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Sonner les cloches en les adorant, et se livrer aux besognes désuètes de l'art féodal ou à des labeurs monastiques de vies de saints, ce serait complet, si bien hors de Paris, si bien dans les là-bas, si loin dans les vieux âges!

– hélas! Dit Carhaix, je ne suis qu'un pauvre homme et je ne sais rien, mais ce type que vous rêvez existe. En Suisse, je crois, un accordant collige depuis des années un mémorial héraldique.

Reste à savoir, par exemple, reprit-il, en riant, si l'une de ces occupations ne nuit pas à l'autre.

– et le métier d'astrologue, pensez-vous donc qu'il ne soit pas encore plus décrié, plus aboli?

Dit Gévingey avec amertume.

– voyons, et notre cidre, comment le trouvez-vous?

Demanda la femme du sonneur. Il est un peu vert, hein?

– non, il est de saveur gamine mais de lampée franche, répondit Durtal.

– ma femme, sers la purée, sans m'attendre. Je vous ai mis en retard avec mes courses et l'heure de l'angélus est proche. Ne vous occupez pas de moi, mangez, je vous rattraperai, en descendant.

Et, pendant que son mari allumait sa lanterne et quittait la pièce, la femme apporta dans un plat une sorte de gâteau couvert d'une croûte tachetée de caramel et glacée d'or.

– oh, oh! Fit Gévingey, mais ce n'est pas de la purée de pommes de terre!

– si, seulement le dessus a été gratiné au four de campagne; -goûtez-là; j'ai mis tout ce qu'il faut dedans, elle doit être bonne.

Le fait est qu'elle était savoureuse et qu'ils l'acclamèrent; puis ils se turent, car il devenait impossible de s'entendre. Ce soir-là, la cloche bôombait, plus puissante et plus claire. Durtal cherchait à analyser ce bruit qui semblait faire tanguer la chambre. Il y avait comme une sorte de flux et de reflux de sons; d'abord, le choc formidable du battant contre l'airain du vase, ensuite une sorte d'écrasement de sons qui se diffusaient, finement pilés, en rotondant; enfin le retour du battant dont le nouveau coup ajoutait dans le mortier de bronze, d'autres ondes sonores qu'il broyait et rejetait, dispersées dans la tour.

Puis ces volées s'espacèrent; ce ne fut plus bientôt que le ronronnement d'un énorme rouet; quelques gouttes restèrent plus lentes à tomber, et Carhaix rentra.

– quel temps biscornu! Fit Gévingey, pensif; on ne croit plus à rien et l'on gobe tout. On invente, chaque matin, une science neuve; à l'heure actuelle, c'est cette la palissade qu'on nomme la démagogie qui trône! Et personne ne lit plus cet admirable Paracelse qui a tout retrouvé, qui a tout créé! Dites donc aujourd'hui à vos congrès de savants, que, selon ce grand maître, la vie est une goutte de l'essence des astres, que chacun de nos organes correspond à une planète et en dépend, que nous sommes, par conséquent, un abrégé de la sphère divine; dites-leur donc, – et cela l'expérience l'atteste, -que tout homme, né sous le signe de Saturne, est mélancolique et pituiteux, taciturne et solitaire, pauvre et vain; que cet astre lourd, tardif en ses empreintes, prédispose aux superstitions et aux fraudes, qu'il préside aux épilepsies et aux varices, aux hémorroïdes et aux lèpres, qu'il est, hélas! Le grand pourvoyeur des hospices et des bagnes, et ils se gaudiront, ils lèveront les épaules, ces ânes assermentés, ces glorieux cuistres!

– oui, fit Des Hermies, Paracelse fut un des plus extraordinaires praticiens de la médecine occulte.

Il connaissait les mystères maintenant oubliés du sang, les effets médicaux encore inconnus de la lumière. Professant, ainsi que les kabbalistes, du reste, que l'être humain est composé de trois parties, d'un corps matériel, d'une âme et d'un périsprit appelé aussi corps astral, il soignait ce dernier surtout et réagissait sur l'enveloppe extérieure et charnelle, par des procédés qui sont ou incompréhensibles ou déchus. Il traitait les blessures, en soignant non pas les tissus mais le sang qui en sortait. On assure même qu'il guérissait certains maux!

