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Erlendur s’approcha de lui, mais on aurait dit qu’il s’en fichait.

– Les enfants sont des philosophes, dit-il. Ma fille m’a demandé un jour à l’hôpital : à quoi nous servent les yeux ? Je lui ai répondu qu’ils nous servaient à voir.

Einar fit une pause.

– Elle m’a corrigé, dit-il, comme s’il s’adressait à lui-même.

Il regarda Erlendur.

– Elle m’a dit qu’ils étaient là pour que nous puissions pleurer.

Ensuite, on aurait dit qu’il prenait une décision.

– Qui êtes-vous si vous n’êtes pas vous-même ? demanda-t-il.

– Calmez-vous, dit Erlendur.

– Qui êtes-vous donc, hein ?

– Ça va s’arranger.

– Je ne voulais pas que ça se passe comme ça, mais maintenant il est trop tard.

Erlendur ne saisit pas toute la portée des paroles d’Einar.

– C’est la fin.

Erlendur le regardait dans la lueur blafarde de la lampe-tempête.

– Ça s’arrête ici, dit Einar.

Erlendur le vit sortir le fusil de dessous son imperméable, il le pointa d’abord vers Erlendur, qui s’était discrètement approché de lui. Erlendur s’immobilisa. Brusquement, Einar retourna le canon vers lui-même et le plaça sur son cœur. Il fit cela d’un geste rapide. Erlendur réagit en hurlant. La violence de la déflagration déchira le silence nocturne du cimetière. Erlendur fut rendu sourd, l’espace d’un instant. Il se jeta sur Einar et les deux hommes tombèrent à terre.

45

Pendant un moment, il eut l’impression que sa vie était en ruine, que seul son corps continuait d’exister et scrutait l’obscurité avec des yeux vides.

Erlendur se tenait au bord de la tombe et regardait Einar, couché à côté de la petite sépulture. Il prit la lampe-tempête, éclaira le sol et constata qu’Einar était mort. Il reposa la lampe et décida de replacer le cercueil au creux de la terre. Il commença par l’ouvrir, y déposa le bocal en verre, puis il le referma. C’était une tâche difficile pour lui de faire descendre le cercueil, cependant il finit par y parvenir. Il trouva une pelle, abandonnée à côté du monticule de terre. Après avoir fait un signe de croix sur le cercueil, il se mit à pelleter. A chaque fois que le bruit sourd et profond de la terre lourde qui retombait sur le bois se faisait entendre, cela lui faisait mal.

Erlendur attrapa la petite clôture blanche qui gisait, cassée, à côté de la tombe et essaya de la remettre en place ; il fit appel à toutes ses forces pour relever la pierre tombale.

Il était en train d’achever sa tâche quand il entendit arriver les premières voitures et les cris des gens qui approchaient du cimetière. Il entendit Sigurdur Oli et Elinborg l’appeler à tour de rôle. Il perçut d’autres voix, féminines, ainsi que celles d’hommes éclairés par les phares des véhicules, qui donnaient à leurs ombres une taille gigantesque dans l’obscurité de la nuit. Il vit les faisceaux des lampes de poche se multiplier à toute vitesse et s’approcher de lui.

Il vit que Katrin faisait partie du groupe et, juste après, remarqua la présence d’Elin. Il vit Katrin le regarder avec un visage inquisiteur et, quand elle comprit ce qui s’était passé, elle se jeta éplorée sur Einar en le serrant dans ses bras. Erlendur ne fit rien pour l’arrêter. Il vit qu’Elin venait se blottir tout contre elle.

Il entendit Sigurdur Oli lui demander s’il allait bien et vit Elinborg ramasser le fusil tombé à terre.

Il vit d’autres policiers s’approcher ainsi que les flashes des appareils photo dans le lointain qui faisaient comme de petits éclairs.

Il leva les yeux. Il s’était à nouveau mis à pleuvoir, cependant il avait l’impression que la pluie s’était adoucie.

Einar fut enterré aux côtés de sa fille dans le cimetière de la banlieue de Grafarvogur. L’inhumation se déroula dans la plus stricte intimité.

Erlendur entra en contact avec Katrin. Il lui raconta l’entrevue entre Einar et Holberg. Erlendur évoqua la légitime défense, pourtant Katrin savait bien qu’il disait cela pour tenter d’atténuer sa douleur. Il savait ce qu’elle ressentait.

Il continuait de pleuvoir, mais le vent de l’automne s’était calmé. Bientôt, l’hiver prendrait le relais, avec le gel et l’obscurité hivernale. Erlendur ne le redoutait pas.

Devant les supplications de sa fille, il finit par aller consulter un médecin. Celui-ci lui expliqua que la douleur qu’il ressentait dans la poitrine était, en fait, située dans le cartilage et portait le nom de douleur intercostale. La cause était probablement un mauvais matelas, ainsi qu’un mode de vie trop sédentaire.

Un jour, au-dessus d’une assiette fumante de soupe à la viande, Erlendur demanda à Eva Lind si elle l’autorisait à décider du nom de l’enfant au cas où elle donnerait naissance à une fille. Elle lui répondit qu’elle s’attendait bien à ce qu’il lui fasse quelques suggestions.

– Comment est-ce que tu aimerais qu’on l’appelle ? demanda-t-elle.

Erlendur la regarda.

– Audur, répondit-il. Il me semble que ce serait une bonne idée de l’appeler Audur.

Remerciements du traducteur

Tous mes remerciements vont à Wilfried et Cécile Besnardeau, à Sylvie Kreiter pour leur travail de relecture du texte français et leurs suggestions. Merci à mon épouse Claude Lebigre-Boury pour son soutien et sa patience.

Eric Boury, Reykjavik.

Notes

1. Le toponyme se traduit par : le Marais du Nord. Il s’agit d’un quartier légèrement excentré de Reykjavik. (Toutes les notes sont du traducteur.)

2. Cent couronnes équivalent environ à un euro.

3. C’est-à-dire qu’on ne connaît pas le nom de son père. Les noms de famille n’existant pratiquement pas en Islande, on utilise le prénom du père auquel on accole le mot « son (fils de) ou dóttir (fille de).

4. Une eau-de-vie islandaise à base de pommes de terre aromatisée au cumin. On la surnomme également la Mort noire.

5. Tomas Gudmundsson et Halldor Laxness. Deux grands écrivains islandais du XXe siècle. Le second a reçu le prix Nobel de littérature en 1955.

6. Environ cinq mille euros.

7. On reconnaît sans peine l’entreprise DeCode Genetics, une société privée qui a obtenu auprès de l’état islandais le droit d’utiliser les données sanitaires et génétiques de la population islandaise à des fins de recherche et… commerciales. Cet événement a donné lieu à de nombreuses polémiques en Islande dans les années 90.

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