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— Mon petit père Elohim, si je ne me trompe, le bien est ce qui est moralement bon, ce qui vous plaît, et le mal, par contre, est ce qui est mauvais, ce qui vous déplaît… Est-ce bien cela?

— Parfaitement, mon fiston, aurait répondu le Créateur.

— Par conséquent, aurait continué Adam, laissez-moi apprendre en quoi consiste le mal, afin que je l’évite; ou bien pourquoi avoir mis ici cet arbre, s’il ne faut pas que j’y touche?…

Ce sont les curés qui se chargent de la réplique, au lieu et place de leur drôle de Bon Dieu.

— Dieu, disent-ils, imposait une épreuve à l’humanité naissante; il voulait voir si Adam lui obéirait, alors qu’il ne lui demandait qu’une seule et très petite privation.

Mais il est facile de répliquer à la réplique. D’après les curés eux-mêmes, Dieu connaît l’avenir: il avait donc prévu ce qui allait arriver; et, comme rien ne se fait sans sa volonté, il savait parfaitement que l’homme mangerait du fruit de l’arbre en question. Il voulait donc la chute de nos premiers parents, cela ne fait aucun doute.

D’ailleurs, toute la suite de l’histoire se retourne contre le seigneur Jéhovah.

Voyons comment les choses se passèrent, selon le chapitre 3 de la Genèse:

«1. Or, le serpent était le plus rusé de tous les animaux de la terre que l’Éternel Dieu avait faits; et il dit à la femme: Quoi! Dieu aurait-il dit; Vous ne mangerez point de tout arbre du jardin?

2. Et la femme répondit au serpent: Nous mangeons du fruit des arbres du jardin;

3. Mais, quant au fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit: Vous n’en mangerez point et vous n’y toucherez point, de peur que vous ne mouriez.

4. Alors, le serpent dit à la femme: Vous ne mourrez nullement;

5. Mais Dieu sait qu’au jour que vous en mangerez vos yeux seront ouverts, et vous serez comme les dieux, connaissant le bien et le mal.

6. La femme donc vit que le fruit de cet arbre était bon à manger et d’un aspect agréable, et que cet arbre était désirable pour donner de la science; et elle en prit du fruit et en mangea; et elle en donna aussi à son mari, l’entraînant avec elle; et il en mangea.»

Ce qui frappe tout d’abord, dans ce récit, c’est que le discours du serpent, sa conversation avec la femme, le fait même de parler, de s’exprimer dans la même langue que nos premiers parents, n’est pas donné par l’auteur sacré comme une chose surnaturelle, miraculeuse, ni comme une allégorie. C’est bien le serpent lui-même que la Genèse présente; c’est ce reptile, jouant un rôle d’animal plein de malice et d’astuce, qui se fait le tentateur de la femme, avec une facilité d’élocution que lui envierait un perroquet.

Le serpent a été si personnellement mis en scène, que, depuis lors, les curés, trouvant invraisemblable l’épisode raconté ainsi, ont jugé nécessaire d’y faire une correction qui change tout, mais qui est en contradiction avec le texte tout entier de ce chapitre de la Bible. Selon les correcteurs, aussi roublards que pieux, c’est le diable qui aurait pris la forme du serpent et qui aurait, au moyen de ce subterfuge, tenté Madame Adam; telle est la façon dont les prêtres ont arrangé la chose, tel est leur enseignement d’aujourd’hui.

Cet arrangement est une véritable falsification de la Genèse. En premier lieu, pas un mot du texte sacré ne prête à une telle interprétation. En second lieu, parmi les divers auteurs des livres qui composent la Bible, il y en a deux en tout qui ont mentionné le diable: l’auteur du livre de Job, d’après lequel le diable discute un beau jour avec Dieu, dans le cieclass="underline" et l’auteur du livre de Tobie, qui cite un certain démon Asmodée, amoureux d’une nommée Sara, dont il étrangle successivement sept maris. Or, ces deux livres viennent tout-à-fait à la fin de la Bible, et, pas plus dans ceux-ci que dans les autres, il n’est question du Lucifer-Satan que les catholiques font intervenir à tout propos, pour pimenter l’intérêt de leurs légendes. Nulle part, on ne trouve cette aventure, pourtant si connue, de Lucifer se révoltant contre Dieu et vaincu par l’archange Michel. Cela, comme tout ce qui a rapport au diable, a été inventé après coup, non seulement longtemps après Moïse, mais même postérieurement à Esdras.

