Выбрать главу

— Dans… dans le sac ! Il y a… une espèce de poignard et…

— Quoi !

— Des… des tonnes de billets ! Des coupures de cent euros !

Tout allait trop vite. Sylvain s’accrocha à sa seule idée avec entêtement.

— On rend ce sac à la police… Il faut appeler…

— Réfléchis ! On a bu au moins quatre bières ! On roulait feux éteints, à cent vingt dans une zone limitée à cinquante ! Ces traces de freinage ne tromperont pas les flics ! Mon frère travaille dans la police scientifique, j’suis au courant, merde ! On va finir nos jours en prison si on les appelle, tu piges ?

— On… ne peut pas fuir ! Je refuse, t’entends !

Le gouffre entre les physionomies – à taille équivalente, soixante-six kilos pour Vigo contre quatre-vingt-dix-sept pour Sylvain – n’empêcha pas l’ingénieur de secouer violemment son compagnon.

— Tu n’étais pas au volant toi ! Alors on va dire que tu étais au volant ! D’accord ?

Agrippement réciproque des cols. Les nerfs contre la force. Sylvain parvint à s’emparer du portable et propulsa Vigo sur le sol.

— Sylvain ! Je t’en prie ! Ne les appelle pas ! Ils vont nous enfermer !

Agir ! Sauver sa peau ! Coûte que coûte ! Vigo fonça vers le véhicule, plongea côté passager, ferma la porte, retint sa respiration et se fracassa l’arcade droite sur la vitre. Le verre vibra.

Sylvain se précipita.

— Mais t’es cinglé !

Vigo se massa la tempe. Sous la peau, une bulle de sang gonflait déjà.

— Ça fait mal ! Suite… aïe… au coup de frein, je me suis cogné la tête sur la vitre passager. S’ils débarquent, ils en déduiront… que tu conduisais !

— Espèce de…

Vigo lui arracha le téléphone des mains.

— Je cherche à nous protéger, tu ne comprends pas ? Personne ne sait que nous sommes à quatre-vingt-dix bornes de chez nous. Nous sommes… censés jouer aux échecs sur internet. On a graffité les murs loin d’ici, ils ne feront jamais le rapprochement. On… on embarque l’argent et on fait disparaître le cadavre !

Sylvain se tamponna le front du plat de la main.

— Je… je peux pas… T’es malade ! T’es un vrai malade !

— Allez ! Aide-moi à le transporter ! Pense à ta femme, ta fille ! Elles t’attendent ! Tu peux encore les rejoindre en homme libre ! Après, il sera trop tard !

Visions d’horreurs pour Sylvain. Des hommes en combinaison verte, enchaînés les uns aux autres. Des cours avec des miradors. Des chairs humides sous la douche.

Non ! Stopper le cauchemar, au plus vite. Disparaître dans les brumes d’asphalte.

— Je… je veux bien te suivre mais… mes mains… ne se tacheront pas de son sang… On le laisse ici…

— Ah oui ! Nos empreintes sur ses vêtements, t’en fais quoi ? Et les éclats de phare, les traces de pneus ? On l’abandonne ici et demain, tous les flics du coin débarquent. Avec leurs techniques de recherche, il suffit que tu paumes un cheveu, une goutte de sueur, pour qu’ils aient ton profil génétique ! Pas de corps, pas d’enquête. Il suffit de le balancer dans les marais de Saint-Omer !

Sylvain s’en prit cette fois aux boucles de sa chevelure foncée. Tout tournait. Une toupie dans une centrifugeuse.

— Quarante bornes avec un type refroidi dans le coffre ! Mais arrête ton délire ! Il y a de l’eau partout ici ! Il suffit de le balancer dans… dans le bassin maritime !

— Non ! Faut limiter les risques. Si sa disparition est signalée, des plongeurs vont draguer les environs. Ils le retrouvent et on est cuits ! Écoute, cette route, on se l’est avalée des milliers de fois. On n’a jamais vu un flic après dix-neuf heures. On passe par les départementales, dans les bleds paumés. On se débarrasse de ce… bandit et l’argent nous appartient ! Imagine ! Imagine notre avenir avec une fortune pareille ! C’est la providence divine ! Une chance inespérée ! Finis les entretiens, les factures, les serrages de ceinture ! Pense à ça !

