. Ils en sont à l'enfance de cet art; alors, mademoiselle, vous désirez guérir?

Et après qu'elle eut dit oui, il reprit doucement:

eh bien, cela suffit, vous pouvez partir.

Il ne la toucha pas, ne lui prescrivit aucun remède.

Je sortis, persuadé que cet empirique était ou un fumiste ou un fou, mais quand trois jours, après, les bras se levèrent, quand cette fille ne souffrit plus et qu'au bout d'une semaine elle put marcher, je dus bien me rendre à l'évidence; j'allai revoir ce thaumaturge, je découvris le joint pour lui être, en une circonstance, utile, et c'est ainsi que nos relations commencèrent.

– mais enfin, quels sont les moyens dont il dispose?

– il procède, ainsi que le curé D'Ars, par la prière: puis il évoque les milices du ciel, rompt les cercles magique, chasse, " classe " suivant son expression, les esprits du mal. Je sais bien que c'est confondant, et que, lorsque je parle de la puissance de cet homme à mes confrères, ils sourient d'un air supérieur ou me servent le précieux arguments qu'ils ont inventé pour expliquer les guérisons opérées par le Christ ou par la vierge.