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– diantre! Fit Durtal. Tout n'est pas rose, dans ce métier; mais, voyons, lorsqu'on entre dans cette voie, l'on ne peut donc évoquer que les esprits du mal?

– t'imagines-tu que les anges qui n'obéissent, ici-bas, qu'aux Saints, reçoivent les ordres du premier venu?

– mais enfin, il doit y avoir, entre les esprits de lumière et les esprits de ténèbres, un moyen terme, des esprits ni célestes, ni démoniaques, mitoyens, ceux, par exemple, qui débitent de si fétides âneries dans les séances des spirites!

– un prêtre me disait, un soir, que les larves indifférentes, neutres, habitent un territoire invisible et naturel, quelque chose comme une petite île qu'assiègent, de toutes parts, les bons et les mauvais esprits. Elles sont de plus en plus refoulées, finissent par se fondre dans l'un ou l'autre camp. Or, à force d'évoquer ces larves, les occultistes qui ne peuvent, bien entendu, attirer les anges, finissent par amener les esprits du mal et, qu'ils le veuillent ou non, sans même le savoir, ils se meuvent dans le diabolisme. C'est là, en somme, où aboutit à un moment donné, le spiritisme!

– oui, et si l'on admet cette dégoûtante idée qu'un médium imbécile peut susciter les morts, à plus forte raison, doit-on reconnaître l'étampe de Satan, dans ces pratiques.

– sans aucun doute; de quelque côté que l'on se tourne, le spiritisme est une ordure!

– alors, tu ne crois pas, en somme, à la théurgie, à la magie blanche?

– non, c'est de la blague! C'est un oripeau qui sert aux gaillards tels que les rose-croix, à cacher leurs plus répugnants essais de magie noire.

Personne n'ose avouer qu'il satanise; la magie blanche, mais malgré les belles phrases dont l'assaisonnent les hypocrites ou les niais, en quoi veux-tu qu'elle consiste? Où veux-tu qu'elle mène? D'ailleurs l'église, que ces compérages ne sauraient duper, condamne indifféremment l'une et l'autre de ces magies.

– ah! Dit Durtal, en allumant une cigarette, après un silence, ça vaut mieux que de causer de politique ou de courses, mais quelle pétaudière! Que croire?

La moitié de ces doctrines est folle et l'autre est si mystérieuse qu'elle entraîne; attester le satanisme? Dame, c'est bien gros et, pourtant cela peut sembler quasi sûr; mais alors, si on est logique avec soi-même, il faut croire au catholicisme et, dans ce cas, il ne reste plus qu'à prier; car enfin, ce n'est pas le bouddhisme et les autres cultes de ce gabarit qui sont de taille à lutter contre la religion du Christ!

– eh bien, crois!

– je ne peux pas; il y a là dedans un tas de dogmes qui me découragent et me révoltent!

– je ne suis pas certain non plus de bien grand'chose, reprit Des Hermies, et pourtant il y a des moments où je sens que ça vient, où je crois presque. Ce qui est, en tout cas, avéré pour moi, c'est que le surnaturel existe, qu'il soit chrétien ou non. Le nier, c'est nier l'évidence, c'est barboter dans l'auge du matérialisme, dans le bac stupide des libres-penseurs!

– c'est tout de même embêtant de vaciller ainsi!

Ah! Ce que j'envie la foi robuste de Carhaix.

– tu n'es pas difficile, répondit Des Hermies, la foi, mais c'est le brise-lames de la vie, c'est le seul môle derrière lequel l'homme démâté puisse s'échouer en paix!

CHAPITRE XXII

A imez-vous cela? Dit la maman Carhaix. Pour vous changer, j'ai mis le pot-au-feu, hier, et gardé le boeuf; de sorte que, ce soir, vous aurez un bouillon au vermicelle, une salade de viande froide avec des harengs saurs et du céleri, une bonne purée de pommes de terre au fromage et du dessert. Et puis, vous goûterez le nouveau cidre que nous avons reçu.

– oh, oh! S'exclamèrent Des Hermies et Durtal qui savouraient, en attendant le repas, un petit verre d'élixir de longue vie; savez-vous, Madame Carhaix, que votre cuisine nous induit au péché de gourmandise; pour peu que cela dure, nous allons devenir des ventricoles et des gamache!