Une bourrasque glaciale paralysa Sylvain. La présence maléfique de l’argent bouleversait l’ordre logique des événements. Après tout, pourquoi s’immoler intentionnellement ? Les flics se fichent des états d’âme. Vigo avait raison, accepter le destin, le seul fautif.

Ne plus réfléchir. Agir au mieux pour eux. Fuir.

— Il n’y a pas d’autre solution… J’ai une famille que j’aime plus que tout… Je… je ne veux pas voir ma fille grandir au travers de barreaux.

— Dans ce cas, dépêchons-nous !

Vigo se pencha au-dessus du corps.

— Son arcade a pissé. On va lui enfoncer la tête dans des sacs plastique.

L’accident se mua en crime. Les complices rangèrent le macchabée empaqueté au côté du magot.

Toujours personne. Aucune voiture, pas de mouvances lumineuses. L’oreille de Sylvain frémit subitement.

— Tu… tu as entendu ?

— Quoi ?

Sylvain pointa un cube de tôle.

— On aurait dit… un bruit de métal ! Ça… ça venait de là-bas !

Sous le seul rai de sa lampe, Vigo explora les fenêtres d’un entrepôt, à une dizaine de mètres dans les hautes herbes. Vitres crasseuses, parois branlantes.

— Tu déconnes ! Ce truc est abandonné depuis des lustres et va s’écrouler ! T’as vu le boucan que font le vent et les éoliennes ? Tu te fais des films ! Allez, va dans la voiture ! J’arrive !

Vigo inspecta rapidement les alentours du véhicule. Il collecta les morceaux de phare, absorba le sang sur l’asphalte avec un chiffon, grimaça devant l’état du capot avant de fondre dans l’habitacle.

La nuit engloutit le véhicule.

Vigo chercha ses mots un instant avant de confier :

— Tout à l’heure, ma menace de raconter aux flics que tu étais au volant… Il fallait t’empêcher de faire une bêtise et protéger ta famille…

Sans relever, Sylvain tourna la tête vers la vitre passager, pressant dans sa main un petit médaillon qui berçait la photo de sa femme. Autour, des écharpes lumineuses enrubannaient la ville métallique, décochant des clins d’œil incisifs. Comme des sentinelles témoins d’une abomination…

4.

Des gyrophares. Des éclaboussures bleutées sur la toile de l’obscurité. La police. Le déclic des menottes qui se referment…

Dingue comme le mal asservit les esprits de ceux qui se rangent sous son aile, altère la réalité au point de rendre paranoïaque. On soupçonne les gens de se dissimuler derrière leurs fenêtres, à vous observer, à deviner la présence d’un cadavre dans votre coffre. On pense que les chauffeurs des voitures croisées au hasard de la nuit vont relever votre numéro d’immatriculation. Chaque mètre de chaque kilomètre revêt le visage d’un calvaire abominable. On imagine la police partout, au détour d’un virage, au fond d’une forêt ou au milieu des champs, même quand sévissent froid, nuit et isolement.

Sous l’aile feuillue des bois, les marécages de Clairmarais déroulaient leurs langues oblongues de nénuphars et d’eau croupie. La ville, sillonnée de veines d’eau, de surfaces fangeuses, flanquée d’imitations de bayous, suggérait une petite Louisiane nordique. D’ordinaire, pour Vigo, ces marécages ravivaient le souvenir des chasses à la grenouille de son enfance. Ce soir, ils serviraient de fosse à cadavres.

La 306 s’était engagée le long d’une voie bitumée, vite relayée par un terrain impraticable. Il régnait dans l’antre de chlorophylle une atmosphère de film à carnage. À observer les squelettes d’écorce qui l’encerclaient, Sylvain pensa à la forêt cabalistique dans Massacre à la tronçonneuse.

Les feux de croisement endormis, les deux informaticiens claquèrent les portières avant de porter leur attention sur le contenu du coffre.

— Le sol est gelé, on ne laissera aucune empreinte, murmura Vigo. Pas de lune non plus… C’est de la folie, tous les éléments nous encouragent. On bazarde le corps dans le marais à deux cents mètres d’ici. Prends le bidon vide.