Выбрать главу

Je compris que c'était un envoyé du Ciel [80],

et j'allais le nommer; mais le maître fit signe

que je devais me taire et montrer du respect.

Ah! comme il me parut superbe, son courroux!

D'un seul coup de baguette il fit ouvrir la porte,

sans que personne osât lui faire résistance.

«Vous, les bannis du Ciel, engeance méprisable,

prononça-t-il d'abord sur ce seuil repoussant,

d'où vient dans votre cœur pareille outrecuidance?

Pourquoi vous rebeller contre la volonté

dont personne ne peut interrompre le cours

et qui plus d'une fois augmenta vos misères?

À quoi sert de cosser contre votre destin?

Si ce n'est qu'un oubli, demandez à Cerbère,

puisqu'il en porte encor le goître tout pelé!» [81]

Ensuite il repartit sur le chemin infect,

sans jeter un regard sur nous, car il semblait,

au contraire, occupé par bien d'autres pensers

que celui de savoir qui nous étions nous-mêmes.

Nous guidâmes alors nos pas vers la cité,

tout à fait rassurés par les saintes paroles.

Nous entrâmes enfin, sans combat, sans encombre;

et moi, comme toujours, désireux de savoir

l'état et la raison de cette forteresse,

je me mis, dès l'entrée, à scruter le paysage

et je vis tout autour une immense campagne

où semblaient habiter le deuil et les tourments [82].

Comme là-bas, près d'Arles où le Rhône s'endort,

ou bien comme à Pola, tout près du Quarnaro,

qui finit l'Italie et baigne ses confins,

on voit de vastes champs parsemés de tombeaux [83],

telle on voyait partout cette immense étendue,

bien que d'une façon mille fois plus horrible;

car parmi les tombeaux des feux éparpillés

les chauffait jusqu'au point de les rendre si blancs,

que le fer ne l'est pas autant sur les enclumes.

Les couvercles pourtant demeuraient relevés,

et l'on en entendait de si tristes soupirs,

que l'on comprenait bien leur deuil et leur misère.

Alors je demandai: «Maître, qui sont ces gens

qui sont ensevelis dans ces coffres de pierre

et qu'on entend pousser de si cuisants soupirs.»

«Ici, répondit-il, sont les hérésiarques,

avec leurs sectateurs de toutes les couleurs;

les tombeaux en sont pleins plus que tu ne peux croire.

Les semblables sont là, mis avec les semblables [84]

et leurs cercueils sont tous plus ou moins échauffés.»

Après cette réponse, il tourna vers la droite,

passant entre le mur et le champ des supplices.

CHANT X

Mon maître s'engagea dans un sentier étroit,

pris entre la muraille et les suppliciés,

pendant que je suivais dans l'ombre de ses pas. [85]

«Suprême sage, toi qui me fais parcourir

selon ton bon plaisir ce néfaste giron,

contente, dis-je alors, mon désir de savoir!

Pourrait-on regarder les gens ensevelis

dans ces tombeaux? J'en vois les couvercles levés,

et personne n'est là, qui puisse l'interdire.»

Il répondit alors: «Ils resteront ouverts

jusqu'au jour où viendront, retour de Josaphat,

les corps qu'ils ont jadis abandonnés là-haut.

Regarde par ici: de ce côté se trouvent

les tombeaux d'Épicure et de tous ses disciples,

qui veulent que l'esprit finisse avec le corps [86].

Quant à la question que tu viens de poser,

tu seras satisfait ici même et bientôt,

comme l'autre désir que tu ne veux pas dire.» [87]

«Bon guide, dis-je alors, je ne te cèle point

mon penser, si ce n'est afin de moins parler:

tu me l'as conseillé plus d'une fois toi-même.»

Toscan qui sais parler un si courtois langage

et traverses, vivant, cet empire du feu,

arrête-toi, de grâce, à l'endroit où nous sommes,

puisque j'ai vite fait de voir à ton discours

que tu dois être fils de la noble patrie

pour laquelle peut-être ai-je été trop sévère.»

Une voix qui sortait de l'un des sarcophages

dit ces mots tout à coup; et ma peur fut si grande,

que je vins me coller de plus près à mon guide.

Lui, pourtant, il me dit: «Retourne, que fais-tu?

Voici Farinata [88]: tu vois comme il se dresse,

dépassant son tombeau de la tête et du buste!»

Je m'enhardis assez pour regarder comment

sa poitrine et son front s'étaient soudain dressés,

comme pour mépriser de plus haut tout l'Enfer.

Et la main bienveillante et prompte de mon guide

me poussait doucement vers lui, parmi les tombes,

pendant qu'il me disait: «Ne t'entretiens pas trop!»

Sitôt que j'arrivai plus près de son sépulcre,

me toisant un instant, il finit par me dire,

non sans quelque dédain: «Quels étaient tes ancêtres?

Moi, qui ne demandais que lui faire plaisir,

je lui dis promptement ce qu'il voulait savoir,

ce qui fit qu'à la fin il fronça le sourcil.

«C'étaient, dit-il alors, des ennemis terribles

pour moi, pour ma maison et pour tout mon parti,

en sorte que j'ai dû les chasser par deux fois.»

«Si tu les as chassés, ils sont bien revenus

et l'une et l'autre fois, lui répondis-je alors,

cependant que les tiens n'ont pas appris cet art.»

À ces mots se dressa sous le même couvercle

un esprit découvert jusqu'au ras du menton

et qui devait rester sans doute agenouillé [89].

Il scruta tout d'abord les alentours, voulant

s'assurer qu'avec moi personne ne venait,

et sitôt qu'il eut vu ses doutes dissipés,

il me dit en pleurant: «Si tu pus pénétrer

dans nos noires prisons grâce à ton bel esprit,

où se trouve mon fils? pourquoi viens-tu sans lui?»

«Je ne suis pas venu de moi-même, lui dis-je;

celui qui m'attend là m'a conduit jusqu'ici;

peut-être ton Guido ne l'aimait pas autant.» [90]

Son discours, en effet, ainsi que son supplice,

m'avait déjà rendu manifeste son nom,

et je sus lui répondre assez pertinemment.

Il se dressa d'un coup, en s'écriant: «Comment?

Ne l'aimait pas? Alors, il n'est donc plus vivant?

Le doux éclat du jour ne baigne plus ses yeux?»

Et comme il s'aperçut qu'avant de lui répondre

je m'étais arrêté, cherchant une réponse [91],

il tomba de son long et ne se montra plus.

L'autre esprit généreux, pour lequel je venais

de m'arrêter tantôt, se tenait toujours là,

sans trembler, s'émouvoir ou changer de visage.

Il dit, en reprenant le fil de nos propos:

«S'il est vrai que les miens n'ont pas appris cet art,