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Kim Stanley Robinson

La côte dorée

Remerciements

Certains de mes amis et des membres de ma famille m’ont beaucoup aidé pour certains aspects de ce livre. J’aimerais remercier Terry Baier, Daryl Bonin, Brian Carlisle, Donald et Nancy Crosby, Patrick Delahunt, Robert Franko, Charles R. Ill, Beth Meacham, Usa Nowell, Linda Rogas et Victor Salemo.

Remerciements tout particuliers à Steve Bixler et Larry Huhn ; et à mes parents.

1

Bip-bip !

Tût-tût.

Jim McPherson passe la tête par la vitre de sa voiture, interpelle une Minihonda que son programme vient d’engager automatiquement devant lui sur la rampe d’accès.

— Tu m’as coupé la route !

L’homme dans la Minihonda se retourne pour le regarder, l’air déconcerté. La vieille Volvo de Jim fait un brusque bond en avant sur le rail en courbe et d’un seul coup Jim se retrouve à pendouiller à moitié dehors, par la portière, vacillant, le visage à quelques centimètres du béton de l’autoroute. Abe Bernard l’attrape par la ceinture et le ramène à l’intérieur, ouf !

Il fait nuit dans le Comté d’Orange – ici – et les quatre amis croisent en autopie. Vedettes de leur équipe de lutte du championnat des établissements d’enseignement supérieur de l’État – dix ans déjà depuis ce titre de gloire –, ils roulent par-dessus les sièges de la Volvo et tentent de plaquer Tashi Nakamura contre son siège, de le tenir à distance du compte-gouttes oculaire rempli de la dernière mixture de Sandy Chapman. Tash était leur poids lourd et le dernier encore en forme, et ils n’y arrivent pas ; Tash leur échappe brutalement des bras et s’empare du compte-gouttes, sans cesser de chanter sur un des vieux C.D. de Jim : « Que quelqu’un me donne un cheeseburger ! » La rampe d’accès continue de grimper, vire plus sec, les contacts grincent sur le rail électromagnétique de guidage et d’alimentation au centre de la voie, ils sont tous projetés en tas sur le siège arrière.

— Euh-euh, je crois que j’ai laissé tomber le compte-gouttes.

— Dites, on est sur l’autoroute maintenant, non ? Est-ce que quelqu’un devrait pas faire gaffe ?

Abe se contorsionne aussitôt pour passer sur le siège du conducteur. Regarde autour de lui. Tout est en bonne piste. Les voitures, suivant leur programme vers le nord, bourdonnent sur les huit bandes cuivrées qui marquent le centre de chaque voie. Fleuve de feux arrière rouges devant, feux avant blancs derrière, quelques véhicules roulant sur les rails de changement de voie en S, de gauche à droite, de droite à gauche, leurs clignotants scandant le rythme du grand plongeon en avant, clic clic clic, clic clic clic. Tout va bien sur la Newport Freeway, ce soir.

— Tu l’as retrouvé, ce compte-gouttes ? demande Abe, une certaine irritation dans la voix.

— Ouais, voilà.

Les voies à destination du Nord grimpent en flèche à travers l’immensité de l’échangeur des autoroutes de San Diego, Del Mar, Costa Mesa et San Joaquin. Vingt-quatre monstrueux rubans de béton s’assemblent à la façon d’un bretzel, nœud gordien de cent mètres de haut et d’un kilomètre cinq de diamètre – monument à la gloire de l’autopie – et ils passent à travers comme des insectes dans un cœur de géant. Puis la vieille bousine de Jim bourdonne un ton plus haut et soudain c’est comme s’ils amorçaient une manœuvre d’atterrissage à l’aéroport international John Wayne, là-bas sur leur droite, car la bretelle nord de la Newport se trouve au niveau le plus haut des autoroutes superposées, et ils évoluent à trente mètres au-dessus de la bonne vieille Terre. Le C. d’O. de nuit, sur des kilomètres dans toutes les directions. Imaginez.

L’immense réseau de lumière.

Tungstène, néon, sodium, mercure, halogènes, xénon.

Au sol, les treillis carrés de l’éclairage municipal au sodium, orange.

