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– Please !

Erlendur continuait à regarder sa fille.

– Tu essaies de décrocher ? demanda-t-il.

– Please ! Dix mille. C’est rien du tout. Rien du tout pour toi. Je ne reviendrai plus jamais te demander de l’argent.

– Oui, précisément. Combien de temps y a-t-il que tu… (Erlendur ne savait pas exactement comment il devait exprimer sa pensée)… que tu as pris des substances ?

– Ça ne change rien. J’ai arrêté. Arrêté d’arrêter d’arrêter d’arrêter d’arrêter d’arrêter d’arrêter ! Eva Lind s’était levée. Allez, file-moi dix mille. Please ! Cinq mille. File-moi cinq mille. Tu n’aurais pas ça dans ta poche ? Cinq ! C’est franchement que dalle.

– Pourquoi est-ce que tu essaies de décrocher en ce moment ?

Eva Lind dévisagea son père.

– Arrête tes questions débiles. Je ne suis pas en train de décrocher. D’arrêter quoi ? Qu’est-ce que je suis censée arrêter ? Arrête de raconter des conneries !

– Que se passe-t-il ? Pourquoi es-tu tellement énervée ? Tu es malade ?

– Oui, je suis malade comme un chien. Tu peux me prêter dix mille, je te les rendrai, c’est un emprunt, d’accord, l’avare ?

– Avare, voilà un mot correct, observa Erlendur. Tu es malade, Eva ?

– Pourquoi tu me demandes ça ? dit-elle en s’énervant de plus belle.

– Tu as de la fièvre ?

– Donne-moi le fric. Deux mille ! C’est rien du tout. Tu comprends pas ça. Espèce de con !

Il s’était levé également et elle s’approcha de lui comme si elle avait eu l’intention de le frapper. Il ne comprenait pas cette subite violence en elle. Il la toisa.

– Qu’est-ce que tu regardes ? lui hurla-t-elle au visage. Tu as envie ? Hein ? Le vieux papa a envie ?

Erlendur lui asséna une gifle, plutôt légère.

– Ça t’a soulagé ? demanda-t-elle.

Il lui en donna une seconde, plus forte cette fois-ci.

– Alors, ça raidit ? dit-elle. Erlendur s’éloigna d’elle. Jamais auparavant, elle ne lui avait parlé de cette façon. En l’espace d’un instant, elle s’était changée en une bête vociférante. Il ne l’avait encore jamais vue dans cet état-là. Il se tenait devant elle sans savoir que faire et la colère fit peu à peu place à la compassion.

– Pourquoi est-ce que tu essaies d’arrêter actuellement ? répéta-t-il.

– Je ne suis pas en train d’essayer d’arrêter en ce moment, cria-t-elle. Hé, c’est quoi ton problème, mec ? Tu comprends pas ce que je te raconte ? Qui est-ce qui te parle d’arrêter ?

– Eva, que se passe-t-il ?

– Arrête avec tes “Eva, que se passe-t-il” ! Est-ce que tu peux me passer cinq mille couronnes ? Tu peux me le promettre ?

On aurait dit qu’elle s’était calmée. Peut-être se rendait-elle compte qu’elle avait dépassé les bornes. Qu’elle n’avait pas le droit de parler comme ça à son père.

– Et pourquoi maintenant ? demanda à nouveau Erlendur.

– Tu me fileras les dix mille si je te le dis ?

– Qu’est-ce qui s’est passé ?

– Cinq mille.

Erlendur fixait sa fille.

– Tu es enceinte ? demanda-t-il.

Eva Lind regarda son père et arbora le sourire du vaincu.

– Bingo ! dit-elle.

– Mais enfin, comment ? soupira Erlendur.

– Comment ça, comment ? Tu veux que je te fasse un dessin ?

– Pas de blabla. Tu prends des contraceptifs, non ? Des préservatifs ou la pilule ?

– Je sais pas ce qui s’est passé, c’est arrivé, c’est tout.

– Et tu veux arrêter la drogue ?

– Plus maintenant. J’y arrive pas. Voilà, je t’ai tout raconté. Absolument tout ! Tu me dois dix mille couronnes !

– Pour que tu drogues ton enfant ?

– C’est pas un enfant, idiot ! C’est rien du tout. Un grain de sable. Je peux pas décrocher tout de suite. Je le ferai demain. C’est promis. Mais pas maintenant. Allez, deux mille. C’est quoi ?

