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Personne ne rendit le président du conseil responsable de l’indignité de sa parente; mais on prenait mauvaise idée de sa famille et le prestige de l’homme d’État s’en trouva diminué.

Il eut presque aussitôt une alerte assez vive. Un jour à la Chambre, sur une simple question, le ministre de l’instruction publique et des cultes, Labillette, souffrant du foie et que les prétentions et les intrigues du clergé commençaient à exaspérer, menaça de fermer la chapelle de Sainte-Orberose et parla sans respect de la vierge nationale. La droite se dressa tout entière indignée; la gauche parut soutenir à contre-cœur le ministre téméraire. Les chefs de la majorité ne se souciaient pas d’attaquer un culte populaire qui rapportait trente millions par an au pays: le plus modéré des hommes de la droite, M. Bigourd, transforma la question en interpellation et mit le cabinet en péril. Heureusement le ministre des travaux public, Fortuné Lapersonne, toujours conscient des obligations du pouvoir, sut réparer, en l’absence du president du conseil, la maladresse et l’inconvenance de son collègue des cultes. Il monta à la tribune pour y témoigner des respects du gouvernement à l’endroit de la céleste patronne du pays, consolatrice de tant de maux que la science s’avoue impuissante à soulager.

Quand Paul Visire, enfin arraché des bras d’Éveline, parut à la Chambre, le ministère était sauvé; mais le président du conseil se vit obligé d’accorder à l’opinion des classes dirigeantes d’importantes satisfactions; il proposa au parlement la mise en chantier de six cuirassés et reconquit ainsi les sympathies de l’acier; il assura de nouveau que la rente ne serait pas imposée et fit arrêter dix-huit socialistes.

Il devait bientôt se trouver aux prises avec des difficultés plus redoutables. Le chancelier de l’empire voisin, dans un discours sur les relations extérieures de son souverain, glissa, au milieu d’aperçus ingénieux et de vues profondes, une allusion maligne aux passions amoureuses dont s’inspirait la politique d’un grand pays. Cette pointe, accueillie par les sourires du parlement impérial, ne pouvait qu’irriter une république ombrageuse. Elle y éveilla la susceptibilité nationale qui s’en prit au ministre amoureux; les députés saisirent un prétexte frivole pour témoigner leur mécontentement. Sur un incident ridicule: une sous-préfète venue danser au Moulin-Rouge, la Chambre obligea le ministère à engager sa responsabilité et il s’en fallut de quelques voix seulement qu’il ne tombàt. De l’aveu général, Paul Visire n’avait jamais été si faible, si mou, si terne, que dans cette déplorable séance.

Il comprit qu’il ne pouvait se maintenir que par un coup de grande politique et décida l’expédition de Nigritie, réclamée par la haute finance, la haute industrie et qui assurait des concessions de forêts immenses à des sociétés de capitalistes, un emprunt de huit milliards aux établissements de crédit, des grades et des décorations aux officiers de terre et de mer. Un prétexte s’offrit: une injure à venger, une créance à recouvrer. Six cuirassés, quatorze croiseurs et dix-huit transports pénétrèrent dans l’embouchure du fleuve des Hippopotames; six cents pirogues s’opposèrent en vain au débarquement des troupes. Les canons de l’amiral Vivier des Murènes produisirent un effet foudroyant sur les noirs qui répondirent par des volées de flèches et, malgré leur courage fanatique, furent complètement défaits. Échauffé par les journaux aux gages des financiers, l’enthousiasme populaire éclata. Quelques socialistes seuls protesterent contre une entreprise barbare, équivoque et dangereuse; ils furent immédiatement arrêtés.

À cette heure où le ministère, soutenu par la richesse et cher maintenant aux simples, semblait inébranlable, Hippolyte Cérès, éclairé par la haine, voyait seul le danger, et, contemplant son rival avec une joie sombre, murmurait entre ses dents: «Il est foutu, le forban!»

Tandis que le pays s’enivrait de gloire et d’affaires, l’empire voisin protestait contre l’occupation de la Nigritie par une puissance européenne et ces protestations, se succédant à des intervalles de plus en plus courts, devenaient de plus en plus vives. Les journaux de la république affairée dissimulaient toutes les causes d’inquiétude; mais Hippolyte Cérès écoutait grossir la menace et, résolu enfin à tout risquer pour perdre son ennemi, même le sort du ministère, travaillait dans l’ombre. Il fit écrire par des hommes à sa dévotion et insérer dans plusieurs journaux officieux des articles qui, semblant exprimer la pensée même de Paul Visire, prêtaient au chef du gouvernement des intentions belliqueuses.

En même temps qu’ils éveillaient un écho terrible à l’étranger, ces articles alarmaient l’opinion chez un peuple qui aimait les soldats mais n’aimait pas la guerre. Interpellé sur la politique extérieure du gouvernement, Paul Visire fit une déclaration rassurante, promit de maintenir une paix compatible avec la dignité d’une grande nation; le ministre des affaires étrangères, Crombile, lut une déclararation tout à fait inintelligible puisqu’elle était rédigée en langage diplomatique; le ministère obtint une forte majorité.

Mais les bruits de guerre ne cessèrent pas et, pour éviter une nouvelle et dangereuse interpellation, le président du conseil distribua entre les députés quatre-vingt mille hectares de forêts en Nigritie et fit arrêter quatorze socialistes. Hippolyte Cérès allait dans les couloirs, très sombre, et confiait aux députés de son groupe qu il s’efforçait de faire prévaloir au conseil une politique pacifique et qu’il espérait encore y réussir.

De jour en jour, les rumeurs sinistres grossissaient, pénétraient dans le public, y semaient le malaise et l’inquiétude. Paul Visire lui-même commençait à prendre peur. Ce qui le troublait, c’était le silence et l’absence du ministre des affaires étrangères. Crombile maintenant ne venait plus au conseil; levé à cinq heures du matin, il travaillait dix-huit heures à son bureau et tombait épuisé dans sa corbeille où les huissiers le ramassaient avec les papiers qu’ils allaient vendre aux attachés militaires de l’empire voisin.

Le général Débonnaire croyait qu’une entrée en campagne était imminente; il s’y préparait. Loin de craindre la guerre, il l’appelait de ses vœux et confiait ses généreuses espérances à la baronne de Bildermann, qui en avertissait la nation voisine qui, sur son avis, procédait à une mobilisation rapide.