Toutes sortes de choses brûlent.

Lampes à vapeur de mercure : cristaux bleus au-dessus des autoroutes, des coprops, des parkings.

Xénon à se bousiller les yeux, éclairant de manière aveuglante les allées, le stade, Disneyland.

Grands faisceaux halogènes issus des balises-phares de l’aéroport, fouettant le ciel nocturne.

Le gyrophare d’une ambulance, puisant rouge en dessous.

Succession sans fin, rougevertjaune, rougevertjaune.

Des feux avant et arrière, globules rouges et blancs, qui se frayaient un chemin à travers un corps de lumière leucémique.

Il y a un feu stop dans ta tête.

Un milliard de lumières. (Dix millions de personnes.)

Combien de kilowatts à l’heure ?

Réseau sur réseau, des montagnes à la mer. Un milliard de lumières.

Ah oui : le Comté d’Orange.

Jim cligne des yeux en cillant une grosse giclée du petit dernier de Sandy, regarde pulser les schémas. D’un seul coup, en une illumination de satori, il distingue le schéma que forment tous les autres schémas : les couches d’éclairages du C. d’O., décennie après décennie, génération après génération. En fait, certains treillis se détachent et pivotent de quatre-vingt-dix degrés, pour s’accorder au métaréseau de la totalité perçue.

— Celui-là, j’vais l’appeler Perception des Schèmes.

— O.K., fait Sandy. Je pige ça.

— Tu pourrais prendre de l’aspirine et voir ça d’ici, d’en haut, objecte Abe.

— C’est vrai. Je vois ça aussi.

— On devrait appeler ça l’Agréabilité, dit Tashi.

— C’est vrai. Je vois.

— Nous sommes au centre du monde, déclare Jim. (Abe et Tashi se mettent à regarder autour d’eux comme s’ils rataient le jalon – devrait y avoir une plaque ou quelque chose, non ?) Le Comté d’Orange est l’aboutissement de l’histoire, son produit le plus pur. La civilisation n’a pas cessé de progresser vers l’ouest pendant des milliers d’années, mue par tropisme vers le crépuscule, jusqu’à ce qu’ils arrivent ici au bord du Pacifique et qu’ils ne puissent pas aller plus loin. Alors ils se sont arrêtés ici et ils l’ont fait. Et à cette époque-là ils se trouvaient dans la grande vague tardive du capitalisme corporatif, ce qui fait que tout ici est purement organisé, pour vendre et acheter, vendre et acheter, le moindre petit bout d’entre nous.

— Putains de cocos marxistes.

— Ils devaient aimer les lumières.

Jim s’ébroue pour se débarrasser d’eux, devient d’humeur nostalgique. Parler d’histoire lui rappelle la mission de ce soir.

— C’était pas comme ça que ça se passait !

— Tu rigoles, dit Tashi.

Lui et Abe échangent de grands sourires : Jim peut être plus marrant que la vidéo.

— Non, je plaisante pas. Toute cette cuvette était couverte d’orangeraies, plus de cinq cents kilomètres carrés d’orangers. Il y avait plus d’oranges qu’il n’y a de lumières maintenant.

— Incroyable, font en chœur ses amis.

— Mais vrai ! Le C. d’O. était un grand verger, soupire Jim.

Abe, Tash et Sandy se regardent.

— Ça fait un paquet d’arbres, dit Abe, solennel, et Tash réprime un rire.

Sandy ne s’en fait pas ; il se lance dans le célèbre rire homologué Chapman : « Ah, hahahahahaha – Ah, hahahahahaha. »

— Dites, vous voulez pas qu’on se barre d’ici ? demande Tash.

— Oh ouais ! crie Jim.

Abe actionne le commutateur de changement de voie et ils s’insinuent dans la file de droite, puis zigzaguent sur deux niveaux de la rampe de sortie jusqu’à Chapman Avenue, direction est. La rue de Sandy. Deux niveaux seulement, ici, et le niveau est correspond à celui du dessus. Même à El Modena, ce genre de chose a une fin, et ils se retrouvent au ras du sol, sur une route où on circule dans les deux sens.