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— Vos divines paroles, Seigneur, nous y ont déjà ramenés, dit saint Gal. Dans les signes de la religion et les règles du salut, la forme l’emporte nécessairement sur le fond et la validité d’un sacrement dépend uniquement de sa forme. Toute la question est de savoir si oui ou non les pingouins ont été baptisés dans les formes. Or la réponse n’est pas douteuse. Les pères et les docteurs en tombèrent d’accord, et leur perplexité n’en devint que plus cruelle.

— L’état de chrétien, dit saint Corneille, ne va pas sans de graves inconvénients pour un pingouin. Voilà des oiseaux dans l’obligation de faire leur salut. Comment y pourront-ils réussir? Les mœurs des oiseaux sont, en bien des points, contraires aux commandements de l’Église. Et les pingouins n’ont pas de raison pour en changer. Je veux dire qu’ils ne sont pas assez raisonnables pour en prendre de meilleures.

— Ils ne le peuvent pas, dit le Seigneur; mes décrets les en empêchent.

— Toutefois, reprit saint Corneille, par la vertu du baptême, leurs actions cessent de demeurer indifférentes. Désormais elles seront bonnes ou mauvaises, susceptibles de mérite ou de démérite.

— C’est bien ainsi que la question se pose, dit le Seigneur.

— Je n’y vois qu’une solution, dit saint Augustin. Les pingouins iront en enfer.

— Mais ils n’ont point d’âme, fit observer saint Irénée.

— C’est fâcheux, soupira Tertullien.

— Sans doute, reprit saint Gal. Et je reconnais que le saint homme Maël, mon disciple, a, dans son zèle aveugle, créé au Saint-Esprit de grandes difficultés théologiques et porté le désordre dans l’économie des mystères.

— C’est un vieil étourdi, s’écria en haussant les épaules saint Adjutor d’Alsace.

Mais le Seigneur, tournant sur Adjutor un regard de reproche:

— Permettez, dit-iclass="underline" le saint homme Maël n’a pas comme vous, mon bienheureux, la science infuse. Il ne me voit pas. C’est un vieillard accablé d’infirmités; il est à moitié sourd et aux trois quarts aveugle. Vous êtes trop sévère pour lui. Cependant je reconnais que la situation est embarrassante.

— Ce n’est heureusement qu’un désordre passager, dit saint Irénée. Les pingouins sont baptisés, leurs œufs ne le seront pas et le mal s’arrêtera à la génération actuelle.

— Ne parlez pas ainsi, mon fils Irénée, dit le Seigneur. Les règles que les physiciens établissent sur la terre souffrent des exceptions, parce qu’elles sont imparfaites et ne s’appliquent pas exactement à la nature. Mais les règles que j’établis sont parfaites et ne souffrent aucune exception. Il faut décider du sort des pingouins baptisés, sans enfreindre aucune loi divine et conformément au décalogue ainsi qu’aux commandements de mon Église.

— Seigneur, dit saint Grégoire de Nazianze, donnez-leur une âme immortelle.

— Hélas! Seigneur, qu’en feraient-ils? soupira Lactance. Ils n’ont pas une voix harmonieuse pour chanter vos louanges. Ils ne sauraient célébrer vos mystères.

— Sans doute, dit saint Augustin, ils n’observeront pas la loi divine.

— Ils ne le pourront pas, dit le Seigneur.

— Ils ne le pourront pas, poursuivit saint Augustin. Et si, dans votre sagesse, Seigneur, vous leur infusez une âme immortelle, ils brûleront éternellement en enfer, en vertu de vos décrets adorables. Ainsi sera rétabli l’ordre auguste, troublé par ce vieux Cambrien.

— Vous me proposez, fils de Monique, une solution correcte, dit le Seigneur, et qui s’accorde avec ma sagesse. Mais elle ne contente point ma clémence. Et, bien qu’immuable par essence, à mesure que je dure, j’incline davantage à la douceur. Ce changement de caractère est sensible à qui lit mes deux testaments.

