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Il se recula.

– vous n'avez pas envie de visiter le haut des tours? Reprit Carhaix, en désignant un escalier de fer, scellé dans la muraille même.

– non, ce sera pour un autre jour.

Ils redescendirent et Carhaix, maintenant silencieux, ouvrit une nouvelle porte. Ils s'avancèrent dans une immense remise qui contenait des statues colossales et cassées de saints, des apôtres patraques et lépreux, des Saint Mathieu amputés d'une jambe et perclus d'un bras, des Saint Luc escortés d'une moitié de boeuf, des Saint Marc bancroches et privés d'une partie de barbe, des Saint Pierre érigeant des moignons dépourvus de clefs.

– autrefois, dit Carhaix, il y avait ici une balançoire; c'était plein de gamines; l'on a abusé comme de tout… au crépuscule, il se passait, pour quelques sous, des choses! Le curé a fini par faire enlever la balançoire et fermer la pièce.

– et cela? Fit Durtal, apercevant dans un coin un énorme fragment de métal rond, une sorte de demi-calotte géante, veloutée de poussière, treillissée par de légères toiles semées, ainsi que des éperviers granulés de boulettes de plomb, de corps repliés d'araignées noires.

– ça! Ah, monsieur! -et l'oeil perdu de Carhaix se récupéra et prit feu; ça, c'est le cerveau d'une très vieille cloche qui rendait des sons comme il n'y en a plus; celle-là, monsieur, elle sonnait du ciel!

Et subitement il s'emballa.

– voyez-vous, Des Hermies a dû vous le dire, c'est fini, les cloches; ou plutôt c'est les sonneurs dont il n'y a plus! à l'heure qu'il est, ce sont des garçons charbonniers, des couvreurs, des maçons, d'anciens pompiers, ramassés pour un franc sur la place, qui font la manoeuvre! Ah! Il faut les voir! Mais c'est pis que cela; si je vous racontais qu'il y a des curés qui ne se gênent pas pour vous dire: racolez dans la rue des soldats; pour dix sous, ils feront l'affaire. Oui, si bien qu'il y en a un dernièrement, à Notre-dame, je crois, qui n'a pas retiré sa jambe à temps; la cloche est revenue à toute volée dessus et l'a coupée nette, comme un rasoir.

Et ces gens-là, ils dépensent des trente mille francs pour des baldaquins, ils se ruinent pour des musiques, il leur faut du gaz dans leur église, un tas de tra-la-la, est-ce que je sais, moi? Quant aux cloches, ils lèvent les épaules, lorsqu'on leur en parle. Savez-vous, monsieur Durtal, que nous ne sommes plus à Paris que deux accordants, moi et le père Michel qui n'est pas marié et qu'on ne peut, à cause de ses moeurs, attacher régulièrement à une église. Cet homme-là, c'est un accordant qui n'a pas son pareil; mais, lui aussi, il se désintéresse; il boit et, saoul ou pas saoul, il travaille et après cela, il reboit et il dort.

Ah! Oui, que c'est bien fini! -tenez, ce matin, Monseigneur a fait sa tournée pastorale en bas.

A huit heures, il fallait sonner son arrivée; les six cloches que vous avez vues ici, marchaient.

Nous étions attelés à seize, dessus. Eh bien, c'était une pitié; ces gens-là ils brimballaient comme des propres à rien, ils ruaient à contre-temps, ils sonnaient la gouille!

Ils descendirent, Carhaix gardait maintenant le silence.

– les cloches, fit-il en se retournant et en fixant Durtal de ses yeux dont l'eau bleue entrait en ébullition; mais, monsieur, c'est la véritable musique de l'église, cela!

Ils débouchèrent au-dessus même du parvis, dans la grande galerie couverte sur laquelle sont posées les tours. Alors Carhaix sourit et montra tout un jeu de minuscules clochettes, installé entre deux piliers, sur une planche. Il tirait les ficelles, agitait le frêle cliquetis des cuivres, écoutait, ravi, les yeux hors du front, la moustache rebroussée d'un coup de lèvres, le léger saut des notes que buvait la brume.