– vous voulez rire! -mais que c'est donc ennuyeux, Louis qui ne revient pas.

– on monte, fit Durtal, qui entendait crier des semelles sur les marches en pierre de la tour.

– non, ce n'est point lui, reprit-elle, en ouvrant la porte. C'est le pas de M. Gévingey.

Et, en effet, vêtu de son caban bleu, coiffé de son chapeau mou, l'astrologue entra, salua comme au théâtre, froissa contre les bijoux de ses grosses pattes, les doigts des assistants et demanda des nouvelles du sonneur.

– il est chez le charpentier; les sommiers de chêne qui soutiennent les grosses cloches se sont fendus, si bien que Louis a peur qu'ils ne s'effondrent.

– diantre!

– a-t-on des nouvelles de l'élection? Dit Gévingey; et il tira sa pipe et souffla dedans.

– non, dans ce quartier, l'on ne connaîtra les résultats du scrutin que ce soir, vers les dix heures.

Du reste, les votes ne sont point douteux, car Paris bat la breloque; le général Boulanger passera, haut la main, cela est sûr.

– un proverbe du moyen age affirme que lorsque les fèves fleurissent, les fous se montrent. Ce n'est cependant pas l'époque.

Carhaix entra, s'excusa de son retard et tandis que sa femme apportait la soupe, il chaussa ses galoches et répondit à ses amis qui le questionnaient:

– oui, l'humidité a rongé les frettes de fer et pourri le bois. Les poutres font ventre; il est temps que le charpentier intervienne; enfin, il m'a promis qu'il serait ici, sans faute, demain, avec ses hommes. C'est égal, je suis content d'être rentré. Dans les rues, tout me tourne, je suis hébété, incertain, ivre; je n'ai vraiment mes aises que dans mon clocher ou dans cette chambre. -tiens, soumets-moi cela, ma femme, et il empoigna pour la remuer la salade de céleri, de hareng et de boeuf.

– quel fumet! S'écria Durtal, en humant l'odeur incisive du hareng. Ce que ce parfum suggère! Cela m'évoque la vision d'une cheminée à hotte dans laquelle des sarments de genévrier pétillent, en un rez-de-chaussée dont la porte s'ouvre sur un grand port! Il me semble qu'il y a comme un halo de goudron et d'algues salées autour de ces ors fumés et de ces rouilles sèches. C'est exquis, reprit-il, en goûtant à cette salade.

– on vous en refera, Monsieur Durtal, vous n'êtes pas difficile à régaler, dit la femme de Carhaix.

– hélas! Fit le mari, en souriant, il est de corps facile à satisfaire, mais d'âme! Quand je songe à ses désespérants aphorismes de l'autre soir! Nous prions cependant pour que Dieu l'éclaire. Tiens, dit-il soudain à sa femme, nous invoquerons saint Nolasque et saint Théodule que l'on représente toujours avec des cloches. Ils sont un peu de la partie, ils se feront certainement les intercesseurs des gens qui les révèrent, eux et leurs emblèmes!

– il faudrait de fiers miracles pour convaincre Durtal fit Des Hermies.

– les cloches en ont pourtant suscité, proféra l'astrologue. Je me rappelle avoir lu, je ne sais plus où, que les anges sonnèrent le glas, au moment où saint Isodore de Madrid mourait.

– et il y en a bien d'autres! S'écria le sonneur; les cloches ont carillonné, toutes seules, lorsque saint Sigisbert chantait le de profundis sur le cadavre du martyr Placide; et quand le corps de saint Ennemond, évêque de Lyon, fut jeté par ses meurtriers dans un bateau sans rameurs et sans voiles, elles retentirent également, sans que personne les mît en branle, au passage de l'embarcation qui descendait la Saône.

– savez-vous à quoi je pense? Dit Des Hermies qui regardait Carhaix. Je pense que vous devriez travailler un compendieux recueil d'hagiographie ou préparer un savant in-folio sur le blason.

– pourquoi cela?

– mais parce que vous êtes, Dieu merci! Si loin de votre époque, si fervent des choses qu'elle ignore ou qu'elle exècre, que cela vous exhausserait encore! Vous êtes, bon ami, l'homme à jamais inintelligible pour les générations qui viennent.