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Son costume lui-même avait un aspect effrayant : une peau de tigre autour de la taille, un collier d’énormes pierres vertes orné d’un pendentif en dents d’ours sur son torse nu, de longs bracelets en or, de lourdes boucles d’oreilles, et une couronne aux motifs compliqués de plumes bariolées et de joyaux étincelants. Mais ce costume incongru, si effrayant fut-il, n’était qu’un élément participant à l’effet démoniaque produit. Le personnage lui-même complétait le tableau. Olaus était plus grand que n’importe quel homme rencontré par Drusus, il le dépassait de plus d’une tête et Drusus était déjà de taille honorable. Son corps était une énorme colonne massive, avec des épaules larges, un torse saillant. Quant à son visage…

Quel visage, en effet ! Une puissante mâchoire carrée, des yeux noirs comme la nuit nichés dans de proéminentes orbites et une monstrueuse bouche figée en un perpétuel rictus. Alors que la plupart de ses compatriotes étaient en général blonds ou roux, Olaus arborait une large tignasse noire en bataille, une barbe touffue qui lui masquait les joues et une bonne partie du cou. C’était la face d’un monstre, un monstre à l’apparence humaine, cruel, implacable, impitoyable, infatigable. Mais dans le regard brillait l’intelligence d’un homme.

La description de Marcus ne l’avait pas préparé à cet homme. Drusus se demanda s’il était censé le saluer par quelque révérence ou quelque chose dans le genre. Quoi qu’il en soit, il ne le ferait pas. Mais la chose semblait pourtant s’imposer devant un tel personnage.

Olaus s’approcha de lui, tellement près que c’en était presque gênant et dit, dans un latin approximatif mais néanmoins clair : « Vous êtes le général ? Comment vous appelez-vous ? Quel est votre grade ?

— Je m’appelle Titus Livius Drusus, fils du sénateur Lucius Livius Drusus. J’assume le grade de légat légionnaire auprès de Saturninus Augustus. »

Le Scandinave lâcha un grognement, tirant sur le feulement, indiquant qu’il avait bien compris, mais qu’il n’était pas impressionné. « Je suis Olaus le Danois, devenu roi de cette terre. » Il indiqua l’homme sur sa gauche, un individu renfrogné au profil aquilin, presque aussi somptueusement vêtu que lui, et fit les présentations : « Voici Na Poot Uuc, le prêtre du dieu Chac-Mool. Et l’autre s’appelle Hunac Ceel Cauich, maître du feu sacré. »

Drusus acquiesça de la tête. Na Poot Uuc, songea-t-il. Hunac Ceel Cauich. Le dieu Chac-Mool. Ce ne sont pas des noms mais des sons.

Le Scandinave fit un geste de la main et le prêtre de Chac-Mool apporta un bol taillé dans cette pierre verte que l’on appréciait visiblement par ici et le maître du feu sacré le remplit de cette liqueur dont avait parlé Marcus. Drusus en but prudemment quelques gorgées. C’était à la fois doux et épicé, et risquait fort de lui monter à la tête s’il en abusait. Quelques gorgées polies et il leva les yeux, voulant faire comprendre qu’il en avait assez. Le prêtre de Chac-Mool lui signala qu’il devait en boire un peu plus. Drusus fit semblant de s’exécuter, et lui rendit le bol.

Le Scandinave avait rejoint son trône. Il fit signe qu’on lui apportât le breuvage d’hydromel et il en but un plein bol d’une seule traite avant de plonger son regard effrayant dans celui de Drusus. Il commença alors et sans autre préambule à faire le récit de ses aventures dans le Nouveau Monde. L’histoire était difficile à suivre, car les connaissances en latin d’Olaus ne devaient pas être brillantes au départ et visiblement il ne l’avait pas parlé depuis un bon nombre d’années. Sa grammaire était plus qu’approximative et chaque phrase était ponctuée de mots nordiques issus de sa langue gutturale ainsi que, selon Drusus, de quelques mots de dialecte local. Drusus fut néanmoins capable de recoller les morceaux et de comprendre l’essentiel de son histoire.