Et subitement, il rejeta ses ficelles. C'était jadis ma toquade, dit-il, j'avais voulu former ici des élèves, mais personne ne se soucie d'apprendre un métier qui rapporte de moins en moins, car on ne sonne même plus les mariages et personne maintenant ne monte aux tours!

Au fond, reprit-il en descendant, moi, je ne peux me plaindre. Les rues d'en bas m'ennuient; ça me brouille quand je mets les pieds dehors; aussi, je ne quitte mon clocher que le matin, juste pour aller chercher des seaux d'eau au bout de la place, mais ma femme s'ennuie à cette hauteur; puis, c'est terrible; la neige pénètre par toutes les meurtrières, elle s'amasse, et quelquefois l'on gît, bloqué, quand le vent souffle en foudre!

Ils étaient arrivés devant le logement de Carhaix.

– entrez donc, messieurs, dit la femme qui les attendait sur le pas de la porte; vous avez bien gagné un peu de repos. Et elle désigna quatre verres qu'elle avait préparés sur la table.

Le sonneur alluma une petite pipe de bruyère, tandis que Des Hermies et Durtal roulaient des cigarettes.

– vous êtes bien ici, dit Durtal, pour parler.

Il se trouvait dans une pièce énorme, taillée en pleine pierre, voûtée, éclairée près du plafond par une fenêtre en demi-roue. Cette pièce, carrelée, mal couverte par un méchant tapis, était très simplement meublée d'une table ronde de salle à manger, de vieilles bergères en velours d'Utrecht d'un bleu d'ardoise, d'un petit buffet sur lequel s'entassaient des faïences bretonnes, des pichets et des plats, et en face de ce buffet en noyer verni, d'une petite bibliothèque de bois noir qui pouvait contenir une cinquantaine de livres.

– vous regardez les bouquins, dit Carhaix qui avait suivi des yeux Durtal. Oh! Monsieur, il faut être indulgent, je n'ai là que des outils de mon métier!

Durtal s'approcha; cette bibliothèque paraissait surtout composée d'ouvrages sur les cloches; il lut des titres:

sur un très antique et très mince volume en parchemin, il déchiffra une écriture à la main, couleur de rouille: " de tintinnabulis ", par Jérôme Magius (1664), puis, pêle-mêle, un " recueil curieux et édifiant sur les cloches de l'église ", par Dom Rémi Carré. Un autre " recueil édifiant " et anonyme; un " traité des cloches ", de Jean-baptiste Thiers, curé de Champrond et de Vibraye, un pesant volume d'un architecte du nom de Blavignac, un autre moins gros intitulé: " essai sur le symbolisme de la cloche ", par un prêtre du clergé paroissial, à Poitiers; une " notice " de l'abbé Barraud, enfin toute une série de plaquettes, couvertes de papier gris, brochées sans couvertures imprimées et sans titres.

– ce n'est rien, fit Carhaix avec un soupir; les meilleurs manquent: le " de campanis commentarius ", d'Angelo Rocca et le " de tintinnabulo ", de Pacichellius; mais dame, c'est rare, et puis c'est si cher quand on les trouve!

Durtal embrassa d'un coup d'oeil les autres livres; c'étaient pour la plupart des ouvrages pieux: des bibles latines et françaises, des Imitations de Jésus-christ, la Mystique de Goerres en cinq tomes, l'histoire et la théorie du symbolisme religieux de l'abbé Aubert, le dictionnaire des hérésies de Pluquet, puis des vies de Saints.

– ah! Monsieur, il n'y a pas de littérature ici, mais voyez-vous, c'est Des Hermies qui me prête les livres qui l'intéressent.

– bavard, lui dit sa femme, laisse donc Monsieur s'asseoir. -et elle tendit un verre plein à Durtal qui savoura le pétillement parfumé d'un véritable cidre.

En réponse à ses compliments sur la valeur de ce breuvage, elle lui raconta que ce cidre venait de Bretagne, qu'il était fabriqué à Landévennec, leur pays, par des parents.

Elle fut ravie quand Durtal lui affirma qu'il avait jadis passé une journée dans ce village.