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La puissance de l’orage avait presque quelque chose de surnaturel. Olaus le Danois était-il de connivence avec les dieux de cette terre ? Comme s’il ne souhaitait pas sacrifier ses guerriers face aux envahisseurs en envoyant cette terrible tempête à leur place.

Il n’y avait aucune échappatoire. Tout ce qu’ils pouvaient faire était de se terrer peureusement sous le ciel sombre, coincés sur cette bande de sable, tandis que la tornade grondait au-dessus de leurs têtes. Les éclairs fendaient le ciel comme autant d’épées monstrueuses. Les coups de tonnerre faisaient écho aux effrayants hurlements du vent.

Quelques heures plus tard, la pluie sembla ralentir, puis s’arrêta complètement. Un calme surnaturel les enveloppa. Il y avait quelque chose d’étrange, comme un léger crépitement, dans l’air immobile. Drusus se releva, assommé, pour évaluer l’étendue des dégâts : les murs effondrés, les tentes envolées, les chariots retournés, les armes dispersées. Puis, brusquement, ce fut de nouveau la pluie et le vent, comme si l’orage s’était moqué d’eux avec ce semblant d’accalmie, et le déluge reprit de plus belle jusqu’au petit matin.

À l’aube, le camp offrait un spectacle de désolation. Il ne restait plus rien de leurs constructions. Les murs avaient disparu. Ainsi qu’une large rangée d’arbres sur la plage. De vastes cuvettes d’eau s’y étaient formées un peu partout dans lesquelles flottaient des corps. Un grand nombre de navires avaient disparu, les autres étaient couchés dans l’eau, sur leur flanc.

Le jour apporta une chaleur étouffante, tellement chargée d’humidité qu’il devenait presque impossible de respirer, ainsi qu’une cohorte d’animaux venimeux en tous genres – serpents, araignées, des avalanches de fourmis rouges, des hordes de scorpions et autres bestioles désagréables – comme si la tempête les avait chassés hors de la jungle. Tel un mauvais rêve qui ne prendrait pas fin au réveil. Drusus, l’air sombre, ordonna à ses hommes de mettre un peu d’ordre dans le camp, mais il était difficile de savoir par où commencer et tous marchaient comme dans un demi-sommeil.

Ils s’affairèrent pendant deux jours au milieu des dégâts causés par la tempête. Le deuxième jour, Drusus envoya un messager au camp de Capito pour savoir comment les choses s’étaient passées de leur côté, mais l’homme revint moins d’une heure plus tard en lui annonçant qu’une partie de la plage au sud avait été balayée par la mer, empêchant tout passage, et que la forêt était si dense à l’intérieur qu’il lui était impossible de traverser ; il avait donc été obligé de rebrousser chemin.

Le troisième jour, ce fut l’offensive maya : une pluie de flèches venue de nulle part. Les archers étaient invisibles : ils devaient être au cœur de la jungle, tirant leurs flèches à l’aveuglette avec des arcs d’une puissance exceptionnelle. Les flèches tombaient du ciel par centaines, par milliers, tombant au hasard dans le camp romain. Une cinquantaine d’hommes périrent en l’espace de quelques instants. Drusus envoya cinq escadrons dans la forêt, emmenés par Marcus Junianus, pour aller déloger les attaquants, mais ils ne trouvèrent personne.

Le lendemain, un navire arborant le pavillon de Lucius Aemilius Capito fit son apparition dans la baie, suivi de trois autres. Drusus se fit transporter en chaloupe pour aller à la rencontre du consul. Capito, abattu par la fatigue, lui raconta que la tempête avait pratiquement détruit son camp : il avait perdu presque la moitié de ses hommes et de son équipement, et le site lui-même était devenu inutilisable à cause des inondations. Ces navires étaient les seuls qui lui restaient. Dans l’impossibilité de contacter le camp de Masurius Titanus, ils avaient remonté la côte en bateau, espérant trouver le camp de Drusus à peu près intact.

Drusus n’avait d’autre choix que de remettre son commandement à Capito, même si le vieil homme paraissait usé et abattu par l’épreuve qu’il avait subie. « Il n’est plus bon à rien », s’emporta Marcus Junianus. Mais Drusus répondit aux objections de son ami par un haussement d’épaules : Capito était le doyen des officiers, un point c’est tout.

Les archers lancèrent une autre attaque le lendemain, et le surlendemain. Les pluies de flèches se faisaient plus denses que les précédentes, formant de véritables barrages dans le ciel. Drusus comprit que les capacités des archers mayas étaient sans limites – il les imaginait par milliers, par millions, alignés calmement, une rangée après l’autre, chacune attendant la volée précédente pour la remplacer aussitôt. Cette terre comptait énormément d’habitants, et ils étaient tous ennemis de Rome. Et l’armée d’invasion attendait là, dans les ruines de son camp, incapable de faire plus de huit cents mètres dans cette jungle étouffante et hostile, vulnérable aux tempêtes, avec ses créatures venimeuses, la faim, les maladies, les moustiques, les flèches. Les flèches. La situation devenait impossible. Les choses n’avaient pas dû être pires pour Quinctilius Varus quand il avait perdu les trois légions de César Augustus. Mais ici sept légions étaient menacées.

Après consultation d’un Capito visiblement mal en point, Drusus fit installer une rangée de ses propres archers sur la plage, pour répondre aux attaques des flèches mayas, tirées au hasard dans la jungle. Ce qui eut un succès très relatif : une douzaine de Mayas morts furent retrouvés après l’attaque. Ils portaient une sorte d’armure, faite en coton piqué. Mais les Romains avaient perdu une vingtaine d’hommes sous les flèches tombées du ciel lors de la deuxième attaque et une trentaine lors de la troisième. Le camp était perpétuellement infesté de serpents qui eux aussi continuaient leur travail de sape, d’autres hommes succombèrent aussi sous les piqûres d’autres insectes non déterminés.

La fièvre était un ennemi supplémentaire – les hommes tombèrent malades par douzaines – et les provisions commencèrent à manquer sérieusement, la tempête ayant vidé la forêt des ses cochons sauvages et de ses cerfs. Marcus Junianus prit Drusus à part : « Nous sommes battus, comme l’a été la première expédition. Nous devrions reprendre la mer et rentrer chez nous. » Drusus secoua la tête en signe de dénégation, bien que convaincu que c’était la meilleure chose qu’il leur restât à faire. Mais l’ordre de retraite devait impérativement venir de Capito et le consul était perdu dans les brumes de quelque rêve fiévreux.

Les jours passèrent ainsi. Chaque aube nouvelle apportant son lot de pertes humaines à cause de la maladie, la faim ou tout simplement l’épuisement quand les attaques régulières des flèches n’achevaient pas le travail. « Nous détruirons les murs de leur ville », déclara Capito dans un de ses rares moments de lucidité, mais Drusus savait bien que la chose était impossible. Ils avaient déjà suffisamment de mal à gérer leur propre situation au camp en cherchant de la nourriture et de l’eau potable et en repoussant les incessantes pluies de flèches.

À l’aube du vingt-troisième jour, un petit groupe d’hommes, une cinquantaine peut-être, arrivèrent en titubant sur la plage du côté sud, amaigris, le visage ravagé. Il s’agissait des derniers survivants du camp de Masurius Titianus. Ils avaient coupé à travers la forêt à la recherche d’autres Romains. Quant à Titanius, il avait succombé à son tour et tous leurs navires avaient été emportés dans la tempête.