À savoir qu’après que Haraldus et ses compagnons l’eurent laissé au Yucatán pour prendre la mer vers l’Europe et annoncer à l’empereur la découverte du Nouveau Monde, Olaus s’était rapidement imposé par sa puissance et avait été reconnu comme un homme important parmi ces gens qu’il appelait les Mayas. Drusus fut incapable de savoir si c’était bien leur nom ou quelque invention d’Olaus. Mais il doutait fort qu’il ait un quelconque rapport avec le mois romain qui se prononçait de la même manière. Il n’eut guère de précisions quant au sort des autres Scandinaves restés dans le Nouveau Monde avec Olaus, et il se garda bien de l’interroger à ce sujet : il savait trop bien à quel point les hommes scandinaves pouvaient s’offusquer facilement et laisser éclater leur tempérament meurtrier. Mettez-en sept dans une pièce et vous en retrouverez quatre le lendemain matin, et l’un d’eux serait bien capable de mettre le feu au bâtiment et laisser brûler les trois autres. Les compagnons d’Olaus devaient certainement être morts à l’heure qu’il était.

Toujours est-il qu’Olaus, par sa présence physique, sa force, son assurance, avait réussi à devenir le chef guerrier de ce peuple, puis leur roi, et aujourd’hui pratiquement leur dieu. Tout avait commencé lorsqu’une cité voisine avait décidé de déclarer la guerre à celle-ci. Drusus en déduisit qu’il ne devait pas y avoir de pouvoir central dans ce pays : chaque cité devait être indépendante, même si deux cités pouvaient s’allier librement contre leurs ennemis. Ces Mayas étaient tous de farouches guerriers, mais lorsque la guerre éclata, Olaus entraîna les hommes de sa ville en utilisant des méthodes d’entraînement militaire qui leur étaient inconnues jusqu’alors, un mélange de discipline romaine et de brutalité nordique. Sous son commandement ils devinrent invincibles. Les villes tombèrent les unes après les autres devant les armées d’Olaus. Pour la première fois dans l’histoire maya une forme d’Empire fut constituée au Yucatán.

Olaus semblait aussi avoir été en contact avec les autres royaumes du Nouveau Monde, celui à l’ouest du Mexique et celui plus au sud appelé Pérou. S’était-il rendu là-bas lui-même, ou bien avait-il envoyé des ambassadeurs ? Il était difficile de le savoir : le débit de paroles du Scandinave était trop rapide et son élocution trop désordonnée pour que Drusus puisse comprendre toutes les subtilités de son histoire. Mais les peuples de ces terres semblaient être au courant de l’existence de ce géant blanc à barbe noire venu d’un pays lointain qui avait su unifier les cités du Yucatán en un seul empire.

C’était ces même troupes qui avaient rencontré les trois premières légions de Saturninus et les avaient anéanties sans la moindre difficulté.

Les aimées mayas avaient utilisé leurs connaissances de stratégie militaire romaine pour se défendre contre les légions. Utilisant à leur tour lors de leurs attaques la technique de l’embuscade contre laquelle les techniques militaires romaines, bien que redoutables en d’autres circonstances, étaient totalement inadaptées.

« Et c’est ainsi qu’ils ont tous péri, conclut Olaus. À part un petit groupe que j’ai laissé filer afin qu’ils aillent raconter ce qui s’était passé. Et c’est le même sort qui attend tes troupes, Romain. Rentrez chez vous tant qu’il en est encore temps. »

Dans ce regard terrible se lisait le mépris.

« Si vous voulez sauver vos vies, dit Olaus, partez.

— Impossible, dit Drusus. Nous sommes des Romains.

— Alors ce sera la guerre. Et vous serez massacrés jusqu’au dernier.