– grâce à ses profondes connaissances en astrologie, dit Gévingey.

– mais, demanda Durtal, si l'influence sidérale est si nécessaire à étudier, pourquoi ne faites-vous pas d'élèves?

– des élèves! Mais où dénicher des gens qui consentent à travailler pendant vingt années, sans profit et sans gloire? Car avant d'être en mesure d'établir un horoscope, il faut être un astronome de première force, savoir les mathématiques à fond et avoir longuement pâli sur l'obscur latin des vieux maîtres! -et puis, il faut aussi la vocation et la foi, et c'est perdu!

– comme pour les accordants, dit Carhaix.

– non, voyez-vous, messieurs, reprit Gévingey, le jour où les grandes sciences du moyen age ont sombré dans l'indifférence systématique et hostile d'un peuple impie, ç' a été la fin de l'âme, en France!

Il ne nous reste plus maintenant qu'à nous croiser les bras et à écouter les insipides propos d'une société qui, tour à tour, rigole et grogne!

– allons il ne faut pas désespérer ainsi; ça ira mieux, dit la maman Carhaix, d'un ton conciliant; et, avant de se retirer, elle donna une poignée de main à chacun de ses hôtes.

– le peuple, fit Des Hermies, en versant de l'eau dans la cafetière, au lieu de l'améliorer, les siècles l'avarient, le prostrent, l'abêtissent!

Rappelez-vous le siège, la commune, les engouements irraisonnés, les haines tumultuaires et sans cause, toute la démence d'une populace mal nourrie, trop désaltérée et en armes! -elle ne vaut tout de même pas la naïve et miséricordieuse plèbe du moyen age! Raconte donc, Durtal, ce que fit le peuple, alors que Gilles De Rais fut conduit au bûcher.

– oui, dites-nous cela, demanda Carhaix, ses gros yeux noyés dans la fumée de pipe.

– eh bien! Vous le savez, à la suite de forfaits inouïs, le maréchal De Rais fut condamné à être pendu et brûlé vif. Ramené, après le jugement, dans sa geôle, il adressa une dernière supplique à l'évêque Jean De Malestroit. Il le pria d'intercéder auprès des pères et mères des enfants qu'il avait si férocement violés et mis à mort, pour qu'ils voulussent bien l'assister dans son supplice.

Et ce peuple dont il avait et mâché et craché le coeur, sanglota de pitié; il ne vit plus en ce seigneur démoniaque qu'un pauvre homme qui pleurait ses crimes et allait affronter l'effrayante colère de la sainte face; et, le jour de l'éxécution, dès neuf heures du matin, il parcourut, en une longue procession, la ville. Il chanta des psaumes dans les rues, s'engagea, par serment, dans les églises, à jeûner pendant trois jours, afin de tenter d'assurer par ce moyen le repos de l'âme du maréchal.

– nous sommes loin, comme vous voyez, de la loi américaine du lynch, dit Des Hermies.

– puis, reprit Durtal, à onze heures, il vint chercher Gilles De Rais à sa prison et il l'acompagna jusqu'à la prairie de la Biesse où se dressaient, surmontés de potences, de hauts bûchers.

Le maréchal soutenait ses complices, les embrassait, les adjurait d'avoir " grande déplaisance et contrition de leurs méfaits " et, se frappant la poitrine, il suppliait la vierge de les épargner, tandis que le clergé, les paysans, le peuple, psalmodiaient les sinistres et implorantes strophes de la prose des trépassés:

nos timemus diem judicii quia mali et nobis conscii sed tu, mater summi concilii, para nobis locum refugii ô Maria!
tunc iratus judex…

Vive Boulanger!

Dans un bruit de mer montant de la place Saint-sulpice à la tour, de longs cris jaillirent: Boulange!

Lange! Puis une voix enrouée, énorme, une voix d'écaillère, de pousseur de charrette, s'entendit par-dessus les autres, domina tous les hourras; et, de nouveau, elle hurla: vive Boulanger!

– ce sont les résultats de l'élection que, devant la mairie, ces gens vocifèrent, dit dédaigneusement Carhaix.