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Dante Alighieri

La Divine Comédie Tome III: Le Paradis

(1307-1313)

CHANT I

La gloire de Celui qui met le monde en branle

remplit tout l’univers, mais son éclat est tel

qu’il resplendit plus fort ou moins, selon les lieu [1].

Je montai jusqu’au ciel qui prend de sa splendeur

la plus grande partie, et j’ai connu des choses

qu’on ne peut ni sait dire en rentrant de là-haut,

car en se rapprochant de l’objet de ses vœux

l’intelligence y court et s’avance si loin

qu’on ne saurait la suivre avec notre mémoire.

Mais tout ce que j’ai vu pendant ce saint voyage,

tout ce que j’ai pu mettre au trésor de l’esprit

servira maintenant de matière à mon chant.

Rends-moi, doux Apollon, pour ce dernier labeur

un vase bien rempli de ta propre vertu,

que je sois digne enfin de ton laurier aimé.

J’ai pu me contenter jusqu’à présent d’un seul

des sommets du Parnasse: il me faut maintenant

monter sur tous les deux, pour ce dernier parcours [2].

Pénètre dans mon sein, partage-moi ton souffle,

comme au jour d’autrefois où ton chant eut le don

de tirer Marsyas du fourreau de ses membres [3]!

Ô divine vertu, livre-toi, que je puisse

raconter pour le moins l’ombre du règne heureux,

tel que je l’emportai gravé dans ma mémoire;

tu me verras monter vers l’arbre bien-aimé [4]

et faire couronner mon front de son feuillage,

le thème et ton concours m’en ayant rendu digne.

Nous pouvons le cueillir si peu souvent, ô père,

pour fêter d’un César, d’un poète la gloire

(c’est là des passions l’opprobre et la rançon),

que l’arbre pénéen et ses feuilles devraient

inonder de plaisir le cœur du dieu de Delphes,

chaque fois que nous point le soin de les gagner [5].

La petite étincelle allume le grand feu;

et peut-être quelqu’un, d’une voix plus habile,

va prier après moi, pour que Cyrrha [6] réponde.

L’astre du jour se lève aux regards des mortels

sur plus d’un horizon; mais il en est un seul

auquel on voit trois croix sortant des quatre cercles [7],

où son éclat reluit sous de meilleurs auspices,

suivant un cours meilleur, qui dispose et modèle

plus à sa volonté la matière du monde.

C’est à peu près ce point qui, faisant là le jour,

portait chez nous la nuit; et dans cet hémisphère

tout s’habillait de blanc, et de noir dans le nôtre,

quand je vis qu’ayant fait un demi-tour à gauche

Béatrice rivait son regard au soleil,

bien plus intensément que ne le peut un aigle.

Comme l’on voit jaillir d’un rayon de lumière

un rayon réfléchi qui monte vers le haut,

semblable au pèlerin qui retourne chez lui,

de même, mon maintien reproduisant le sien,

tel que dans mon esprit il entrait par la vue,

je fixai le soleil d’un regard plus qu’humain.

Bien des choses, là-haut, qui ne sont pas permises

à notre faculté, deviennent naturelles

par la vertu du lieu conçu pour notre bien.

J’en souffrais mal l’aspect, mais assez cependant

pour voir étinceler les éclats qu’il jetait

comme le fer ardent qu’on sort de la fournaise.

On eût dit que le jour multipliait le jour,

comme si tout à coup Celui qui peut tout faire

avait mis sur le ciel deux soleils à la fois.

Béatrice restait tout entière attachée

par son regard intense aux sphères éternelles,

et moi, l’en détachant, je le posais sur elle

et en la contemplant je devins en moi-même

tel que devint Glaucus, lorsqu’il eut goûté l’herbe

qui le rendait égal aux autres dieux des mers [8].

Traduire per verba cette métamorphose

ne serait pas possible; et l’exemple doit seul

suffire à qui la grâce un jour l’enseignera.

Amour, toi qui régis le ciel et qui m’as fait

monter par ton effet, tu sais s’il me restait

autre chose de moi, que le don de la fin [9].

Lorsque la sphère enfin qui se meut le plus vite

par le désir de toi [10], rappela mon regard

avec tous ses accords que tu conduis et règles,

j’y vis incendier de si vastes surfaces

par le feu du soleil, qu’il n’est pas de déluge

ou de fleuve qui pût faire un lac aussi grand.

Ces accents surprenants, cette immense splendeur

m’enflammaient du désir de connaître leur cause,

tel que jamais avant je n’en eus de plus vif;

et elle, qui voyait en moi comme moi-même,

pour apaiser la soif de l’âme, ouvrit la bouche

plus vite encor que moi pour le lui demander

et elle commença: «Tu t’étourdis tout seul

par des pensers trompeurs, qui t’empêchent de voir

ce qui serait très clair, si tu t’en secouais.

Tu n’es pas sur la terre, ainsi que tu supposes [11];

mais l’éclair qui descend du lieu de sa demeure

est moins prompt à le fuir, que toi tu n’y reviens.»

Si je me vis alors libre du premier doute,

par ces propos si brefs, dits avec un sourire,

un autre embarrassait davantage l’esprit.

«De mon étonnement, lui dis-je, je reviens.

Me voici satisfait; mais ma surprise est grande,

de me voir traverser ces éléments légers [12]

Elle poussa d’abord un soupir de pitié,

me regardant ensuite avec l’expression

de la mère veillant sur son fils qui délire,

puis elle me parla: «Tous les objets du monde

ont un ordre commun: et cet ordre est la forme

qui fait de l’univers une image de Dieu.

Les êtres de là-haut y retrouvent l’empreinte

du pouvoir éternel, qui fait la fin suprême

où tend la loi de tous, dont je viens de parler.

Bien que tous les objets qui sont dans la nature

dépendent de ces lois, la façon en diffère

selon qu’ils sont plus loin ou plus près de leur source.

Ils naviguent ainsi vers des ports différents