Comme la discussion se prolongeait sans apporter beaucoup de lumières et que les bienheureux montraient de la propension à répéter toujours la même chose, on décida de consulter sainte Catherine d’Alexandrie. C’est ce qu’on faisait ordinairement dans les cas difficiles. Sainte Catherine avait, sur la terre, confondu cinquante docteurs très savants. Elle connaissait la philosophie de Platon aussi bien que l’Écriture sainte et possédait la rhétorique.

Chapitre VII

Une assemblée au Paradis (suite et fin)

Sainte Catherine se rendit dans l’assemblée, la tête ceinte d’une couronne d’émeraudes, de saphirs et de perles, et vêtue d’une robe de drap d’or. Elle portait au côté une roue flamboyante, image de celle dont les éclats avaient frappé ses persécuteurs.

Le Seigneur l’ayant invitée à parler, elle s’exprima en ces termes:

— Seigneur, pour résoudre le problème que vous daignez me soumettre, je n’étudierai pas les mœurs des animaux en général, ni celles des oiseaux en particulier. Je ferai seulement remarquer aux docteurs, confesseurs et pontifes, réunis dans cette assemblée, que la séparation entre l’homme et l’animal n’est pas complète, puisqu’il se trouve des monstres qui procèdent à la fois de l’un et de l’autre. Tels sont les chimères, moitié nymphes et moitié serpents; les trois gorgones, les capripèdes; telles sont les scylles et les sirènes qui chantent dans la mer. Elles ont un buste de femme et une queue de poisson. Tels sont aussi les centaures, hommes jusqu’à la ceinture et chevaux pour le reste. Noble race de monstres. L’un d’eux, vous ne l’ignorez point, a su, guidé par les seules lumières de la raison, s’acheminer vers la béatitude éternelle, et vous voyez parfois sur les nuées d’or se cabrer sa poitrine héroïque. Le centaure Chiron mérita par ses travaux terrestres de partager le séjour des bienheureux: il fit l’éducation d’Achille; et ce jeune héros, au sortir des mains du centaure, vécut deux ans, habillé à la manière d’une jeune vierge, parmi les filles du roi Lycomède. Il partagea leurs jeux et leur couche sans leur laisser soupçonner un moment qu’il n’était point une jeune vierge comme elles. Chiron, qui l’avait nourri dans de si bonnes mœurs, est, avec l’empereur Trajan, le seul juste qui ait obtenu la gloire céleste en observant la loi naturelle. Et pourtant ce n’était qu’un demi-homme.

«Je crois avoir prouvé par cet exemple qu’il suffit de posséder quelques parties d’homme, à la condition toutefois qu’elles soient nobles, pour parvenir à la béatitude éternelle. Et ce que le centaure Chiron a pu obtenir sans être régénéré par le baptême, comment des pingouins ne le mériteraient-ils pas, après avoir été baptisés, s’ils devenaient demi-pingouins et demi-hommes? C’est pourquoi je vous supplie, Seigneur, de donner aux pingouins du vieillard Maël une tête et un buste humains, afin qu’ils puissent vous louer dignement, et de leur accorder une âme immortelle, mais petite.

Ainsi parla Catherine, et les pères, les docteurs, les confesseurs, les pontifes firent entendre un murmure d’approbation.

Mais saint Antoine, ermite, se leva et, tendant vers le Très-Haut deux bras noueux et rouges:

— N’en faites rien, Seigneur mon Dieu, s’écria-t-il, au nom de votre saint Paraclet, n’en faites rien!

Il parlait avec une telle véhémence que sa longue barbe blanche s’agitait à son menton comme une musette vide à la bouche d’un cheval affamé.

— Seigneur, n’en faites rien. Des oiseaux à tête humaine, cela existe déjà. Sainte Catherine n’a rien imaginé de nouveau.

— L’imagination assemble et compare; elle ne crée jamais, répliqua sèchement sainte Catherine.