Выбрать главу

ainsi que le géant qui fornique avec elle.

Sans doute, mon récit te semble plus obscur

que Thémis et le Sphinx, et ne te convainc pas,

parce que, tout comme eux, il blesse l’intellect;

mais les événements seront les Laïades [347]

qui fourniront la clef de cette énigme ardue,

sans qu’en doivent souffrir les moissons ou les bêtes.

Toi, retiens tout ceci; telles que je les dis,

ces paroles, dis-les à ceux qui là-bas vivent

ce qu’ils croient vie, et n’est qu’une course à la mort.

Quand tu raconteras ceci, rappelle-toi,

ne dissimule pas le pitoyable état

où tu vis l’arbrisseau par deux fois saccagé.

Quiconque le dépouille ou lui fait du dégât

est coupable envers Dieu d’offense et de blasphème,

puisque, s’il l’a fait saint, c’est pour son seul usage.

Et pour l’avoir touché, la première des âmes

implora cinq mille ans et plus, parmi les peines,

Celui qui vint venger la morsure en lui-même.

Et ton esprit s’endort, s’il ne veut pas comprendre

que, si la plante est haute et s’évase au sommet,

ce n’est pas un hasard, mais un dessein du Ciel.

Et si de vains pensers n’avaient été pour toi

comme les eaux de l’Else [348], et pareils à Pyrame

noircissant le mûrier, chacun de tes plaisirs,

rien qu’à considérer toutes ces circonstances

sans doute verrais-tu dans l’interdit de l’arbre

la justice de Dieu qui s’applique au moral.

Je remarque pourtant que ton intelligence

s’est transformée en roc si noir et si compact,

que l’éclat de mon dire a l’air de t’éblouir.

Il te le faut porter en toi, sinon écrit,

du moins représenté, de la même manière

que porte un pèlerin le bourdon ceint de palmes.»

Je dis: «Comme la cire où l’on a mis le sceau

ne change plus jamais l’empreinte qu’on lui donne,

mon cerveau maintenant reste marqué par vous.

Mais pourquoi vos propos longuement désirés

s’envolent-ils si haut au-dessus de ma vue,

que plus je fais d’efforts, et moins je les atteins?»

«Pour mieux te rappeler, dit-elle, cette école

dont tu sais les leçons, et mieux te faire voir

que son enseignement ne suit pas ma parole;

que tu saches aussi que du chemin de Dieu

au vôtre, la distance est plus grande que celle

qui s’étend de la terre à la plus haute sphère.»

Je répondis alors: «Je ne me souviens pas

d’avoir jamais pensé de façon différente,

et je ne me sens pas remordre la conscience.»

«Mais si tu ne peux pas en avoir souvenir,

dit-elle en souriant, tu dois te rappeler

que tu viens de goûter les ondes du Léthé;

et si par la fumée on devine le feu,

cet oubli montre assez que tu commis la faute

d’avoir voulu porter ton appétit ailleurs.

Dorénavant, pourtant, je n’envelopperai

de voiles mes propos, qu’autant qu’il conviendra

pour que ta courte vue y puisse pénétrer.»

Cependant, plus brillant, d’une marche plus lente,

le soleil occupait le cercle de midi,

qui selon les endroits peut varier sa place,

quand, comme un éclaireur qui va devant la troupe

s’arrête, s’il découvre ou simplement soupçonne

quelque chose d’étrange en chemin, les sept dames

s’arrêtèrent au bord d’une petite ombrée,

comme les frais ruisseaux en forment dans les Alpes

sous le feuillage vert et sous les noirs rameaux.

Au-devant j’ai cru voir le Tigre avec l’Euphrate

qui sortaient tous les deux d’une même fontaine

et comme deux amis se quittaient à regret [349].

«Ô toi, gloire et splendeur de notre race humaine,

quel est donc ce ruisseau qui se divise ici

d’un seul commencement, s’éloignant de lui-même?»

J’obtins comme réponse à cette question:

«Demande à Matelda qu’elle t’explique!» Alors,

comme celle qui cherche à se justifier,

la belle dame dit: «Il s’était fait déjà

expliquer ce détail, avec d’autres encore

que les eaux du Léthé ne peuvent effacer.»

«Peut-être un soin plus grand, répondit Béatrice,

qui semble quelquefois nous priver de mémoire,

obscurcit le regard de son intelligence.

Mais voici l’Eunoé, qui coule par là-bas:

conduis-le vers ses eaux et, selon l’habitude

que tu connais, rends-lui sa vertu défaillante!» [350]

Et comme un cœur bien né qui, sans chercher d’excuse,

fait son propre désir du désir du prochain

sitôt qu’il s’est traduit par un signe quelconque,

telle la belle dame, ayant saisi ma main,

se mit en marche et dit, en se tournant vers Stace

d’un geste gracieux: «Viens, accompagne-le!»

Lecteur, si je pouvais disposer de l’espace,

je dirais quelques mots pour chanter ce breuvage

dont je ne me serais jamais rassasié.

Mais puisque les feuillets que j’avais consacrés

à ce second cantique ont été tous remplis,

le frein de l’art me dit que je dois m’arrêter.

Ensuite je revins de cette onde sacrée,

régénéré, pareil à la plante nouvelle

qu’un feuillage nouveau vient de renouveler,

pur enfin, et tout prêt à monter aux étoiles.

Notes de fin d’ouvrage

[1] La poésie de la mort, la poésie qui parle du royaume des morts.

[2] Les neuf filles de Pierius, roi de Thessalie, nommées d’après lui Pies ou Piérides, avaient défié les Muses. Calliope, déléguée par les autres Muses pour les représenter, étant sortie victorieuse, elles furent transformées en pies.

[3] Vénus.

[4] La constellation de la Croix du Sud, qui brille sur le ciel austral, a quatre étoiles; et elle n’était pas tout à fait inconnue des marins et des astronomes médiévaux. Cependant, il est à supposer que Dante, qui parle ici d’étoiles jamais vues, n’entendait pas faire allusion à cette constellation, mais à quelque groupe d’étoiles symboliques et imaginaires, représentant par exemple les quatre vertus cardinales.

[5] Caton d’Utique (95-46 av. J.-C). Il n’était pas tout à fait un vieillard, au moment de sa mort. D’autre part, on comprend que Caton, que l’Antiquité avait beaucoup admiré, jouisse, aux yeux de Dante, d’un régime de faveur: il est ici condamné sans l’être, puisque c’est lui qui l’entrée du Purgatoire. Mais Dante avait placé lui-même les païens dans le limbe, et les suicidés au septième cercle. Plus encore, Caton avait été l’ennemi de César, avec Brutus et Cassius, dont on a vu le terrible châtiment. On peut donc se demander quelle raison, difficile à entrevoir a induit Dante à traiter Caton autrement que ses pairs; cf. E. Trucchi, lntorno al Catone dantesco, Rome 1927. On a avancé que c’est parce que Dante considérait son suicide comme un sacrifice qui forme la base de l’Empire comme celui de Jésus-Christ forme la base de l’Église (L. Pietroboni, dans Giornale dantesco, 1927, pp. 164-165); mais le sacrifice du Christ n’était pas un suicide. Le Romain était considéré comme le champion par excellence de la liberté, cette liberté «si chère, que beaucoup de mortels l’aiment mieux que la vie «; il ne s’était pas dressé contre l’Empire, mais contre le tyran. Peut-être l’amour de Caton pour la liberté suffit-il, aux yeux du poète, pour racheter l’erreur du suicide, et même pour la transformer en symbole et en exemple à suivre?