Erlendur s’avança à nouveau vers elle.

– Mais tu as essayé. Tu as envie de décrocher. Je vais t’aider.

– Je ne peux pas ! cria Eva Lind. Son visage ruisselait de sueur et elle faisait de son mieux pour dissimuler le tremblement qui lui parcourait tout le corps.

– C’est pour ça que tu es venue chez moi, dit Erlendur. Tu aurais parfaitement pu aller ailleurs te procurer de l’argent. C’est ce que tu as fait jusqu’à présent. Mais tu es venue à moi parce que tu veux…

– Arrête ces conneries. Je suis venue te voir parce que maman me l’a demandé et que tu as de l’argent. Il n’y a aucune autre raison. Si tu ne m’en donnes pas, je vais en trouver moi-même. Ça pose pas aucun problème. Il y a suffisamment de gars comme toi prêts à me payer.

Erlendur ne la laissa pas changer de conversation.

– Tu es déjà tombée enceinte ? demanda-t-il.

– Non, répondit Eva Lind en baissant les yeux.

– Qui est le père ?

Eva Lind, interloquée, regarda son père avec les yeux écarquillés.

– ALLÔ ! cria-t-elle. Tu trouves vraiment que j’ai l’air de sortir de la suite nuptiale de ce putain d’hôtel Saga ? !

Avant qu’Erlendur ait le temps de lever le petit doigt, elle l’avait repoussé et s’était enfuie de l’appartement, avait descendu l’escalier et était sortie dans la rue pour disparaître dans la pluie automnale et glaciale.

Il ferma doucement la porte derrière elle et se demanda s’il avait bien fait ce qu’il fallait. C’était comme s’il leur était impossible de parler ensemble sans se disputer et se hurler dessus, et tout cela le fatiguait.

Il n’avait plus du tout faim mais se rassit sur la chaise dans la salle, regarda devant lui, pensif. Il s’inquiétait de la façon dont Eva Lind allait réagir. Finalement, il prit un livre qu’il avait commencé et qui était demeuré ouvert sur la table à côté de la chaise. Il faisait partie de ce genre de livres qu’il affectionnait particulièrement et parlait de gens qui se perdaient et trouvaient la mort sur les hautes terres du centre de l’Islande.

Il reprit sa lecture au moment où commençait le récit portant le titre : Mort sur la lande de Mosfell, et il se trouva bientôt pris au milieu d’une impitoyable tempête de neige dans laquelle les hommes périssaient gelés.

3

La pluie dégringolait des nuages quand Erlendur et Sigurdur Oli sortirent de la voiture à toute vitesse, montèrent en courant les marches d'un immeuble de la rue Stighlid et appuyèrent sur une sonnette. Ils avaient pensé rester assis dans la voiture le temps que passe l’averse mais l’attente ennuyait Erlendur qui était sorti d’un bond. Sigurdur Oli ne voulait pas rester tout seul. Ils furent trempés jusqu’aux os en un clin d’œil. La pluie gouttait le long des cheveux de Sigurdur Oli et lui coulait dans le dos ; il regarda Erlendur d’un air mauvais pendant qu’ils attendaient que la porte s’ouvre.

Les policiers chargés de l’affaire avaient exploré les diverses possibilités au cours du briefing de la matinée. L’une des théories avancées était que Holberg avait été tué sans aucun mobile et que son meurtrier traînait dans le quartier depuis quelque temps, voire des jours. Un cambrioleur à la recherche d’un larcin. Il avait frappé chez Holberg pour savoir s’il s’y trouvait quelqu’un mais il avait paniqué en voyant le maître des lieux arriver à la porte. Le message qu’il avait laissé avait pour unique fonction de brouiller les pistes pour la police. Il n’avait pas d’autre signification apparente.

Le jour où Holberg avait été trouvé mort, les habitants d’un immeuble de la rue Stigahlid avaient informé la police qu’un jeune homme habillé d’un treillis kaki avait agressé deux femmes d’âge mûr, deux sœurs jumelles. Il s’était introduit dans la cage d’escalier, avait frappé chez elles, elles lui avaient ouvert, il s’était engouffré dans leur appartement, avait claqué la porte derrière lui et exigé qu’elles lui donnent de l’argent. Comme elles ne s’exécutaient pas, il avait frappé l’une d’elles à poing nu sur le visage et fait tomber l’autre à terre où il l’avait rouée de coups de pied avant de s’enfuir.