Выбрать главу

—    C’était votre mère et elle est morte ! s’indigna Mme de Maintenon. Du respect, je vous prie !

—    En a-t-elle eu pour la vie de mon père ? Pardonnez-moi, Sire, continua-t-elle en se relevant. Je devrais me sentir écrasée par l’honneur d’être peut-être de sang royal mais je ne cesserai de vouer à celui en qui je m’obstine à voir mon vrai père l’amour que je lui donnais et qu’il me rendait sans compter...

—    Alors que vous n’aimez pas le Roi, se plaignit celui-ci, faisant montre d’une tristesse si profonde que Charlotte s’en émut :

—    Je vénère mon souverain dont je me veux la plus obéissante sujette mais je ne peux changer mon cœur. Et mon cœur me dit que Mme de Fontenac a menti !

—    On ne ment pas devant Dieu ! Gronda la Maintenon. Je ne suis pas aussi crédule qu’on le pourrait croire et je l’ai obligée à répéter son propos devant l’abbé Gobelin, mon confesseur, et dans l’église de Saint-Germain. Qu’avez-vous à répondre à cela ?

Charlotte allait riposter mais Louis s’interposa :

—    Il suffit ! Nous touchons là au secret d’une conscience qui, depuis ses... révélations, a dû s’en justifier devant Dieu !... Nous n’avons nul moyen d’en déchiffrer l’énigme...

—    Il demeure néanmoins que le doute persiste et que...

—    Merci, Madame ! Je n’ai pas besoin de votre aide pour en venir à cette conclusion. Aussi vais-je - en vous remerciant d’avoir pris soin de mon âme ! - vous prier de vous retirer et de me laisser achever... l’audience que j’accordais à Mme de Saint-Forgeat !

Mme de « Maintenant » faillit s’étrangler :

—    Là où je l’ai interrompue ? Mais, Sire...

Louis XIV rougit violemment : '

—    J’ai dit audience, Madame! Pas badinage galant ! Veuillez nous laisser !

Il n’y avait aucun moyen de prolonger la discussion sauf à encourir une royale colère que la frustration pouvait rendre redoutable. Même pour une épouse ! Surtout pour une épouse!.... D’abord raide d’indignation, la robe noire dut s’incliner et repartit lentement par où elle était venue. Charlotte et le Roi restèrent face à face, se regardant sans rien dire. Enfin celui-ci sourit :

—    Incroyable cette ressemblance ! Si l’on m’eût dit que vous étiez la fille de la duchesse de La Vallière, je l’eusse cru sans hésiter... et en ce cas vous ne pouviez être que de moi ! Il doit exister quelque part dans les obscurités du passé un lien quelconque entre votre famille et la sienne. Je ne peux que m’en réjouir.

Asseyez-vous, ajouta-t-il en lui désignant l’un des fauteuils qui encadraient la cheminée...

—    Mais, Sire...

—    Allons ! Obéissez sans discuter... pour une fois ! Volons quelques instants à l’Histoire pour imaginer que nous sommes ce que, justement, nous ne sommes peut-être pas. Mais que vous êtes pâle !.... Bontemps, appela-t-il sans élever la voix, sachant que le fidèle valet n’était pas loin. Et, de fait, il apparut presque instantanément.

—    Sire ?

-—Apportez-nous du chocolat chaud... Et dites à Mme de Montespan qu’elle peut rentrer chez elle : vous lui ramènerez vous-même Mme de Saint-Forgeat dans un moment !

Ils restèrent silencieux. Louis regardait Charlotte avec un demi-sourire et elle ne savait que dire. Elle était en effet glacée jusqu’au cœur et la chaleur du breuvage la réconforta... Enfin le Roi reposa sa tasse :

—    Venons-en maintenant à ce qui vous a conduite ici ce soir. Vous voulez que je vous accorde la vie de ce jeune policier ?

—    Oh oui, Sire ! S’il doit mourir à cause de moi...

—    Vous l’aimez, je pense ?

—    Plus que moi-même et...

—    Soit ! Il vivra...

Les yeux de Charlotte s’emplirent de larmes :

—    Oh, Sire, comment remercier Votre Majesté ? Elle me rend la vie à moi aussi et...