D’autre part, certains joyeux commentateurs, en réalité philosophes sceptiques, se sont amusés à transformer en pommier, d’un symbolisme quelque peu grivois, le fameux arbre de la science du bien et du mal; et ils ont supposé que cet épisode signifie, à mots couverts, que Madame Adam, ignorant l’amour, en reçut la première leçon d’un diable séducteur, métamorphose en serpent pour la circonstance…

Mais tout en riant de cette plaisanterie, qui est une interprétation en valant bien une autre, il faut la mettre dans le même panier que la falsification de texte imaginée par les curés. Nous devons prendre la Bible telle qu’elle est, quand nous voulons l’examiner sérieusement: ainsi, dans l’historiette dont nous nous occupons en ce moment, c’est bien l’animal dit serpent qui est en cause, et non un diable quelconque, les Juifs n’ayant pas de diables dans leur mythologie avant l’époque où furent écrits les livres de Job et de Tobie; et quant aux sous-entendus amoureux, prêtés gratuitement au serpent testateur, il est évident qu’il est impossible de les découvrir dans le texte de la Genèse, quand on l’a sous les yeux.

C’est vraiment le serpent seul, personnellement, qui est en cause; car l’auteur sacré voit cet animal avec les yeux de tous ses contemporains des diverses religions. Le serpent, dans l’antiquité, passait en effet, pour être un animal très rusé, très intelligent et rempli de malice. Plusieurs peuples africains l’adoraient. D’un autre côté, le cas de ce serpent qui parle, cas dont la Genèse ne fait pas un miracle, est commun à la littérature orientale; toutes les mythologies écloses en Asie sont pleines d’animaux parlants; chez les Chaldéens, le poisson Oannès sortait chaque jour sa tête hors des eaux de l’Euphrate, et, pendant des heures entières, il prêchait le peuple accouru sur les rives, donnant de bons conseils, enseignant tout à la fois la poésie et l’agriculture. Ces temps où les animaux avaient la parole sont bien lointains; mais aucune religion d’Orient n’en eut le monopole. Donc, le serpent biblique parla, sans avoir besoin d’être habité par un diablotin.

D’ailleurs, en cette circonstance, le serpent fut moins rusé qu’il ne paraît. Les blagues de l’Écriture Sainte sont d’une naïveté extraordinaire et crèvent de contradictions. Ainsi, l’on a demandé ce que le serpent entendait dire par: «Vous serez comme les dieux.» Cette expression, qui affirme la pluralité des dieux, ne se trouve pas dans ce seul passage de la Genèse; nous verrons plus loin que le seigneur Jéhovah, parlant lui-même, ne se considère pas comme le seul Dieu. Les commentateurs catholiques, embarrassés par cette phrase du serpent, ont prétendu que par les dieux, le reptile aura voulu dire les anges. On leur a répondu qu’un serpent ne pouvait connaître les anges; mais, par la même raison, il ne pouvait connaître les dieux. Naïveté, contradiction, galimatias; voilà bien la Bible.

Non, pas si rusé que ça, ce serpent!… Ses conseils étaient forts incomplets. Un serpent vraiment malin aurait dit à la femme:

— Mange du fruit défendu, d’abord, et ensuite aussitôt après, ne manque pas de manger du fruit de l’arbre de vie, qui, d’ailleurs, t’est permis.

Et Jéhovah, ne fut-il pas la cause première do la tentation? Pourquoi avait-il donné la parole au serpent? Sans ce don, celui-ci n’eût jamais pu se faire comprendre de la femme.

La Bible ne nous fait pas connaître la conversation au cours de laquelle Madame Adam décida son mari à manger avec elle du fruit défendu. Heureusement, il est facile de combler cette lacune de l’auteur sacré.