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Mais cette espérance lui était un nouvel encouragement à redoubler d'efforts, et, tout brisé qu'il fût des émotions et des luttes de l'audience, il passa la nuit dans le cabinet de grand-père Chandoré à rédiger, de concert avec maître Magloire, la requête où il exposait les causes de nullité du jugement. N'ayant achevé que lorsqu'il faisait déjà grand jour, il ne voulut pas se coucher, et c'est sur un fauteuil qu'il s'établit, pour prendre quelques heures de repos. Il n'y avait pas une heure qu'il dormait lorsqu'il fut réveillé par le vieil Antoine, lequel venait lui annoncer qu'il y avait en bas un inconnu qui demandait instamment à lui parler.

Tout en se frottant les yeux, il descendit et, arrivé dans le corridor, il se trouva en face d'un homme d'une cinquantaine d'années, de mise passablement suspecte, portant moustache et barbiche, et vêtu de ce pantalon large et de cette redingote étroite qu'affectionnent les anciens militaires.

– Vous êtes maître Folgat? lui demanda cet individu.

– Oui.

– Eh bien, moi, je suis l'agent que l'ami Goudar avait expédié en Angleterre…

Le jeune avocat tressauta.

– De quand, ici?

– De ce matin, par l'express. Vingt-quatre heures trop tard, je le sais, je l'ai appris par un journal que j'ai acheté à la gare… Monsieur de Boiscoran est condamné. Et cependant, je vous jure que je n'ai pas perdu une minute et que j'ai bien gagné la prime qui m'avait été promise en cas de succès…

– Vous avez donc réussi?

– Naturellement. Ne vous disais-je pas dans ma lettre de Jersey que j'étais sûr de mon fait?…

– Vous avez retrouvé Suky?

– Vingt-quatre heures après vous avoir écrit, dans un public-house de Bouly-Bay… Elle ne voulait pas venir, la mâtine!

– Vous l'avez amenée…

– Parbleu! Elle est à l'Hôtel de France, où je l'ai déposée avant de venir vous demander.

– Sait-elle quelque chose?

– Tout.

– Courez me la chercher…

Depuis le temps qu'il espérait ce succès, maître Folgat s'était préparé à en tirer tout le parti possible. Dans un album de Mlle Denise, il avait, au milieu d'une trentaine de photographies, glissé le portrait de Mme de Claudieuse. Il alla chercher cet album, et il venait de le poser sur la table du salon quand l'agent reparut, suivi de sa capture.

Suky avait été fort exactement dépeinte par le garçon traiteur de la rue des Vignes. C'était une grande diablesse d'une quarantaine d'années, aux traits durs, aux manières hommasses, habillée avec cette prétention si comique des Anglaises des basses classes qui peuvent disposer de quelque argent.

Interrogée par maître Folgat:

– Je suis restée quatre ans rue des Vignes, répondit-elle en français très compréhensible, bien qu'avec un déplorable accent, et j'y serais encore sans la guerre. Dès les premiers jours que j'y fus placée, je reconnus que j'étais la gardienne d'une maison où des amoureux se donnaient rendez-vous. Cela ne me convenait pas trop, parce qu'on a son amour-propre, n'est-ce pas; mais la place était bonne, je n'avais rien à faire; bref, je restai. Cependant mes patrons se défiaient de moi, je le voyais bien… Quand ils devaient se rencontrer, monsieur m'envoyait en course à Versailles, à Saint-Germain, à Orléans même… Cela me blessait si fort que je résolus de découvrir ce qu'on me cachait… Je n'y eus pas beaucoup de peine, et dès la semaine suivante je savais que monsieur ne s'appelait pas plus sir Burnett que moi, et que c'était là un nom de guerre qu'il avait emprunté à un de ses amis.

– Comment vous y êtes-vous prise?

– Oh! bien simplement. Un jour que monsieur s'en allait à pied, je le suivis et je le vis entrer dans un hôtel de la rue de l'Université. En face, des domestiques causaient sur une porte; je leur demandai qui était ce monsieur, et ils me répondirent que c'était le fils du marquis de Boiscoran.

– Voilà pour votre patron.

Mais la visiteuse… Suky Wood souriait.

– Pour la dame, répondit-elle, je fis exactement la même chose… Il me fallut du temps, par exemple, et de la patience, parce qu'elle prenait des précautions incroyables, et j'ai perdu plus d'un après-midi à la guetter. Mais plus elle se cachait, plus j'avais envie de savoir, comme de juste… Enfin, un soir qu'elle quitta la maison en voiture, je pris un fiacre, moi aussi, et je la suivis… C'est rue de la Ferme-des -Mathurins qu'elle se fit conduire. Le lendemain, je vins aux informations chez les concierges, sous prétexte de demander une place, et j'appris que cette dame était mariée en province, qu'elle venait tous les ans passer un mois chez ses parents, et qu'elle s'appelait la comtesse de Claudieuse…

Et Jacques qui prétendait, qui soutenait que Suky ne devait rien, ne pouvait rien savoir!

– Mais l'avez-vous vue, cette dame? interrogea maître Folgat.

– Comme je vous vois.

– La reconnaîtriez-vous?

– Entre mille.

– Et si l'on vous montrait son portrait?

– Je ne m'y tromperais pas.

Maître Folgat lui tendit l'album.

– Eh bien! cherchez, dit-il.

Ce fut l'affaire d'une minute.

– La voilà! s'écria Suky en mettant le doigt sur la photographie de Mme de Claudieuse.

Il n'y avait plus à douter.

– Seulement, reprit le jeune avocat, il faudrait, miss Suky, répéter devant la justice tout ce que vous venez de dire.

– Je le répéterai volontiers, puisque c'est la vérité.

– Cela étant, on va vous chercher un logement, et vous y resterez à notre disposition. Soyez sans crainte, vous ne manquerez de rien, et l'on vous payera des gages comme si vous étiez en place.

Maître Folgat n'eut pas le temps d'en dire davantage, le docteur Seignebos entrait comme un coup de vent, en criant à pleine voix:

– Victoire! cette fois. Victoire complète!

Mais il ne pouvait parler devant Suky Wood et l'agent. Il les congédia sans plus de façon, et dès qu'ils furent dehors:

– Je sors de l'hôpital, dit-il à maître Folgat. J'ai vu Goudar. Il a réussi, il a fait parler Cocoleu…

– Qu'a-t-il dit?

– Ce que je savais bien qu'il dirait, si l'on parvenait à lui délier la langue… Mais vous l'entendrez, car il ne suffit pas que Cocoleu avoue tout à Goudar, il faut qu'il se trouve là des témoins pour recueillir les aveux de ce misérable…

– Devant des témoins, il ne parlera pas…

– Il ne les verra pas, ils resteront cachés, l'endroit est admirablement disposé pour une surprise.

– Et si, une fois les témoins cachés, Cocoleu s'obstine à se taire?

– Point. Goudar a trouvé le secret de le faire jaser quand il veut. Ah! c'est un habile mâtin, et qui sait son métier… Avez-vous confiance en lui?

– Oh! complètement.

– Eh bien, il répond du succès. Venez aujourd'hui même, m'a-t-il dit, entre une heure et deux, avec maître Folgat, le procureur de la République et monsieur Daveline, placez-vous à l'endroit que je vais vous montrer, et laissez-moi faire. Et là-dessus, il m'a fait voir où nous mettre et m'a indiqué comment je lui ferais connaître notre présence.