—    Doucement. Je vous donne seulement l’assurance qu’il ne sera pas exécuté mais je ne peux aller plus loin. Il devra rester en prison jusqu’à la mort...

La joie de Charlotte vacilla comme une chandelle dans un courant d’air, mais le Roi poursuivait :

—    Quant à M. de Louvois, qui est déjà dépositaire de certains secrets d’État, nous allons lui en fournir un autre à garder en tenant pour vraie la confession de Mme de Fontenac, ce qui vous assure contre toutes ses entreprises. Oser toucher à la fille du Roi lui coûterait trop cher... Qu’en pensez-vous ?

—    Que je ne peux qu’offrir ma gratitude au Roi...

Elle s’interrompit, laissant son regard se perdre dans le foyer incandescent de la cheminée. La réclusion à perpétuité ! Jamais elle ne reverrait Alban... à moins que, par on ne sait quel miracle, elle réussisse à le faire évader... mais on ne s’évadait guère des prisons du Roi. Autrement dit, elle aurait de toute façon brisé sa vie et causé sa déchéance. Que pourrait-elle lui apporter en - faible ! - consolation ? Soudain une idée lui vint :

—    Puis-je demander, au moins, la permission de l’épouser? Être sa femme... ne serait-ce que trois petites minutes !

—    Non.

Devant l’expression douloureuse, lourde de tristesse, qui s’inscrivait sur le visage de Charlotte, il expliqua :

—    La condamnation à mort... ou à l’équivalent, entraîne la confiscation des biens d’un homme... et donc de ceux de son épouse au profit de la Couronne. De quoi vivriez-vous ? L’attente peut être longue.

Et comme elle plissait les paupières dans un effort de compréhension, il la rassura :

—    Ce jeu cruel a assez duré ! Je voulais sonder la qualité de votre amour. Il y a un instant, j’ai dit « jusqu’à la mort » intentionnellement, car il ne s’agit pas de sa mort à lui mais de celle de Louvois... A condition, bien sûr, que vous ne le fassiez pas assassiner la semaine prochaine ! Hé la ! Vous n'allez pas vous évanouir ?

Sous le coup de l’émotion, Charlotte vacilla sur son siège qui la soutint heureusement, sans quoi elle se fût sans doute écroulée. Louis haussa la voix :

—    Vous m’avez compris ?

—    Oui, Sire, mais j’ai eu si peur ! Quant à M. de Louvois, je le hais mais je ne pourrai porter atteinte à une vie, fût-ce la sienne. Je saurai attendre... Le temps qu;il faudra, surtout si je n’ai plus rien à redouter de ses entreprises.

—    Je vous ai dit ce qu’il en était. La sentence de ce jeune homme va recevoir en correction : «Tant qu’il plaira au Roi de le maintenir en geôle. »

—    Oh, Sire! Vous me rendez la vie!... Cependant...

—    Encore quelque chose ?

—    Avec la permission de Votre Majesté. Je pense que M. de Louvois sera sans doute fort déçu de n’avoir pas vu tomber la tête d’un homme dont il sait à présent qu’il est son ennemi. Or - je suis la mieux placée pour en parler -, il peut agir à sa guise dans les prisons royales... et j’ai ouï dire qu’il existait au château de Vincennes une chambre « valant son pesant d’arsenic ». Aussi je redoute...

—    Qu’il se débarrasse de lui discrètement? Il est certain qu’avec un homme de cette trempe on peut s’attendre à tout, admit Louis soudain songeur. Il cultive la rancune et ne connaît pas le pardon. En conséquence, il faudrait qu’il puisse le croire condamné à vie ? Réfléchissons ! Il ne faut rien négliger... Je vais remettre à M. de La Reynie un acte de ma main, sous sceau privé, qui libérera le prisonnier à une date qu’il ajoutera lui-même le moment venu... En outre, on retiendra votre amoureux à la Bastille au lieu de l’envoyer au château d’If, à Pierre-Encize, au Taureau ou à Pignerol, ce qui évitera les aléas des grands chemins. Il y bénéficiera d’un régime convenable. Quelle est votre opinion ?