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Mais peut-être, Illustrissimes Seigneuries, y a-t-il tout cela à la fois, l'affaire des poisons révélant les entrailles purulentes d'un royaume dont on ne veut connaître que la face glorieuse.

Ces entrailles sont aussi celles de Mlle de Fontanges, morte dans les souffrances à vingt ans, le 28 juin 1681.

On murmure d'abord, puis on clame et on écrit que la Fontanges a été empoisonnée.

On désigne la coupable : la marquise de Montespan.

On le dit à la Cour. Des pamphlets reprennent et amplifient la rumeur.

On assure que Mme de Montespan a empoisonné trois personnes, dont les enfants de la Fontanges.

Les médecins qui autopsient le corps concluent à la mort naturelle : « Hydropisie de la poitrine contenant plus de trois pintes d'eau avec beaucoup de matières purulentes dans les lobes droits du poumon dont la substance était entièrement corrompue et gangrenée, adhérente de toutes parts... le coeur un peu flétri, le foie d'une grandeur démesurée... »

Pourquoi cette « pourriture totale » ? N'aurait-elle pas été provoquée par les drogues et les poisons, les breuvages confectionnés par la Voisin, portés par sa fille à Mlle des OEillets sur la demande expresse de Madame la marquise Athénaïs de Montespan ?

Et comment expliquer la mort brutale de Louvois, le 16 juillet 1691, après qu'il eut bu un verre de l'eau contenue dans la cruche qui se trouvait en permanence dans son cabinet ? Cette mort ne serait-elle pas due à un poison peut-être versé par un domestique au fait des habitudes du ministre ?

J'ai retrouvé la Relation que, cette année-là, Illustrissimes Seigneuries, je vous avais adressée.

J'écrivais, rapportant la rumeur qui s'était répandue à la Cour, que l'on avait trouvé dans l'eau des « indices manifestes de poison ».

J'ajoutais que l'on assurait que Louvois venait d'être averti dans une lettre particulière, par un homme se disant de la religion réformée, qu'il eût à se tenir sur ses gardes, car sa vie était menacée.

Les poisons étaient ainsi profondément infiltrés dans le royaume de France, et là où on ne les trouvait pas, on n'en imaginait pas moins leur action néfaste.

La Chambre ardente n'avait pu ni identifier ni interroger ceux sur qui planaient les soupçons les plus graves et les plus précis.

Si bien que ces soupçons, ces rumeurs, ces accusations, peut-être ces calomnies, des années plus tard, ne se sont pas encore dissipés.

Quant au geste du Roi, en cette année 1709, brûlant les pièces les plus compromettantes établies de par les enquêtes de Nicolas Gabriel de La Reynie, il a été sans effet puisque, Illustrissimes Seigneuries, le lieutenant général de police, avant sa mort, m'a remis copies de ces documents à partir desquelles, pour le plus grand profit, j'en forme le souhait, de notre Sérénissime République, j'ai rédigé cette Relation particulière.

Je veux la conclure en citant Nicolas Gabriel de La Reynie qui dit espérer avec beaucoup de confiance « que Dieu achèvera de découvrir cet abîme de crimes, qu'Il me montrera en même temps les moyens d'en sortir, et enfin qu'Il inspirera au Roi tout ce qu'il doit faire dans une occasion si importante ».

Mais, selon moi, Illustrissimes Seigneuries, Dieu sera à la peine, car les hommes, des plus gueux aux plus grands, préfèrent reléguer les poisons et leurs crimes au plus profond de leurs entrailles.